Instabilité politique et transition monétaire : l’Afrique de l’Ouest en bout de course ?

Clémence Maillard
La REVUE du CAIUM
Published in
6 min readNov 5, 2020

Coup d’État militaire au Mali, différends entre l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et la zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO) sur la transition monétaire… La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est aujourd’hui aux prises avec de nombreux obstacles qui paralysent l’avenir du projet commun ouest-africain. Alors, qu’en est-il de ce dernier, dans un contexte de hautes tensions en Afrique de l’Ouest? Décryptage.

Le président ghanéen Nana Akufo-Addo, présidant une rencontre de la CEDEAO le 15 septembre dernier. Photo: Francis Kokoroko/REUTERS

L e 18 août dernier, Ibrahim Boubacar Keïta, alors président de la République du Mali, est arrêté par des militaires mutins. Quelques jours plus tard, il annonce sa démission au peuple malien. Cet événement, s’il a bouleversé un semblant d’ordre dans la région, n’a pas franchement surpris certains observateurs, locaux comme étrangers.

En effet, l’État sahélien fait face à de nombreuses tensions et menaces djihadistes, omniprésentes dans le nord du pays depuis des années. Des troupes militaires françaises y sont installées depuis 2013 dans l’objectif d’éradiquer ces groupuscules terroristes, sous l’égide de l’opération Barkhane.

À la crise sécuritaire s’ajoute la crise politique : aussi inhabituel puisse un coup d’État paraître, cet événement n’est pas nouveau pour la population malienne. En mars 2012, le président Amadou Toumani Touaré, jugé « trop conciliant face aux rebelles touaregs » sévissant au nord du pays, avait déjà été renversé par un putsch militaire. Depuis quelques mois, des tensions dans le pays annonçaient déjà une issue peu favorable au président en place. Les populations reprochaient à IBK une mauvaise gouvernance économique et, dans la même veine, une corruption souvent déplorée chez les dirigeants africains. Suite à des élections législatives très contestées, des adversaires d’IBK et partisans de l’imam Mahmoud Dicko se sont réunis pour former la coalition du M5-RFP, le Mouvement du 5 juin — Rassemblement des Forces Patriotiques ». L’appel à la désobéissance civile a été entendu et de nombreuses manifestations, marquées par l’insatisfaction criante du peuple malien, se sont d’abord déroulées sans encombre. Mais en juillet, la répression du gouvernement malien envers les manifestants a causé plusieurs morts et plus d’une centaine de blessé.e.s.

L’échec de la CEDEAO

La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), d’abord encensée par l’opinion publique et vue comme un modèle démocratique dans la région, fait de plus en plus l’objet de critiques par la société ouest-africaine. Désignée comme un « syndicat de chefs d’États », il lui est reproché de reléguer les préoccupations des peuples au second plan et d’avoir pour seul intérêt la protection mutuelle des dirigeants ouest-africains. Le 27 juillet dernier, alors que la crise politique frappait de plein fouet le Mali, la CEDEAO a organisé un sommet virtuel extraordinaire afin de trouver une solution à la situation malienne. Malgré la tentative de médiation de la CEDEAO, la situation politique du pays ne s’est pas stabilisée, bien au contraire ; contre toute attente, la CEDEAO s’est contentée de renforcer le pouvoir du président en place, une action vue comme antidémocratique qui a contribué à décrédibiliser la Communauté aux yeux des Malien.ne.s, mais aussi de nombreux observateurs en Afrique de l’Ouest.

Le président Mahamadou Issoufou, du Niger, a annoncé qu’un sommet extraordinaire allait se tenir le 27 juillet 2020 sur la crise du Mali. © MICHELE CATTANI / AFP

De lourdes sanctions économiques

À la suite du coup d’État militaire du 18 août dernier, l’arrivée au pouvoir de l’armée a fortement contrarié les dirigeants des pays voisins. Ceux-ci, sous l’égide de la CEDEAO, ont immédiatement mis en place des sanctions économiques contre le Mali, jumelant fermetures des frontières terrestres et aériennes avec le pays et coupure des échanges. Mais la première victime de cet embargo fut l’émission de titres publics sur le marché financier régional. Selon les estimations de Jeune Afrique, sur la période d’août à septembre, ce sont environ 60 milliards de francs CFA (91,5 millions d’euros) qui n’ont pu être mobilisés. En dehors de l’aspect purement financier, les populations sont durement touchées et commencent à douter de la capacité des militaires à subvenir à leurs besoins.

La Communauté ouest-africaine réclame alors le rétablissement au pouvoir d’IBK. Leur demande essuie un premier échec, néanmoins un ultimatum est posé aux putschistes : un.e président.e de la transition et un.e premier.ère ministre civil.e.s doivent être nommé.e.s avant le 22 septembre.

