Guerre en Ukraine : la Russie voit ses alliés s’éloigner

Auguste Spengler
La REVUE du CAIUM
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6 min readDec 6, 2022

A lors que Moscou est embourbé en Ukraine, ses relations avec ses alliés en sont considérablement affectées. Ce qui devait être une victoire rapide dure maintenant depuis 9 mois. Cette guerre et l’incapacité de l’armée russe à atteindre son but ont impacté les alliances historiques de Moscou avec la Chine et les pays d’Asie centrale. Sans ouvertement critiquer Moscou, Pékin prend ainsi ses distances et se garde d’apporter toute aide militaire ou économique. Impactés économiquement par la guerre, les pays d’Asie centrale s’éloignent aussi, alors que l’influence de Moscou décroît dans la région. De l’Iran à la Corée du Nord, Vladimir Poutine est donc forcé de développer ses relations avec d’autres régimes oppressifs et isolés sur le plan économique.

Les relations sino-russes : d’un partenariat « sans limites » à une distanciation chinoise

Au contraire du Premier ministre indien Narendra Modi, qui a publiquement critiqué le conflit lors du dernier sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai ; Pékin s’est abstenu de condamner publiquement l’intervention russe. Mais il semble clair que Xi Jinping n’est pas d’accord avec la poursuite de l’offensive.

Vladimir Poutine s’entretient avec XI Jinping pendant le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai le 16 septembre 2022. Crédit : ERGEI BOBYLYOV/SPUTNIK/AFP via Getty Images

Le 21 septembre dernier, la Chine a même proposé un processus de paix, à travers le dialogue et la consultation. Par ce geste, Pékin a rompu la position neutre qu’elle avait adoptée depuis le début du conflit. Xi Jinping adopte aujourd’hui une attitude de distanciation vis-à-vis de l’effort de guerre russe. Le secrétaire général du Parti communiste chinois ne souhaite pas être entraîné dans une alliance ou son pays serait amené à participer à cet effort de guerre et ne veut pas se mettre à dos les pays occidentaux, alors que ses produits alimentent largement leurs marchés. Pékin s’est ainsi bien gardé d’offrir à Moscou toute aide militaire, et évite de lui vendre du matériel militaire. De plus, le soutien économique chinois reste assez faible, on note seulement une hausse de 50 % des achats d’hydrocarbures russes entre avril et juin 2022.

Dans le même temps, cela n’empêche pas Pékin d’augmenter son commerce avec les pays d’Asie centrale, mais en contournant la Russie. Elle a ainsi inauguré des corridors vers l’Europe et passants par le Kazakhstan, et a repris la construction de lignes ferroviaires Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan. Au niveau de ses approvisionnements énergétiques, le Kazakhstan et le Turkménistan apparaissent aujourd’hui pour Pékin comme des fournisseurs plus sûrs qu’une Russie accablée de sanctions.

Les pays d’Asie centrale s’éloignent de la Russie

Lors de la dernière assemblée générale de l’ONU, quatre des cinq pays d’Asie centrale se sont prévalus de leur abstention lors du vote sur le projet de résolution condamnant l’annexion de régions ukrainiennes par la Russie. Cela a été perçu par de nombreux observateurs comme un geste de défiance vis-à-vis de Moscou. Un autre geste symbolique est celui du président du Kirghizistan, obligeant Poutine à l’attendre seul face aux journalistes lors de leur rencontre bilatérale tenue en marge du dernier sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai. Ces pays s’étaient d’abord gardés de prendre position, ne condamnant pas l’invasion russe sans non plus vouloir donner l’impression qu’ils y étaient favorables.

Vladimir Poutine attend de rencontrer son homologue kirghize en marge du sommet des dirigeants de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à Samarkand, le 15 septembre 2022. Crédits : ALEXANDR DEMYANCHUK/SPUTNIK/AFP via Getty Images.

Or, la guerre en Ukraine a profondément affecté l’économie de ces pays, et la crainte d’être à leur tour visés par des sanctions les pousse à prendre leurs distances. Ils mettent donc en œuvre des stratégies de diversification de leurs partenariats internationaux. Cet éloignement est particulièrement visible avec le Kazakhstan, historiquement le plus proche allié de Moscou, mais qui se méfie désormais de Poutine. Le pays refuse ainsi de reconnaître l’indépendance des républiques de Lougansk et de Donetsk et d’envoyer des troupes pour prêter main-forte à la Russie. Roman Vissilenko, le vice-ministre kazakh des Affaires étrangères, expliquait ainsi en mars dernier que le pays ne veut pas se retrouver derrière un nouveau rideau de fer.

Moscou en quête de nouveaux partenariats

L’Algérie a récemment commencé des manœuvres militaires avec la Russie, ce qui témoigne de la quête de soutien de Moscou auprès d’alliés plus distants. Ce n’est pas sans rappeler la guerre froide, durant laquelle l’URSS avait bâti de solides alliances avec des pays du Maghreb.

