La place de Djibouti dans la géopolitique militaire

François Ledru Tinseau
La REVUE du CAIUM
Published in
6 min readApr 2, 2019

Le petit pays africain est au centre de plusieurs stratégies militaire de puissants pays occidentaux comme la France et les Etats-Unis, mais aussi de pays émergents comme la Chine et peut-être bientôt l’Inde.

Djibouti est un petit pays de la corne d’Afrique de 810 000 habitants coincé entre la Somalie, Érythrée et l’Ethiopie, tous considérablement plus grands. Malgré sa situation géographique, ce pays a réussi à s’affirmer sur la scène internationale grâce à une stratégie particulière, celle de l’accueil de bases militaires de pays développés.

Mais comment Djibouti a-t-elle pu réussir à obtenir une position si importante dans les enjeux militaires contemporaines de contrôle des points stratégiques ?

Un positionnement stratégique idéal

Source: Hominidés.com

À l’échelle terrestre, Djibouti n’a que peu d’avantages. Le pays est majoritairement composé d’un désert chaud avec un très faible niveau de précipitation peu favorable à l’agriculture, une industrie qui ne compose que 3% de son Produit Intérieur Brut (PIB). La majorité de ses biens de consommation proviennent de l’importation. L’atout majeur du pays est sa localisation et, par extension, sa zone économique exclusive (ZEE). Djibouti est en effet situé à un carrefour des routes commerciales maritimes, le détroit de Bab-el-Mandeb qui ouvre la mer Rouge sur l’océan Indien étant un des couloirs de navigation les plus fréquentés au monde, avec un transit de près de 3,8 millions de barils de pétrole par jour en 2015 [1]. Le détroit est ainsi une artère clé de l’économie mondiale. Ainsi, c’est non pas le pays tout entier qui est important sur le plan stratégique, mais la ville portuaire de Djibouti, qui représente plus de la moitié de la population du pays.

Cette voie de passage n’est pas exempt de dangers. Ouvrant sur le golfe d’Aden, les portes-conteneurs sont souvent victimes de piraterie provenant des eaux somaliennes à proximité, ce qui impose un contrôle étroit sur la zone par les grandes puissances. Et c’est ici que la position de Djibouti et sa politique d’accueil des bases militaires prend une partie de son sens.

Une politique d’accueil des bases militaires

Le choix d’accueillir des bases militaires donnent à Djibouti une plus forte présence internationale, tout en permettant d’augmenter le PIB par la rente. En effet, les bases militaires contribuent à hauteur de 3% à l’économie, soit le même niveau que l’agriculture mentionnée précédemment [2]. Djibouti a tout d’abord accueilli l’ancienne puissance coloniale en 1977, la France.

Réalisateur: S. Plantoni — Université de Reims — 2018 Sources: OpenStreetMap

La ville de Djibouti représente pour la France la plus grande base militaire permanente africaine, avec 1450 militaires déployés tout au long de l’année[3]. Djibouti est aussi hôte de la plus grande base militaire américaine du continent depuis 2003, avec près de 3200 militaires et plus de 3000 civils, tous dans une base de 200 hectares [4]. Stationne également un plus petit contingent de militaires japonais, mais aussi italiens et même espagnol, les espagnols étant rattachés à la base française. Mais ce qui a bouleversé l’équilibre est l’installation d’une base chinoise en 2017, pour plusieurs raisons.

Au centre de la stratégie chinoise en Afrique

La Chine s’est depuis peu installée aussi à Djibouti avec un nombre impressionnant d’hommes, bien plus que ce qui était prévu initialement. En tant que première base militaire extérieure au territoire chinois, la base de Djibouti permet à Pékin de protéger son approvisionnement en pétrole en provenance de Méditerranée, mais surtout de continuer son projet de route commerciale interconnectée, les routes de la soies que l’on connaît pour la partie maritime sous le nom de « collier de perle ». Avec ses 10 000 soldats installés en août 2017 [5], la base chinoise est désormais la plus importante de Djibouti, devant l’américaine, ce qui fait craindre à une lutte d’influence entre Washington et Pékin [6] dans la région.

