La France: encore une puissance qui compte sur la scène internationale?

Vivien Geoffray
La REVUE du CAIUM
Published in
6 min readMar 15, 2022
Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, en conférence de presse le 7 février 2022. Thibault Camus/POOL/AFP

À l’image des efforts du président Macron pour désamorcer la crise en Ukraine, la France a bon espoir de faire peser son poids diplomatique sur la scène internationale afin de résoudre ce conflit. En effet, le président français a rencontré le président russe le 7 février au Kremlin en vue de désescalader la crise ukrainienne. Cependant, juste après la rencontre, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a atténué l’importance de cette réunion avec le président français: « La France est un pays leader de l’UE, la France est membre de l’OTAN, mais là, Paris n’est pas le leader. Dans ce bloc, un tout autre pays est aux manettes. Alors de quels accords pourrions-nous discuter ?» Suite à ce véritable affront, une question s’impose : la France est-elle toujours le mastodonte diplomatique qu’elle aspire à être?

Une puissance diplomatique historique

La France s’accroche à son image de grande puissance admise après 1945. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, la France, grâce à l’appui de la Grande-Bretagne, a rejoint le club des grandes puissances permettant ainsi l’obtention d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Elle met aussi un point d’honneur à participer à tous les groupes de discussion possibles ainsi qu’aux organisations internationales majeures telles que l’OTAN pour faire valoir sa position géopolitique prédominante. Toutefois, malgré le fait que la France tient toujours à son image historique de grande puissance promulguée le siècle dernier, la réalité géopolitique internationale a beaucoup changé, ce qui remet en cause le poids de l’influence française sur la scène internationale. Ces interrogations récentes sont soulevées par de nombreux faits d’actualités plaçant la France devant le fait accompli : son poids diplomatique a fortement diminué sur la scène internationale.

Une relation ambivalente avec les États-Unis

Dans un premier temps, malgré la forte présence de la France dans les organisations internationales liées au bloc occidental, celle-ci questionne les termes de ces relations avec certains pays occidentaux, remettant ainsi en cause le manque de considération de pays comme les États-Unis qui profitent de leur puissance pour faire prospérer des rapports ambivalents. La crise des sous-marins australiens catalyseur de la colère du ministre des Affaires étrangères français Jean Yves le Drian mi-septembre 2021 illustre bien cette relation délicate perçue, parfois, comme contraire aux intérêts de la France. L’élection de Joe Biden à la présidence américaine semblait pourtant de bonne augure pour réchauffer les relations franco-américaines quelque peu affaiblies lors du mandat de son prédécesseur, qui avait accentué l’unilatéralisme de la géopolitique américaine. Cependant, le début du mandat de Biden ne permit pas la remise en place d’une amitié solide, diplomatiquement parlant, entre la France et les États-Unis. Ces derniers ne considèrent effectivement pas la France comme son égal.

L’Union Européenne comme outil clé de la diplomatie française?

La France compte alors sur son rôle dans l’Europe pour l’aider à maintenir un statut de grande puissance. Elle se place en leader de l’Union européenne pour essayer de contrebalancer la puissance américaine et chinoise. C’est dans cette optique que le président Macron assume, depuis le 1er janvier 2022, la présidence du Conseil de l’Union Européenne et ce, pour les six prochains mois. Cette stratégie montre bien l’enjeu important que représente l’Union Européenne pour Macron puisque celui-ci inscrit son projet en parallèle du projet européen. Le gouvernement français aurait pu décliner la présidence du Conseil européen qui coïncide avec ses élections présidentielles. Par ce choix, Emmanuel Macron souhaite démontrer l’importance que l’État français accorde à cette organisation internationale, mais risque aussi de s’exposer à un risque de clivage lié à la question européenne en pleine campagne électorale.

L’idylle française pour l’Europe ne peut toutefois pas à elle seule pallier la perte d’influence de l’Hexagone à travers le monde. Le Brexit et les relations tumultueuses entre la France et l’Angleterre en raison de désaccords tels que la crise de la pêche privent la France de son ancien interlocuteur européen privilégié sur les questions géopolitiques. Le manque de coopération et les désaccords entre les deux pays sont préjudiciables pour la diplomatie française qui n’est plus appuyée par son homologue anglais. Cela s’illustre une nouvelle fois avec le cas des sous-marins australiens dans lequel l’Angleterre a joué un rôle important dans la mise en place de l’alliance Australie–Royaume-Uni-États-Unis (AUKUS), au détriment de la France et de son contrat avec l’Australie.

