La Chine séduit le Conseil de Coopération du Golfe (CCG)

Tingting Wu
La REVUE du CAIUM
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6 min readSep 24, 2020

Alors que les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) sont traditionnellement alliés des États-Unis, la Chine se dessine à l’horizon comme un partenaire économique et politique avantageux. Ceux-ci voient ainsi de plus en plus d’intérêts économiques et politiques à se tourner vers l’Empire du Milieu.

Le président chinois Xi Jinping (gauche) ainsi que l’émir du Qatar Cheikh Tamim bin Hamad Al Thani (droite) passant devant une garde d’honneur. Photo: AP

Le commerce sino-CCG s’est développé rapidement, de 10 milliards de dollars en 2000 à 114 milliards en 2016, depuis que la Chine est devenue un importateur net de pétrole en 1993 et a intégré l’Organisation mondiale du commerce en 2001. En 2013, le pays devint le premier importateur de pétrole au monde et devrait se hisser au rang de première puissance économique mondiale en 2030, selon la Banque mondiale, d’où l’intérêt pour les pays du CCG de regarder vers l’est.

Connexions vers l’est

Dans le projet des Nouvelles routes de la soie lancé en 2013, les dirigeants chinois accordent une grande importance aux pays du CCG, riches en ressources naturelles. Ce fameux projet a pour but de favoriser l’intégration économique de la Chine à l’Europe et au-delà, passant par l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique, à travers un vaste réseau de chemins de fer, de routes, de pipelines, de ports et d’infrastructures de télécommunication.

Une affiche représentant la Vision 2030. Photo: Arab News

Dans le cadre de la Nouvelle route maritime de la soie, la Chine a investi 10,7 milliards de dollars dans la transformation d’un village de pêcheurs en une zone économique spéciale de Duqm, à Oman, dans le Golfe Arabo-Persique. Aux Émirats Arabes Unis, l’Empire du Milieu a conclu un accord de 300 millions de dollars du port de Khalifa, dans lequel la compagnie chinoise COSCO a obtenu le permis de construire et d’exploiter un nouveau terminal de conteneurs pendant 35 ans, pour un coût total de 738 millions de dollars. Des investissements ont également été réalisés au port de Hamad au Qatar, dans la communauté Madinat Al Hareer au Koweït, ainsi que dans le secteur de haute technologie à Bahreïn. Du côté de l’Arabie Saoudite, l’un des principaux fournisseurs de pétrole pour la Chine, Aramco et la société chinoise Norinco ont signé un contrat de 10 milliards de dollars pour la construction d’une raffinerie et d’un complexe pétrochimique. Les ressources financières et la technologie des entreprises chinoises, y compris la technologie 5G, sont ainsi indispensables pour atteindre les objectifs saoudiens de 2030, bien que les Américains s’y soient fermement opposés, craignant l’insécurité de leurs bases militaires installées dans les pays du Golfe.

Photo: Aamir Qureshi/AFP via Getty Images

Nouveaux axes géostratégiques?

De nombreuses questions se posent à propos du fait que la Chine se soit présentée comme un partenaire silencieux de l’axe russo-iranien suite aux exercices navaux conjoints dans l’océan Indien et le golfe d’Oman en 2019. La Chine est déjà le premier partenaire commercial de l’Iran; malgré les sanctions américaines contre le pétrole iranien, les exportations de pétrole iranien vers la Chine se poursuivent via le marché noir. À cela s’ajoute qu’un accord stratégique dans le domaine de la coopération économique et militaire entre l’Iran et la Chine d’une durée de 25 ans était d’ailleurs prévu en juillet 2020. Il est important de noter que la Chine s’en tient à une politique étrangère neutre, faisant appel à « cinq principes de la coexistence pacifique ».

Comme sous la dynastie des Tang, il n’est pas exclu que des bases militaires chinoises soient implantées le long de la route de la soie, ou même sur le territoire iranien, afin de sécuriser les activités commerciales, notamment dans le contexte de la rivalité sino-américaine. Toutefois, la Chine n’affiche pas, officiellement du moins, le désir de se présenter comme alternative aux États-Unis, ni de s’immiscer dans les affaires domestiques des pays du Golfe.

