L’émergence : un processus qui ouvre la voie au développement ?

Fanny Gonzalez
La REVUE du CAIUM
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7 min readJun 12, 2018

Le concept d’émergence s’est aujourd’hui fait une place de choix dans l’actualité économique et géopolitique. Il définit les nouveaux acteurs nationaux qui ont investi le système international depuis l’effondrement du système bipolaire. Ces pays, dits émergents, sont issus aussi bien de l’ancien bloc communiste, des pays non alignés que d’anciens régimes autoritaires ou dictatoriaux, qu’ils soient d’Afrique ou d’Amérique latine. Les pays émergents se caractérisent par leur intégration rapide à l’économie mondiale d’un point de vue commercial et financier [5]. Toutefois, cette définition ne fait pas consensus.

Alors que le terme “d’émergence” retranscrit la crainte des pays dominant l’ordre mondial de voir leur leadership bousculé. Il est un synonyme d’espoir pour les autres. L’émergence est-elle réellement un processus qui ouvre la voie au développement ?

Caractéristique de l’émergence

=> La première caractéristique de l’émergence et que l’intégration dans l’économie mondiale est rapide et génère des taux de croissance élevés ! La revue Alternatives économiques (2007), chiffrées ce phénomène, pour la croissance des exportations, à 8 % pour la Chine, de 13 % pour l’Inde et de 10 % pour le Brésil, contre 4 % pour les États-Unis [1].

=> Corollairement, les pays en émergences ont vu le taux d’investissement direct étranger grimper, autres dans le secteur manufacturier et les services, ce qui a contribué à la croissance rapide notamment par le biais des transferts de technologies.

=>Sur le plan financier, le phénomène des pays émergents est étroitement lié à la libéralisation progressive des marchés de capitaux à l’échelle mondiale. Le démantèlement des barrières des flux de capitaux privés a contribué à une plus grande fragilité financière que celle des pays industrialisés notamment en raison de réglementations bancaires déficientes et de l’endettement des banques des pays émergents sur les marchés internationaux.

=>Devenus politiquement indépendants après la vague de décolonisation et refusant de se laisser enfermer dans une division internationale du travail qui leur était préjudiciable, les pays en émergences ont eu à cœur de diversifier leurs productions. De façon générale, ces pays ne se sont pas limités à se spécialiser dans les industries centrées sur des produits simples, nécessitant une faible qualification, mais ils ont développé l’industrie lourde puis des filières technologiques de plus en plus élaborées. De fait, bien qu’ils aient conservé leur spécialisation traditionnelle dans le textile, ils se sont surtout spécialisés dans les technologies de l’information et de la communication au point de devenir des leaders mondiaux en la matière comme le témoignent la Chine et l’Inde [6].

=>Enfin, à la naissance de ces industries se développent deux stratégies qui caractérisent les pays en émergences : l’industrialisation par substitution d’importations et l’industrialisation par les exportations. L’industrialisation par substitution des importations est une stratégie de développement protectionniste qui consiste à limiter les importations au moyen de droits de douane ou d’imposition de quotas, afin de stimuler un secteur industriel destiné au marché national. Quant au modèle d’industrialisation par l’exportation, il s’oppose au précédent modèle en s’orientant vers l’exportation de biens manufacturés, principalement en direction des trois grands pôles de l’économie mondiale : les États-Unis, l’Europe, le Japon. Le « miracle asiatique » en est un exemple éloquent.

Conséquences économiques

L’internationalisation de l’économie a généré des préoccupations chez les gouvernements au sujet de l’incidence de la concurrence internationale sur la prospérité de leurs industries. De façon générale, l’offre massive de produits à bas prix, principalement manufacturés, des pays émergents a poussé les prix mondiaux à la baisse et accru la demande d’importation d’hydrocarbures, de produits agricoles et des matières premières pour soutenir leur croissance ce qui a eu pour corollaire la hausse des prix dans ces secteurs.

En conséquence, la hausse des cours mondiaux des matières premières a provoqué, dans les pays pauvres, des émeutes de la faim, au bénéfice des États « rentiers » exportateurs de matières premières.

Source : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

Du reste, l’internationalisation des entreprises par le biais de grandes opérations de fusion-acquisition par des groupes du Sud est devenue de plus en plus fréquente [8]. L’inquiétude générée par l’affirmation de ces groupes grandit, à mesure que les centres de décision se regroupent dans le pays de l’entreprise acquéreuse souvent marquée par un « patriotisme économique » qui s’inscrit dans le désir de rattraper un retard sur la scène économique mondiale.

Enfin, l’apparition des fonds souverains est révélatrice de la mutation des relations économiques internationales. D’une part, ils témoignent de l’accession de certains pays émergents au statut de puissance financière. D’autre part, ils augurent potentiellement un retour à un capitalisme d’État, les fonds souverains n’engageant pas un investisseur privé, mais bien l’État, qui dispose de pouvoirs d’influence plus importants [5].

Conséquences sociales

En règle générale, les préoccupations majeures quant aux conséquences sociales sont de deux ordres. D’un côté, les pays en voie de développement craignent que l’ouverture de leur économie ne conduise au désastre, par peur de ne pas supporter la rude concurrence des produits importés. D’un autre côté, les pays développés s’émeuvent des effets des importations de pays à bas salaires sur leurs conditions de travail ou sur la pérennité de leur emploi en lien avec délocalisation de leurs entreprises.

