La relation Mexique-Canada dans les renégociations de l’ALÉNA

Équipe de Rédaction
La REVUE du CAIUM
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5 min readNov 12, 2017
Le premier ministre canadien Pierre Trudeau et son homologue mexicain Enrique Peña Nieto lors d’un rencontre à Mexico, le 12 octobre dernier. Crédit photo : TWITTER/@justintrudeau

Cet article a été proposé par Yamil Ruiz, finissant au Baccalauréat en Science politique et relations internationales et assistant de recherche au Centro de Investigación y Docencia Económicas à Mexico.

De nos jours, le Canada est le deuxième partenaire commercial le plus important du Mexique en matière d’exportations, après les États-Unis. En 2016, le Mexique y a exporté près de 10 400 millions de dollars. De manière réciproque, le Mexique est le troisième exportateur le plus important pour le Canada, après les États-Unis et la Chine.

Depuis la signature et la mise en place de l’Accord de Libre-Échange Nord-Américain (ALÉNA) en 1994, le commerce entre ces deux pays s’est accru de manière exponentielle. C’est pour cette raison que la relation entre le Mexique et le Canada joue un rôle important dans la stabilité financière et économique interne des deux pays. Il y a donc un bénéfice commun aux deux à ce que leurs liens politiques soient de plus en plus stratégiques. Après la victoire et le protectionnisme enraciné de Donald Trump, qu’en est-il de cet accord ? À quoi peut-on s’attendre ?

La relation entre le Mexique et le Canada est moins étudiée, puisque leur relation primordiale est avec les États-Unis. Certes, en termes géographiques, ils sont les « voisins » de cette superpuissance économique, et en histoire, les États-Unis sont devenus le centre de gravité économique du Mexique et du Canada. Toutefois, c’est à la fin du XXe siècle que leurs relations bilatérales se sont accrues.

La Signature de l’ALÉNA par le premier ministre canadien ainsi que les présidents mexicains et américains en 1994. Crédit photo : Solidarité Internationale

Tout d’abord, il s’avère nécessaire de préciser que, si l’ALÉNA était dissous, le Mexique et le Canada ne se retrouveraient pas dans un « vide institutionnel », puisque des relations bilatérales indépendantes existaient déjà entre les deux, et peuvent encore se renforcer. L’Alliance Canada-Mexique, fondée en 2004, comprend des axes de coopération formalisés en termes de commerce, d’investissement, d’agro-industrie, d’environnement, et de mobilité des travailleurs. Les rencontres entre le Ministre mexicain de l’Économie, Ildefonso Guajardo, et la Ministre des Affaires Étrangères du Canada, Chrystia Freeland, mettent l’accent sur ces relations bilatérales, qui pourraient servir comme une « aire d’opportunité », au cas où les États-Unis décident de partir.

Il est intéressant d’observer le comportement du système politique canadien dans ce contexte de changement institutionnel. D’un côté, on devrait s’attendre à une forte défense de la préservation de l’ALÉNA de la part du Parti Libéral au pouvoir, car ce dernier soutient une idéologie libérale (économique et politique). Étant donné que le libéralisme met l’accent sur l’importance des institutions dans la coopération entre les États, ce parti devrait alors essayer de renforcer et moderniser les institutions créées au cours du siècle précédent.

Du côté de l’opposition, Le Bloc Québécois défend les intérêts particuliers du Québec, en raison de son idéologie nationaliste, et s’est souvent plaint du manque de représentation de cette province sur la table de négociations. La défense de l’industrie québécoise est au cœur de son discours. De plus, la représentante de l’opposition, Rona Ambrose, chef intérimaire du Parti Conservateur, considère que l’élimination du traité affecterait négativement principalement le Mexique, mais également le Canada. Son discours a été centré sur l’incapacité des négociateurs canadiens, afin de nuire à l’image du parti au pouvoir. Pour des raisons de solidarité, et de sécurité économique, les négociations devraient donc s’articuler dans la convention libérale de « gagner, gagner, gagner ». Dans ce sens, les partis politiques du Canada, qui sont normalement fragmentés et opposés dans leur idéologie, et dans une lutte constante, ont atteint un consensus en matière de politique extérieure : l’ALÉNA est une institution à conserver (même à améliorer), si on veut assurer le bien-être du Mexique, mais principalement du Canada.

Les axes du débat entre le Mexique et le Canada pendant ces renégociations sont nombreux. Les salaires des travailleurs ont été un sujet polémique, puisque les syndicats canadiens et certaines autorités politiques ont insisté sur l’insuffisance des salaires au Mexique. Cependant, les salaires des travailleurs mexicains au Canada sont-ils justes ?

Le Programme de Travailleurs Agricoles Temporaires est un exemple de programme qui renforce la mobilité des travailleurs entre le Mexique et le Canada. Si les salaires sont insuffisants au Mexique pour une bonne qualité de vie, certains se demandent si les travailleurs de ce programme bilatéral sont bien payés. En effet, ils ne reçoivent pas le même salaire que les travailleurs canadiens, c’est pourquoi le programme est convenable pour les employeurs et les entreprises canadiennes : la main d’œuvre mexicaine est bon marché. Comment pourrait alors s’articuler une politique de salaires dans la relation entre le Mexique et le Canada, si elle est déjà inégalitaire, en raison des différences internes ?

Un autre thème important a été celui des droits humains, en ligne avec le libéralisme canadien. La visite de Justin Trudeau au Sénat mexicain a été une opportunité pour défendre les droits des femmes, suite à l’augmentation des assassinats de femmes au Mexique, qui ont alimenté les manifestations intenses de mouvements sociaux, et des de fortes réactions dans les réseaux sociaux.

Originellement évaluée à près de 1.6 milliards de dollars, la construction de cette usine Ford à Villa de Reyes a été annulée, conséquence de la ligne dure de Trump sur l’ALÉNA. Crédit photo : Pedro Pardo / AFP/Getty Images via LATIMES

Aujourd’hui, plus que jamais, il faut savoir distinguer entre les termes « américain » et « états-unien », car la politique extérieure de Trump remet de plus en plus en question l’appartenance des États-Unis à l’Amérique du Nord. Ceci est dû en grande partie au contrôle de la politique extérieure des États-Unis par le président. Par contre, les décisions de politique interne sont régulées par le Congrès. Un jeu de pouvoir entre le Congrès et le président sera donc de mise pendant les renégociations. Il faut également distinguer le discours des vrais intérêts. « Éliminer » n’est pas « renégocier » le traité. Les trois pays sont conscients de la chute économique dont ils seraient victimes si le traité était éliminé. C’est pourquoi les négociations cherchent plutôt à améliorer le complexe juridique et institutionnel qui les relie, vu l’ancienneté du traité. La nouvelle situation démographique, la balance de paiements, le taux de change, le schéma de salaires et les conditions pour les travailleurs, les règles d’origine, l’environnement et de la clause de Nation la Plus Favorisée se révèleront être des enjeux chauds et à surveiller lors de ces négociations.

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Équipe de rédaction du Comité des Affaires Internationales de l’université de Montréal, chargée de publier les textes soumis par les étudiants.