Législatives hongroises : David contre Goliath

À quoi s’attendre des élections en Hongrie le 3 avril prochain?

Léopold Lehmann
La REVUE du CAIUM
6 min readMar 31, 2022

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Viktor Orbán lors d’un discours à Budapest en février. Attila Kisbenedek/AFP/Getty Images

L a guerre est de retour en Europe, mais la France n’est pas la seule à vivre une campagne électorale nationale inédite en période de conflit. Le 3 avril prochain, ce sera la Hongrie, pays d’Europe centrale de 10 millions d’habitants, dirigée depuis plus de 12 ans par le très controversé Viktor Orbán et son parti national-conservateur, le Fidesz, qui élira son prochain gouvernement. Le régime d’Orbán est critiqué pour s’être durci au cours des dernières années, avec un état de droit qui serait mis peu à peu en pièces selon ses détracteurs. La presse, la justice, les instituts de sondages, les associations et les opposants politiques ont de plus en plus de mal à travailler librement et à faire valoir une opposition au gouvernement en place. C’est sans compter le racisme, notamment envers les migrants, et l’homophobie qui semblent faire tous deux partie de l’ADN du gouvernement Orbàn… Des positions à contre-courant de celles de l’Union européenne (UE). Ceci dit, malgré les vives critiques européennes, la victoire du premier ministre semble probable. À vrai dire, elle semblait inévitable avant que l’opposition ne fasse front commun.

L’opposition, plus unie que jamais

Crédit : Hungary Today, Affiche de campagne du candidat d’opposition.

Face à la popularité du gouvernement Orbàn, , l’opposition a formé une alliance nommée « Unis pour la Hongrie ». Réunissant les conservateurs du Jobbik (ex-néo-nazis, devenus plus modérés aujourd’hui), les libéraux du Mouvement Momentum (MM), en passant par les sociaux-démocrates du MSZP, les sociaux-libéraux de la Coalition Démocratique (DK), les verts du LMP et ceux du Parti du dialogue pour la Hongrie (PM), l’opposition est unie dans son désir de se débarasser d’Orbàn. Malgré certaines différences idéologiques, les objectifs sont clairs : sortir Orbán du jeu politique hongrois, défendre les principes de la démocratie libérale et défendre la construction européenne et l’appartenance de la Hongrie à l’UE. Pour choisir un candidat unique au poste de premier ministre, l’opposition a donc organisé une primaire à l’automne dernier pour déterminer l’adversaire du premier ministre Orbàn. Le 16 octobre, avec 56,7% des suffrages exprimés, c’est l’économiste Marki-Zay qui l’emporte.

Lors des précédentes élections municipales en 2019, il avait détrôné le Fidesz dans sa ville de Hodmezovasarhely en unissant derrière lui toute l’opposition. Il fut soutenu, lors du second tour de la primaire, par l’influent maire écologiste de Budapest qui le voyait comme le plus à même de battre Orbán. En effet, plusieurs dans l’opposition considèrent que Peter Marki-Zay est le cauchemar d’Orbán. Assurément, celui-ci aurait préféré voir un opposant issu de la gauche hongroise face à lui. Or, Peter Marki-Zay est conservateur sur les questions d’immigration et de sexualité, parfois tout autant que son adversaire, utilisant les préjugés homophobes et xénophobes contre Orbán. Au niveau économique et international, il est jugé plutôt libéral, pro-OTAN et pro-UE. Cela dit, il faut tout de même souligner qu’il présente un programme commun, fruit d’une vision partagée des oppositions, et non uniquement ses propres idées. Si l’on ne peut déterminer d’avance si cette large coalition sera un succès dans sa croisade anti-Orban, on doit tout de même souligner que la participation de 800 000 personnes, soit presque 10% de la population du pays, à cette primaire est un succès indéniable.

L’arsenal politique de Viktor Orbàn sur le pied de guerre

De son côté, Viktor Orbán mène campagne avec certains atouts. Tout d’abord, le système électoral mixte avec, d’un côté, 106 circonscriptions où les députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour et, d’un autre côté, 93 députés élus avec un scrutin proportionnel plurinominal l’avantagerait selon de nombreux experts. Ainsi, même avec certains sondages d’opinion plaçant Orbán derrière l’opposition, les 106 députés élus par circonscription pourraient lui permettre de se maintenir au pouvoir. Précisons que les derniers sondages effectués fin février montraient une remontée du Fidesz aux alentours de 50% des voix contre 45% pour l’opposition unie. De plus, le système politico-médiatique joue en faveur du premier ministre sortant. En effet, les médias totalement indépendants se font de plus en plus rares en Hongrie et les associations politiques sont, de plus en plus, contrôlées ou intimidées par le pouvoir en place. Ces tactiques laissent peu de place aux discours divergents.