Source: réseau international

Désormais premier partenaire commerciale de l’Afrique devant les Etats-Unis, la Chine voit aussi dans cette base militaire la possibilité de rapatrier ses ressortissants des pays avoisinants (surtout l’Ethiopie) en cas de conflit.

« Djibouti n’est que le début d’une nouvelle ère pour la Chine. Il s’agit avant tout de protéger ses intérêts commerciaux […]Les attachés de défense chinois en Afrique ont eu beaucoup de difficultés à trouver des solutions logistiques pour évacuer leurs concitoyens. La Chine a donc besoin d’un pied-à-terre permanent dans la région. » [7]

Une possible multiplication des bases militaires

Djibouti est désormais un enjeu de convoitise pour les puissances militaires. En plus de la Chine, deux autres pays en développement ont annoncé leurs intentions d’avoir également une base. L’Arabie Saoudite a ainsi signé une convention de coopération stratégique avec le gouvernement de la République de Djibouti, et s’apprête prochainement à stationner en permanence un contingent militaire à Djibouti [8]. L’Inde s’est aussi montré intéressée dans une possible base militaire, sans doute pour contrer l’influence grandissante de la Chine[9]. L’intérêt soudain pour le pays est bien sûr dû à son positionnement idéal et également à sa relative stabilité dans la sous-région de la Corne de l’Afrique qui est elle instable, mais avoir une base militaire à Djibouti est surtout perçu comme une possibilité de montrer sa puissance aux autres pays militaires.

« Etre à Djibouti c’est être dans la cour des grands. Je suis à côté des autres, je fais comme les autres » [10]

Le petit pays a ainsi largement profité de sa position privilégié et s’est construit sur une politique d’accueil des bases militaires, au point d’être devenu un lieu de convoitise et d’affirmation de la puissance militaire pour les pays avec des ambitions internationales comme la Chine, et peut-être bientôt l’Inde. Djibouti, grâce au prestige que lui donne les bases militaires installés sur son territoire, peut se rêver en principal nouveau hub du continent, une sorte de Singapour d’Afrique.

Références

[1] https://www.lesclesdumoyenorient.com/Geopolitique-du-detroit-de-Bab-el.html#nb19

[2] Jean Luc Martineau. “Djibouti et le “commerce” des bases militaires: un jeu dangereux ?”. L’espace politique 2018 https://journals.openedition.org/espacepolitique/4719

[3]France, Ministère de la Défense. 2018. Les forces françaises stationnées à Djibouti URL: https://www.defense.gouv.fr/operations/prepositionnees/forces-de-presence/djibouti/dossier/les-forces-francaises-stationnees-a-djibouti

[4] US Department of Defense, Inspector General, Improvements Needed in Managing Scope Changes and Oversight of Construction Projects at Camp Lemonnier, Djibouti , Report No. DODIG-2016–141, September 30, 2016, p 50

[5]Sébastien Le Belzic, “A Djibouti, “La Chine commence à déchanter””, Le Monde, 5 février 2018 https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/02/05/a-djibouti-la-chine-commence-a-dechanter_5252153_3212.html

[6]AFP et Reuters, “À Djibouti, Pékin et Washington en pleine lutte d’influence”, France 24, 7 mars 2018 https://www.france24.com/fr/20180307-chine-djibouti-pekin-etats-unis-lutte-influence-port-doraleh-militaire-securite

[7] Benjamin Barton, professeur de relations internationales à l’Université de Kuala Lumpur.

[8] Shaul Shay, “the Strategic Relations Between Saudi Arabia and Djibouti”, IsraelDefense, May 9, 2017.

[9] Claude Fouquet, “ Route de la Soie : l’Inde met à nouveau des bâtons dans les roues de Pékin” Les Echos, 25 avril 2018 https://www.lesechos.fr/2018/04/route-de-la-soie-linde-met-a-nouveau-des-batons-dans-les-roues-de-pekin-989441

[10] Thierry Pairault, Chercheur émérite au CNRS Spécialiste de la Chine en Afrique. Dans « Que fait la Chine en Afrique (Mappemonde Ep.2) » sur la chaîne YouTube du Monde https://www.youtube.com/watch?v=-ko5BxPz2OE

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François Ledru Tinseau
La REVUE du CAIUM

Etudiant en science politique à l’Université de Montréal, rédacteur au CAIUM