Kitakyushu : de l’Eco-Town à la Smart City

Fanny Gonzalez
La REVUE du CAIUM
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5 min readMay 2, 2017
Kytakysuhu, au Japon. Crédit photo :

Kitakyushu, ville japonaise du nord de l’ile de Kyushu, a acquis en seulement quelques décennies le titre de smart city alors qu’elle était reconnue comme étant l’une des villes les plus polluées au monde en raison de ses grands complexes sidérurgiques construits sur les terre-pleins littoraux. Avec ses 485 km2, elle regroupe sur son territoire pas moins de 960 525 habitants (2016) soit 1969 habitants au km2. Kitakyushu se présente aujourd’hui comme la « capitale de l’environnement » (kankyō shuto) et entend proposer des solutions environnementales en Asie.

Transition de Kitakyushu : de la ville “grise” à la ville “verte”

La sensibilisation de la population japonaise aux questions environnementales prend racine dans l’histoire industrielle du Japon après la Seconde Guerre mondiale. Entre 1954 et 1964, la forte croissance économique a eu comme corollaire des pollutions majeures. Aujourd’hui, le Japon est affecté par trois principaux types de pollutions : les pluies acides, les tempêtes de sables et de poussière, et les marées rouges. Notamment sous l’impulsion de mouvements féministes dans les années 1960, Kitakyushu entame progressivement un revirement écologique en établissant les prémices d’une réglementation environnementale. La reconnaissance de Kitakyushu se situe sur la scène internationale, avec l’inscription de la ville dans le programme « Green Cities » de l’OCDE. En juin 1990, elle reçoit un premier prix des Nations Unies l’élevant au titre de modèle de ville écologique. Elle est alors à la pointe du progrès environnemental dans le monde.

Dans le cadre de la diversification des instruments de politique énergétique, l’appellation de « smart community » émerge à la fin des années 2000 dans plusieurs programmes d’expérimentation. Leur caractéristique principale est de mettre l’accent sur l’énergie et l’électromobilité. L’objectif est de fusionner les infrastructures urbaines au numérique afin d’optimiser la gestion des villes. Les smart cities répondent à un postulat généralement admis selon lequel l’administration des espaces urbains demeure encore dysfonctionnelle, en raison d’une complexification de la ville et des externalités négatives que cela génère.

Schéma synoptique d’une smart community par le METI

En plus des 23 usines de recyclage et des 15 centres de recherche dont dispose Kitakyushu, les acteurs industriels de l’énergie se sont progressivement engagés sur la voie d’une connaissance accrue de l’usage des consommateurs par le biais du développement d’infrastructures comme celle des compteurs électriques avancés (AMI, Advanced Metering Infrastructure). Cette technologie se fonde sur une interface de communication qui relie le producteur, le gestionnaire et le client par l’envoi systématique d’informations « à double sens ». Des systèmes de production d’énergie renouvelable sont disséminés dans la ville et la production est centralisée grâce à un « smart community center », qui redistribue en temps réel l’énergie en fonction des besoins et de la demande unité par unité (logements, bureaux, écoles, commerces…). Cette technologie est également portée par les opérateurs électriques aux États-Unis et en France qui entendent la diffuser sur l’ensemble du territoire. À contrario, au Japon, l’initiative de smart community a été impulsée par le gouvernement, orientée vers les communautés locales et pilotée par les entreprises privées comme Toyota Motor ou encore IBM. Au total, un acteur public, trente-cinq acteurs privés et deux acteurs associatifs sont associés au projet.

Kitakyushu constitue un vivier de projet écologique visant à en faire une ville décarbonisée.

Considérant que 80 % de l’empreinte carbonique d’un foyer se fait sur les transports, le chauffage, l’éclairage et l’eau chaude, les pouvoirs publics encouragent vivement l’utilisation de systèmes moins polluants. L’achat de véhicules électriques est subventionné et les stations de recharges dans la ville se multiplient. D’autres initiatives se tournent, quant à elles, vers la rationalisation de l’usage de la batterie des véhicules. Celles-ci peuvent alors être utilisées de manière à alimenter une maison. Au Nord de la ville, un parc énergétique « next generation » a vu le jour. Il associe gaz naturel, photovoltaïque, éolien et biomasse pour lutter à la fois quantitativement et qualitativement contre les émissions de CO2. La smart community de Kitakyūshū a pour objectif d’atteindre une réduction de 50 % des émissions de gaz carbonique et d’augmenter la part des énergies renouvelables à 10 % de la consommation d’énergie.

À travers ces programmes ce sont également les comportements des utilisateurs qui changent.

La prise de conscience reposant non pas sur une dimension négative — augmentation du prix de l’électricité — , mais sur des incitations sociales positive, le consommateur est « incité » à entretenir une conduite responsable. Les comportements « vertueux » sont alors récompensés par des systèmes de points et divers avantages tarifaires. Une véritable mise en pratique de la théorie « Nudge » de Thaler et Sunstein, qui la définissent comme étant « une version relativement modérée, souple et non envahissante de paternalisme, qui n’interdit rien et ne restreint les options de personne. Une approche philosophique de la gouvernance, publique ou privée, qui vise à aider les hommes à prendre des décisions qui améliorent leur vie sans attenter à la liberté des autres ».

Modélisation aérienne de Kitakyushu. Crédit photo : Google Earth

En définitive, Kitakyushu prétend à des objectifs ambitieux en matière d’économie d’énergie et de réductions du dioxyde de carbone. La ville entend introduire à grande échelle les énergies renouvelables et procéder à un usage efficient de systèmes de mobilité nouvelle-génération. Le dynamisme de ses politiques environnementales et également une façon de promouvoir l’attractivité de Kitakyushu. À une heure où l’environnement est l’un des plus grands défis pour demain, la ville endosse ses responsabilités et encourage la participation active de tous les acteurs économiques et sociaux. C’est un exemple à suivre face aux menaces qui pèsent lourdement sur notre planète.

Sources :

Nicolas Lepretre. Les transformations de l’action publique au prisme des réseaux électriques intelligents. Le cas des expérimentations de smart communities au Japon. Science politique. Université de Lyon, 2016.

Éric Frécon et al. 2015. Asie de l’Est et du Sud-Est : de l’émergence à la puissance. Paris : Ellipse Édition.

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Fanny Gonzalez
La REVUE du CAIUM

Étudiante en science politique. Vice présidente au Comité des Affaires Internationales de l'Université de Montréal. Engagée en faveur d'actions humanitaires.