De plus, le premier ministre sortant profite de son poste et de sa tribune pour prendre des décisions électoralistes. Par exemple, en annonçant un blocage des prix de l’alimentaire face à l’inflation galopante à travers le pays. Depuis le 1er février, il est obligatoire pour les épiceries hongroises d’afficher sur leur devanture : « Chers clients ! Le gouvernement a décidé d’instaurer un gel des prix des denrées alimentaires de base ». Pour mieux comprendre ce scrutin on doit, en outre, souligner que la Hongrie d’Orbán est un des pays qui a inspiré l’utilisation du terme de démocratie illibérale. La Hongrie est toujours une démocratie, mais cette dernière est remise en cause sur tous les plans et cela inquiète au sein de l’Union européenne. Le Parlement et la présidente de la Commission Européenne ont ainsi décidé de s’attaquer aux aides européennes données aux pays ne respectant pas les règles de l’état de droit, dont la Hongrie. Cependant, il paraît compliqué de priver un État membre de ses droits, et il est certain qu’avec le retour de la guerre en Europe, l’heure n’est pas à la division entre les membres. Ce conflit entre Orban et l’UE devient alors un sujet de campagne, pour chacun des camps. L’Organisation pour la Sécurité et la coopération en Europe (OSCE) demande alors d’intensifier les contrôles du scrutin, qui s’annonce extrêmement serré, dans la démocratie illibérale hongroise.

La guerre en Ukraine : un catalyseur de changement?

Crédit : AP Aleksandr Zemlianichenko. Le président russe avec son homologue hongrois.

Depuis le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine, l’opposition hongroise utilise les relations d’Orbán avec Poutine pour le décrédibiliser. L’opposition hongroise dénonce depuis des années les relations ambivalentes entre Budapest et Moscou. C’est qu’Orbán a toujours été bien reçu au Kremlin par Vladimir Poutine. Ces liens passées mettent le premier ministre hongrois dans l’embarras, surtout lorsqu’ il émet des réserves sur les sanctions, limite le passage d’armes occidentales à travers son pays et se montre moins enthousiaste à accueillir des réfugiés que ses voisins polonais et moldaves. Cependant, malgré les critiques de l’opposition, il faut noter que le gouvernement hongrois a bel et bien condamné l’invasion russe en Ukraine et a voté en faveur de l’ensemble des sanctions européennes. Nul doute que l’opposition utilisera les relations passées entre Orbán et Poutine contre le premier ministre, notamment avec une opinion publique hongroise qui reste profondément antirusse, marquée par les années du soviétisme et par la répression de 1956. L’opposition s’érige, alors, unie avec le reste des pays européens face à Vladimir Poutine.

Une élection aux conséquences certaines pour la Hongrie et l’Europe

Sans aucun doute, l’élection d’avril sera très serrée. Si les sondages donnent légèrement en tête le Fidesz, cela demeure qu’une photographie nationale, qui permet d’évaluer uniquement les résultats des 93 députés élus à la proportionnelle. Dans les circonscriptions majoritairement rurales, le Fidesz pourrait garder l’avantage et ainsi battre l’opposition unie de Peter Marki-Zay, qui a donc besoin d’une certaine avance au niveau des 93 sièges élus à la proportionnelle. La campagne sera aussi difficile pour l’opposition, car Orbán dispose d’un arsenal médiatique et politique fort conséquent. Évidemment, le résultat de l’invasion russe en Ukraine demeure un grand inconnu qui pourrait avoir un impact significatif sur le résultat du scrutin. Y’aura-t-il un «effet drapeau» de ralliement derrière Orbán, comme cela semble être le cas derrière Emmanuel Macron en France, ou alors Orbán paiera-t-il, dans les urnes, le prix de son ouverture vers l’Est et vers Moscou? Une chose est sûre, les résultats de ces élections seront regardés avec attention partout en Europe.

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Léopold Lehmann
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J'écris pour La Revue du Caium, notamment sur les sujets européens 🇪🇺. Étudiant au baccalauréat en Études Internationales à l’Université de Montréal.