Manille — Source

Cependant, parce que la qualité de la main-d’œuvre, des institutions et des infrastructures, autant que les coûts de travail sont des facteurs déterminants pour la localisation des activités d’entreprises, les risques de délocalisation encourus par la montée en puissance des pays émergents doivent être nuancés. De façon générale, la compétitivité de certains pays du Sud reste encore limitée par l’absence de ces conditions [5].

La concurrence internationale a donc modifié substantiellement les rapports Nord-Sud tout comme la division internationale du travail. À l’origine de la théorie libérale, un pays se spécialise dans les produits pour lesquels il dispose d’un avantage comparatif. Il faut y entendre la répartition de la production entre territoires selon les spécialisations. Toutefois, ce schéma de division internationale du travail ne prévaut plus. La spécialisation se fait désormais au sein des firmes les plus productives et parmi les produits les plus performants [5]. Les pays occidentaux n’ont d’autre alternative que de miser sur une stratégie de différenciation par les produits haut de gamme. Celle-ci s’avère toutefois très coûteuse et requiert d’importants investissements dans la recherche et le développement. Dès lors, au regard de l’importance que revêt l’innovation, la lutte contre la contrefaçon et la protection des droits de propriété intellectuelle deviennent des enjeux majeurs.

Enfin, jusqu’à la fin du XXe siècle, le Nord a pris l’habitude d’imposer sa vision du monde assuré par supériorité matérielle, technique et scientifique. Néanmoins, les enjeux socio-économiques que représente l’émergence de nouvelles puissances confrontent le Nord à l’intégration de la dimension sociétale et éclairent sur la diversité des formes de capitalisme.

Les pays industrialisés n’ont d’autre alternative que de miser sur une stratégie de différenciation par les produits haut de gamme. Celle-ci s’avère toutefois très coûteuse et requiert d’importants investissements dans la recherche et le développement. Dès lors, au regard de l’importance que revêt l’innovation, la lutte contre la contrefaçon et la protection des droits de propriété intellectuelle deviennent des enjeux majeurs lors de la conclusion d’accords commerciaux. Les enjeux socio-économiques que représente l’émergence de nouvelles puissances confrontent le Nord à l’intégration de la dimension sociétale et éclairent sur la diversité des formes de capitalisme [5].

Les conséquences environnementales

Au travers du prisme environnemental, il apparait que les conditions de développement des pays en émergences sont alarmantes. La généralisation du modèle occidental est explosive et l’enjeu climatique nous rappelle que les mutations que les pays émergents sont en train d’opérer nous concernent tous, tant leur croissance énergivore pousse les problèmes environnementaux vers un point de non- retour.

Les pays pauvres ou émergents, comme le Nigeria, sont ceux qui paient le tribut sanitaire le plus lourd à la pollution | Pius Utomi Ekpei, AFP

Pour relever ce défi, deux visions s’opposent : la vision européenne, qui plaide pour des objectifs contraignants et chiffrés versus celle des États-Unis, qui défendent une approche volontariste et participative aux efforts collectifs de réduction de gaz à effet de serre [5].

Une nouvelle configuration internationale ?

Au-delà d’un constat global qui souligne les indéniables progrès effectués par les pays du Tiers Monde depuis les années 1950, les inégalités n’ont cessé de se creuser au cours de la même période. La mondialisation revêt deux masques bien différents l’un de l’autre. Ainsi, pour asseoir durablement leur développement économique et renforcer leur position sur la scène internationale, les puissances émergentes devront accéder aux aspirations de leurs populations à des conditions de vie et de travail plus décentes. Enfin, face à ce nouvel équilibre des forces qui se dessine sur la scène internationale, la question du vivre ensemble à l’échelle planétaire, sans détruire notre environnement et sans s’exterminer se pose désormais avec plus de limpidité. En définitive, qu’est-ce que l’émergence, sinon la redéfinition des rapports de force mondiaux ?

Sources

[1] Alternatives économiques. (2007). « Les chiffres de l’économie 2008 », hors série n° 74, 4e trimestre.

[2] Comeliau, C. (1991). « Les relations Nord-Sud », Paris : La découverte, pages 12–41.

[3] Degans, A. (2011). Ces pays émergents qui font basculer le monde, Grands Dossiers N° 24 — sept / oct / nov 2011.

[4] Nicet-Chenaf, D. « Les pays émergents : performance ou développement ? », La Vie des idées , 4 mars 2014. ISSN : 2105–3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Les-pays-emergents-performance-ou.html

[5] Trépant, I. (2008). Pays émergents et nouvel équilibre des forces. Courrier hebdomadaire du CRISP, 1991–1992,(6), 6–54. doi:10.3917/cris.1991.0006.

[6] Lemoine, F. Ünal-Kesenci, D. « Chine et Inde dans le commerce international, les nouveaux meneurs du jeu », La Lettre du CEPII, n° 272, novembre 2007.

[7] Hugon, P. & Marques-Pereira, J. (2011). Introduction. Revue Tiers Monde, 208,(4), 7–26. doi:10.3917/rtm.208.0007.

[8] Mathews, J. 2006. « Dragon multinationals : new players in the 21st century globalization ». https:// link.springer.com/article/10.1007/s10490–006–6113–0#copyrightInformation Consultation en ligne : le 8 juin 2017

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Fanny Gonzalez
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Étudiante en science politique. Vice présidente au Comité des Affaires Internationales de l'Université de Montréal. Engagée en faveur d'actions humanitaires.