La Chine passe au vert

Les États-Unis ont quitté le navire de combat contre le changement climatique et un nouveau capitaine semble avoir assumé le commandement de l’appareil. La Chine, le pays le plus pollueur sur Terre, a donné un coup de barre et multiplie les initiatives vertes. Comment, mais surtout, pourquoi?

Mathias Boutin
La REVUE du CAIUM
6 min readApr 13, 2017

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La pollution, en Chine, a un impact visible. Crédit photo : Reuters

Alors que l’administration Obama s’est tardivement positionnée comme le fer de lance d’un mouvement environnemental global, manipulant les pièces et coordonnant la mise en place de la Convention Cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), l’administration Trump a fait une volteface attendue. Les États-Unis ont essentiellement délaissé leur siège à la tête du mouvement environnemental mondial. La plupart se seraient entendus pour dire que l’Union européenne aurait été l’entité la plus prête à se mobiliser afin de saisir l’opportunité de s’emparer du rôle. Mais l’Europe, aux prises avec ses propres crises internes, n’a pas le capital politique pour s’y propulser. C’est plutôt vers la Chine qu’il faut maintenant regarder.

Il aurait été difficile de croire il y a quelques années à peine que le pays de Xi-Jinping se soit accaparé un jour un rôle actif dans la lutte contre le changement climatique, encore plus qu’il en assumerait le rôle de porte-étendard. C’est pourtant le constat que font plusieurs experts du milieu, acclamant les initiatives vertes et les investissements importants en innovation technologique qui résultent d’un changement de cap politique important entamé par Xi Jinping.

Barack Obama et Xi Jinping, à Paris à l’occasion de la COP21. Crédit photo : Natureponics

Depuis que le président américain Donald Trump s’est mis à brandir le poing contre les institutions environnementales internationales, clamant qu’il allait mettre un terme à la participation américaine à divers instruments politiques ainsi que stopper la participation financière à différents fonds verts, les politiques chinois ont pris le flambeau, urgeant l’administration Trump de reconsidérer sa position. C’est que la Chine, bien au-delà de voir le changement climatique comme une possible catastrophe humaine, y voit une opportunité politique et économique sans égale.

Passer du rouge au vert

Alors que le coût de production de l’énergie renouvelable est descendu au-deçà du coût des énergies fossiles, Xi a saisi l’opportunité de capitaliser sur le potentiel économique des énergies vertes.

Alors qu’un des défis majeurs pour la Chine est d’éradiquer sa dépendance au charbon, le pays a massivement investi dans le développement de son industrie nucléaire, visant à développer, au cours des deux prochaines décennies, la plus grande capacité d’énergie nucléaire au monde. L’empire du milliard a également misé gros sur l’énergie solaire, ayant ajouté pas moins de 15GW a sa production, amenant son total à 43,2 et surpassant du même coup l’Allemagne comme leadeur mondial dans la catégorie. On cherche d’ailleurs à tripler cette production d’ici 2020. Du côté éolien, on vise 200GW sous le même échéancier.

Illustration du MIT review sur la recherche chinoise en énergie nucléaire. Crédit illustration : MIT Review

Les entreprises chinoises sont évidemment les premiers bénéficiaires de ces investissements gouvernementaux. Subventionnées, elles développent rapidement les technologies qui les placeront au sommet de l’immense marché en développement des énergies vertes. On prépare les industries chinoises aux modifications inévitables que causeront les changements climatiques au marché international.

La participation de la Chine, au côté des États-Unis, à l’avant-plan de l’établissement de la CCNUCC en 2015 a symbolisé l’objectif chinois de s’établir comme un puissant joueur environnemental. La concrétisation de ce plan se retrouve au coeur même du 13e plan quinquennal du pays, dans lequel le combat au changement climatique est une des cinq priorités du gouvernement. Le changement de rhétorique est fulgurant : il y a à peine quelques années, quiconque aurait été encouragé à pointer du doigt le principal coupable de l’inaction politique face au changement climatique aurait désigné la Chine.

Gagnant, gagnant.

La Chine a fait ses devoirs et compte tirer beaucoup de son nouveau rôle. Le pays de Xi Jinping a toujours fait preuve d’un pragmatisme à toute épreuve, et la nouvelle politique chinoise ne fait pas exception. On joue pour beaucoup, et on compte bien remporter la mise.

Le nouveau rôle assumé du dragon chinois comme meneur environnemental aura l’avantage de lui faire tranquillement gagné un immense capital diplomatique, au moment même où l’administration Trump semble jeter le sien par les fenêtres de Mar-a-lago. En redorant son image, la Chine tente de solidifier sa position dans le conflit en mer de Chine méridionale, cherchant à mettre du poids derrière ses revendications territoriales. En devenant le créancier énergétique de plusieurs États voisins, la Chine augmentera inévitablement son influence politique, qu’elle pourra utiliser comme bon lui semble.

Des éoliennes, en Chine. Crédit photo : Imaginechina/Corbis

D’un point de vue économique, les retombées sont difficiles à contempler en 2017, mais le marché de l’énergie verte a certainement un potentiel énorme. Militer politiquement comme elle le fait actuellement pour l’implantation des mesures promises par la CCNUCC est une manière pour la Chine d’augmenter la demande étrangère pour ses industries vertes, déjà dominantes dans les domaines des panneaux solaires, des turbines éoliennes et des batteries. Pour un pays dont le ralentissement économique en inquiète plus d’un, c’est encourageant de constater la vision à long-terme du gouvernement chinois.

Ce changement de cap du pays le plus polluant au monde ne peut-être qu’applaudi par ceux qui craignent pour notre environnement. Il ne faut pas croire que la Chine se soit subitement découvert une conscience environnementale. En réalité, le contexte actuel fait en sorte que les intérêts nationaux chinois s’alignent presque parfaitement avec les objectifs de la lutte au changement climatique martelés à la Conférence de Paris. Politiquement et économiquement, la Chine se positionne avantageusement dans l’ordre mondial de demain.

Il ne faut cependant pas s’emporter. Demeurons prudent avec le dragon chinois. Même si les manoeuvres environnementales actuelles de l’Empire du Milieu sont encourageantes pour ceux qui, comme moi, sont pessimistes quant à nos chances de devancer les conséquences de la crise climatique à venir, il faut conserver un regard critique sur les agissements du parti communiste.

On ne peut non plus oublier que la Chine demeure le pays le plus pollueur du globe, et qu’il faudra patienter avoir de voir les résultats de ce revirement écologique. Le passé nous permet un peu d’espoir : la Chine est reconnu pour sa rapidité d’exécution et sa capacité à se recadrer rapidement. Avouons que le fait de ne pas avoir de parti d’opposition ne doit pas nuire: parlez en aux 1,8 millions de Chinois qui se sont vus dire que leurs emplois dans l’industrie du charbon allaient être abolis cette année.

Sauf que peu importe l’angle avec lequel on aborde la question chinoise : la Chine a encore beaucoup de chemin à faire avant de devenir le chevalier blanc, ou vert, de l’ordre mondial.

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