Mais c’est surtout vers l’Iran que la Russie se tourne. Tous deux isolés économiquement, la guerre en Ukraine en a fait de ces deux pays des alliés. Téhéran avait manifesté son appui dès le début de l’offensive russe, la qualifiant de réponse légitime face à la menace sécuritaire représentée par les États-Unis et l’OTAN. En juillet dernier, Ali Akbar Velayati, un conseiller en politique étrangère de l’ayatollah Ali Khamenei, a déclaré que L’Iran devrait se tourner vers la Russie pour obtenir un soutien et un alignement stratégique plutôt que de vouloir apaiser les pays occidentaux. Moscou et Téhéran veulent donc compenser le poids des sanctions internationales par leurs échanges commerciaux : le volume de ces derniers a déjà fortement augmenté durant cette année 2022. La National Iranian Oil Company et Gazprom ont ainsi signé un protocole d’accord valant 40 milliards de dollars.

Parallèlement, Moscou peut aussi compter sur ses liens avec Pyongyang. Kim Jong Un a promis cet été à Vladimir Poutine une coopération et un soutien tactique en réponse aux menaces auxquelles fait face la Russie, tandis que celui-ci s’est engagé à étendre leurs relations. De leur côté, les États-Unis affirment que Pyongyang a fourni des roquettes et des obus d’artillerie à la Russie afin qu’elle puisse reconstituer son stock.

Mais les liens qui préoccupent le plus les pays occidentaux sont ceux entre la Russie et les pays producteurs de pétrole, en particulier l’Arabie saoudite. Alors que les États-Unis et l’Europe tentent de vaincre la Russie financièrement en le privant de ses recettes d’exportation de gaz et pétrole, l’OPEP+ a décidé de réduire sa production, ce qui fait monter les prix. Et, ce, alors que les États-Unis s’étaient rendus à Riyad pour tenter d’amener l’Arabie saoudite dans la coalition antirusse. L’Arabie saoudite et les autres pays producteurs du golfe semblent vouloir garder une position d’équilibriste entre la Russie et les États-Unis.

Une perte d’influence stratégique

Avec les difficultés de l’armée russe en Ukraine, la Russie perd sa réputation d’être militairement efficace. Cela peut inquiéter la Syrie, qui peut légitimement se demander si Poutine pourra continuer de l’aider dans le futur, alors que la guerre en Ukraine accapare de plus en plus de ressources.

Avec la reprise des affrontements frontaliers entre le Kirghizstan et le Tadjikistan, certains observateurs internationaux avancent que Moscou est en train de perdre le statut de « gendarme de la région » qu’elle avait en Asie centrale. Bien que cette observation reste discutable, cela témoigne de la perte de crédibilité de la Russie comme acteur pouvant maintenir la paix dans la région. Moscou reste cependant un allié indispensable pour les pays d’Asie centrale, ceux-ci étant encore trop dépendant de la Russie au niveau commercial. Mais la question se pose de savoir si le pays aura les ressources nécessaires pour jouer ce rôle encore longtemps. Pékin pourrait bien finir par le remplacer.

Pour aller plus loin

Arzt, Richard. 2022. « Face à la guerre menée par Poutine en Ukraine, la Chine peine à se positionner ». Slate, 27 septembre 2022.https://www.slate.fr/story/234124/equilibre-positionnement-chine-face-russie-occident-guerre-ukraine-diplomatie-xi-jinping-poutine.

Dagres, Holly. 2022. “The Ukraine War Has Made Iran and Russia Allies in Economic Isolation. Here’s how.” Atlantic Council, 25 août 2022 https://www.atlanticcouncil.org/blogs/iransource/the-ukraine-war-has-made-iran-and-russia-allies-in-economic-isolation-heres-how/.

Katz, Mark. 2022. « The Ukraine War Makes Russia a Less Valuable Ally to Others ». Time, 21 septembre 2022.https://time.com/6215285/russia-ukraine-war-allies-impact-geopolitics-influence/.

Levystone, Michael. 2022. « La guerre en Ukraine vue d’Asie centrale ». Institut français des relations internationales, 13 juillet 2022.https://www.ifri.org/fr/publications/briefings-de-lifri/guerre-ukraine-vue-dasie-centrale.

Pedrero, Agnès. 2022 « Guerre en Ukraine : la Russie voit ses alliés s’éloigner à l’ONU » Le soleil, 4 mars 2022.https://www.lesoleil.com/2022/03/04/guerre-en-ukraine-la-russie-voit-ses-allies-seloigner-a-lonu-2188810285dd257ec9a7a14becee65a6.

RFI. 2022. « L’Algérie annonce le lancement des manœuvres militaires maritimes avec la Russie », RFI, 20 octobre 2022.https://www.rfi.fr/fr/afrique/20221020-l-alg%C3%A9rie-annonce-le-lancement-des-man%C5%93uvres-militaires-maritimes-avec-la-russie

Sautreuil, Pierre. 2022. « Guerre en Ukraine : les pays d’Asie centrale s’éloignent de la Russie », La Croix, 14 octobre 2022.https://www.la-croix.com/Monde/Guerre-Ukraine-pays-dAsie-centrale-seloignent-Russie-2022-10-14-1201237708.

Woods, Allan. 2022. “In Its War with Ukraine, Russia Has Unsavoury Allies, from Iran to North Korea. Here’s What’s in It for Them”. Thestar.Com. 8 octobre 2022.https://www.thestar.com/news/world/2022/10/08/in-its-war-with-ukraine-russia-has-unsavoury-allies-from-iran-to-north-korea-heres-whats-in-it-for-them.html.

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Auguste Spengler
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finissant du baccalauréat en science politique de l'Université de Montréal