Une décision de la Chine de ne vendre des drones qu’à des pays tels que l’Irak, la Jordanie, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis semble démontrer qu’elle soutient les puissances du statu quo. Elle est susceptible d’approfondir ses relations avec les pays qui présentent moins de risque géopolitique, tels que l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. En effet, le rendement des investissements chinois dans ces deux pays pendant la période 2016–2019 est trois fois plus élevée qu’en Iran, pays plus risqué en termes d’équilibre géopolitique. L’embargo contre l’Iran renforce la dépendance de la Chine vis-à-vis des États arabes du Golfe.

Photo: Lintao Zhang, Getty Images

Désintérêts communs

Par ailleurs, la neutralité politique chinoise, notamment en ce qui a trait aux droits humains, tend à arranger les dirigeants du CCG, qui ne subissent aucune pression sur des réformes de la gouvernance de la part de Beijing, contrairement aux demandes émanant de pays occidentaux. C’est un enjeu qui avait poussé le prince héritier saoudien Mohammad Ben Salmane (MBS) à se tourner vers l’Asie en 2019 suite à l’affaire de Jamal Khashoggi et à la crise humanitaire au Yémen. Si Donald Trump a défendu l’Arabie Saoudite devant les Nations Unies et le Congrès américain, la position américaine pourrait changer sous une présidence hypothétique de Joe Biden.

Si la normalisation diplomatique entre Israël et les Émirats Arabes Unis en août 2020 annonce que la menace iranienne se substitue au conflit israélo-palestinien en tant que « conflit du siècle », il n’en demeure pas moins que le CCG est divisé après la crise diplomatique avec le Qatar depuis 2017 et les failles de l’alliance stratégique entre Saoudiens et Emiratis au Yémen. Au lieu de conclure une alliance collective, chaque État membre du CCG sélectionne donc ses propres alliés à partir de ses intérêts nationaux.

Malgré son approche manifestement opportuniste et son manque d’intérêt envers la politique de la région, la Chine demeure un partenaire stratégique pour le CCG, notamment dans la diversification de l’économie après-pétrole, la modernisation et la relance économique après-COVID-19. Durant la pandémie, la Chine a développé son soft power dans la péninsule arabique à coups d’aide médicale et a exprimé sa volonté de renforcer ses liens avec le Golfe.

Les pays du CCG devront-ils faire un choix entre les États-Unis et la Chine? La réponse du Premier ministre du Pakistan Imran Khan lors de son interview avec Al Jazeera, le 3 septembre dernier, en dit long : « Notre avenir économique est désormais lié à la Chine ».

Pour approfondir

China through 2020 — a macroeconomic scenario (English). World Bank China office research working paper; no. 9 Washington, D.C. : World Bank Group. http://documents.worldbank.org/curated/en/181461468242964739/China-through-2020-a-macroeconomic-scenario

Philip Gater-Smith, 28 juin 2017, “Qatar Crisis Impacts China’s Ambitious Foreign Policy”, International institute for Middle East and Balkan Studies, https://www.ifimes.org/en/9426

Eleanor Albert, 9 février 2018, “China’s Big Bet on Soft Power”, https://www.cfr.org/backgrounder/chinas-big-bet-soft-power

Julia Gurol, Jacopo Scita, “China’s Balancing Act in the Gulf Relies on Ties to Iran and Arab States”, Aug 4, 2020

“Present and Potential Dynamics of China’s Energy Policy with Tehran and Riyadh”, Gulf International Forum, July 6, 2020

Michael Doran, Peter Rough, China’s Emerging Middle Eastern Kingdom, Tablet, August 02, 2020, https://www.tabletmag.com/sections/israel-middle-east/articles/china-middle-eastern-kingdom

Camille Lons, Jonathan Fulton, Degang Sun, Naser Al-Tamimi, China’s great game in the Middle East, European Council on foreign relations, 21 octobre, 2019

Jacopo Scita, The China-Iran Agreement is not a Game-changer, https://www.kfcris.com/en/view/post/296

Julie KEBBI, Avec la crise sanitaire, 11 mai 2020, l’Arabie fait un pas de plus vers la Chine, https://www.lorientlejour.com/article/1217534/avec-la-crise-sanitaire-larabie-fait-un-pas-de-plus-vers-la-chine.html

Pakistan’s PM: Our economic future is now linked to China, 03 Sep 2020, Al Jazeera,https://www.aljazeera.com/programmes/talktojazeera/2020/09/pakistan-pm-magic-wand-change-requires-struggle-200902130450559.html

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Tingting Wu
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M.Sc. in International studies, Université de Montréal. Researcher on China/MENA relations.