Après plus d’un mois d’isolement, le Mali se trouve en grande difficulté économique, et le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP), acclamé par les foules lors de sa prise de pouvoir, finit par entendre à son tour la grogne populaire. La famine se fait sentir, et les tensions sociales menacent de ressurgir.

Le CNSP, arrivé au pouvoir par la force, a donc finalement répondu à l’ultimatum de l’institution d’Afrique de l’Ouest en nommant le mois dernier Bah N’Daw comme président de transition, pour une période de 18 mois. Ancien militaire maintenant à la retraite, il est considéré par ses voisins comme un « militaire déguisé en civil. » Dans la foulée, 27 septembre, la nomination de Moctar Ouane au poste de premier ministre a été relativement bien accueillie par la population, celui-ci jouissant en effet d’une réputation d’« homme intègre et respecté. »

L’Eco, une nouvelle monnaie commune

En juin 2019, après près de 30 ans de discussion, les 15 États membres de la CEDEAO se sont mis d’accord sur l’instauration d’une monnaie unique au sein de la communauté : l’Eco. Parmi les objectifs de ce projet, les principaux étaient le rapprochement des différentes économies de la région, l’approfondissement de l’intégration régionale, mais aussi la rupture des liens de l’Afrique de l’Ouest francophone avec la France, afin de favoriser les relations au sein de la CEDEAO plutôt avec l’ancienne métropole.

Fin décembre 2019, les pays de l’UEMOA ont annoncé publiquement leur décision de remplacer le Franc CFA par l’Eco. Le président ivoirien Alassane Ouattara, en visite à l’Élysée durant cette période, a porté ce projet avec enthousiasme. Cette déclaration a déclenché un tollé du côté des dirigeants des États membres de la Zone Monétaire d’Afrique de l’Ouest, qui regroupe des pays d’Afrique de l’Ouest, majoritairement anglophones, non-membres de la zone Franc CFA. Le caractère unilatéral de cette annonce a été dénoncé notamment par le président nigérian Muhammadu Buhari, qui juge inquiétant qu’« un peuple avec qui [la ZMAO] souhaite créer une union prenne le parti d’avancer dans une procédure capitale sans se référer à [la CEDEAO] pour en discuter. » Le président de la première puissance économique de la région a considéré cette annonce comme le signe d’un manque de confiance des pays de l’UEMOA en un projet commun d’une Union Monétaire ouest-africaine.

Quel avenir pour l’intégration régionale ?

L’instabilité du Mali, membre à la fois de l’UEMOA et de la CEDEAO, remet en question la confiance à accorder aux États quant à leur capacité de gestion d’un projet commun. L’instabilité politique et sécuritaire sont aujourd’hui deux enjeux majeurs au Mali, et constituent des priorités à l’agenda du gouvernement. La solidarité entre États est bel et bien mise à mal. Ainsi, le projet de monnaie commune en Afrique de l’Ouest, soit l’implémentation de l’Eco en remplacement du Franc CFA, est fortement compromis. Alors que d’autres États de l’UEMOA traversent également des périodes houleuses (élections présidentielles en Côte d’Ivoire et en Guinée-Conakry), le projet a été suspendu et une date ultérieure de transition à l’Eco n’a pas encore été fixée. L’occasion, peut-être, de revoir les conditions de mise en place d’une monnaie commune dans tous les États de la CEDEAO, et non restreinte au sein de l’UEMOA ?

Pour approfondir

AFP, franceinfo. (2020). Mali: cinq questions pour comprendre la crise politique et sécuritaire qui embrase Bamako. franceinfo.

Barry, B. S. (2020). Après le coup d’Etat au Mali, la fin de l’illusion démocratique ouest-africaine. Courrier international.

Barry, I. K. (2020). Au Mali, le coup d’Etat contre IBK était inévitable. Courrier international.

Coulibaly, N. (2020). Sanctions contre le Mali: les finances publiques et le commerce durement frappés. Jeune Afrique.

Couteau, F. (2020). Moctar Ouane, un “homme intègre et respecté” nommé Premier ministre du Mali. Courrier international.

Olivier, M. (2013). Mali: depuis le coup d’Etat du 22 mars 2012, un an de micmacs à Bamako. Jeune Afrique.

RFI. (2019). Ouattara annonce le remplacement du franc CFA par l’éco en Afrique de l’Ouest. rfi.

Sylvestre-Treiner, A. (2020). Au Mali, Bah N’Daw, un ancien colonel-major nommé président de la transition. Courrier international.

Ukpe, W. (2020, June 23). Buhari expresses displeasure with Francophone West Africa over adoption of Eco currency. Nairametrics.

Zoungrana, Z. (2020). Au Mali, même habillé en civil, le nouveau président reste un militaire ! Courrier international.

--

--

Clémence Maillard
La REVUE du CAIUM

Etudiante en Master 1, politique comparée Afrique Moyen-Orient. Intéressée par les enjeux sociaux, économiques et politiques en Afrique subsaharienne.