De plus, le couple franco-allemand traite quant à lui plus des affaires économiques. En effet, l’Allemagne ne partage pas les mêmes ambitions diplomatiques que la France sur la scène internationale. Cela ne permet pas le remplacement du rôle de l’Angleterre pour appuyer la France diplomatiquement, notamment sur des questions de sécurité comme elle a pu le faire par le passé. La question de l’autonomie stratégique européenne en est l’exemple parfait. Dès 1998, Jacques Chirac, alors président français, et son homologue anglais Tony Blair prônaient l’autonomie des actions militaires de l’UE. 24 ans plus tard, l’autonomie stratégique est encore une question en suspens notamment ralentie par les réserves allemandes peu décidée à allouer plus de budget dans le but de permettre une autonomie militaire européenne. Cette lenteur décisionnelle laisse pour le moment les pays européens dépendants de l’appui militaire américain pour ses interventions, comme cela a été le cas lors de la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan en 2021. La France ne peut alors prétendre posséder un poids géopolitique majeur lorsqu’elle reste dépendante d’autres puissances pour ces interventions extérieures majeures. Ainsi, l’Europe ne permet pas à la France d’accroître son influence diplomatique comme elle le voudrait à cause notamment d’un manque de coopération et d’objectifs communs au sein de l’Union Européenne et l’absence de coopération de la part d’autres partenaires comme le Royaume-Uni.

Une concurrence de plus en plus forte

La perte d’influence de la France sur la scène internationale s’explique aussi par la montée en puissance d’autres acteurs étatiques. En effet, le centre gravitationnel mondial s’est dirigé vers l’Asie grâce à la forte attraction de nouvelles grandes puissances telles que la Chine ou encore l’Inde. Ces acteurs amplifient la pression déjà grandissante sur la diplomatie française. C’est notamment le cas sur le continent africain où la France, autrefois partenaire privilégié de nombreux pays, perd depuis de nombreuses années son influence au profit d’autres acteurs étatiques. Cela est illustré par la montée d’influence de la Chine en Afrique sub-saharienne grâce à de nombreux investissements directs qui rendent les relations avec la Chine plus attrayantes pour certains pays comme la Mauritanie ou l’Angola. Si l’influence française reste importante sur le continent, elle semble se faire dépasser par l’omniprésence de la Chine sur ce même continent.

Indéniablement, le poids diplomatique de la France sur la scène internationale est aujourd’hui nettement inférieur aux ambitions internationales affichées par celle-ci. L’Hexagone est davantage vue comme une puissance moyenne par les autres pays, comme l’avait affirmé Valérie Giscard d’Estaing lors de son mandat à la présidence française en 1974. Cela étant dit, la France possède de nombreux atouts de taille dans son arsenal, à commencer par son siège permanent au Conseil de sécurité à l’ONU ainsi que son importante puissance militaire qui seront des outils indéniables pour défendre son influence géopolitique sur la scène internationale.

Comme pour la plupart des pays occidentaux, par ailleurs, la guerre en Ukraine fera office de test pour la diplomatie française, et mesurera avec précision l’écart réel entre ambitions et actions sur la scène internationale.

Pour approfondir

France Culture. 2018. Chine vs Etats-Unis vs France : la concurrence des influences étrangères en Afrique https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/chine-vs-etats-unis-vs-france-la-concurrence-des-strategies-africaine

France 24. 2021. Le débat sur une armée européenne resurgit après le retrait d’Afghanistan. https://www.france24.com/fr/europe/20210903-le-d%C3%A9bat-sur-une-arm%C3%A9e-europ%C3%A9enne-refait-surface-apr%C3%A8s-le-retrait-d-afghanistan

Courrier International. 2021. En Ukraine, Macron voit les affirmations françaises contredites par la Russie. https://www.courrierinternational.com/article/crise-en-ukraine-macron-voit-les-affirmations-francaises-contredites-par-la-russie

RFI. 2015. Le rôle et le poids de la France sur la scène internationale. https://www.rfi.fr/fr/france/20151218-role-poids-france-scene-internationale-politique-etrangere-gaulle-mitterrand-diploma

France Info. 2022. Crise en Ukraine : comment Emmanuel Macron tente de peser dans les négociations. https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/crise-en-ukraine-comment-emmanuel-macron-tente-de-peser-dans-les-negociations_4947804.html

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Vivien Geoffray
La REVUE du CAIUM

Étudiant en troisième année au baccalauréat d’Étude Internationale à l’Université de Montréal.