La sécurisation du golfe d’Aden : un manque de coopération évident ?

Jadeli Scott
La REVUE du CAIUM
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9 min readMar 15, 2018

Le golfe d’Aden est une baie située entre la péninsule arabique et la corne de l’Afrique : elle marque ainsi une division entre le continent asiatique et africain. À proximité de l’embouchure du détroit de Bab el-Manded, de la mer Rouge et du canal de Suez, la zone commerciale du golfe fait l’objet de convoitise. Abritant une des routes maritimes les plus empruntées au monde, près de 20% des exportations mondiales et 10% du transit pétrolier[1]sont acheminées annuellement.

Concurrence et occupation militaire; la zone est ainsi animée par les actions entreprises par les grandes puissances occidentales. Par conséquent, les corridors maritimes demeurent des portes océaniques pour les flux commerciaux. Cependant, il faut soulever que les intérêts des divers acteurs économiques ne convergent pas toujours malgré leur objectif commun d’assurer la sécurité dans cette région. Or, c’est dans cette optique qu’il faut soulever le manque apparent de coopération des États dans la zone maritime de la corne de l’Afrique.

Djibouti : une figure de stabilité dans une zone sensible

Ayant connu son indépendance en 1977 avec 98% des voix se montrant en faveur de l’émancipation du Djibouti, le destin djiboutien aura pris une tournure inattendue dans les années qui suivirent. Certains experts avaient déjà prédit l’avenir déchu du pays. Notamment, l’agence Associated Press avait eu quelques appréhensions quant au nouvel État qualifié comme un pays avec peu de ressources excepté « du sable, du sel et 20 000 chameaux » [2].

Toutefois, Djibouti est symbole de stabilité dans une région qui est agitée par les activités de piraterie, le trafic de drogue et la violence chronique. Sa croissance économique peut néanmoins être expliquée par les relations connexes que le pays entretient avec l’extérieur parmi lesquelles se trouve la primauté de l’acheminement de biens et de pétrole [3].

En somme, les investissements massifs de Djibouti se concentrent principalement dans le développement de ses infrastructures portuaires afin de servir de transit pour les échanges commerciaux et de garantir l’amélioration des conditions sociales du pays. À cet effet, les investissements chinois sur le sol djiboutien permettent de consolider l’extension d’un port et de faire fleurir la relation entre Xi Jinping et le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh.

Rencontre à Pékin entre le président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh et le président chinois Xi Jinping Source : Jason Lee / AFP

Dès lors, afin de bénéficier de la géo-position du golfe d’Aden, les États-Unis, la France, le Japon et maintenant la Chine, installent leurs bases militaires non loin des régions en crise en Afrique et au Moyen-Orient afin d’intervenir dans la lutte contre le terrorisme. Cependant, pour certains membres de la communauté internationale, l’implantation militaire en sol africain sous-tend des intérêts cachés. À cet égard, il aurait été audacieux d’assister à une coopération internationale contre une lutte qui semble commune : le terrorisme mis en exergue. Cependant, chaque État voit en Djibouti un acteur dont il peut exploiter ses ressources à des fins commerciales, ce qui met en péril une lutte qui aurait pu être menée collectivement afin d’éradiquer véritablement les actes de terrorisme.

« Mon pays est devenu un porte-avions occidental », se lamente Mohamed Kadamy, dirigeant du Front pour la Restauration de l’Unité et de la Démocratie (FRUD) [4]

Du Moyen-Orient en Afrique : les intérêts militaires américains

Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les troupes américaines se sont installées sur le territoire djiboutien afin de mener une lutte contre les terroristes surnommée Combined Joint Task Force-Horn of Africa. À partir de l’aéroport de Djibouti, les avions américains s’envolent pour bombarder en Somalie, où les troupes d’Al-Qaïda mènent un règne de terreur et prêtent appui aux Saoudiens du Yémen. Par conséquent, le vif intérêt des Américains à l’égard de Djibouti s’explique par la proximité des conflits au Moyen-Orient et en Afrique, où une partie des opérations de déploiement et des interventions américaines sont menées.

De ce fait, les interventions américaines en Afrique sont dans le but d’éradiquer les cellules terroristes, mais d’assurer également la sécurité des côtes et des routes maritimes, dont le golfe d’Aden et la mer Rouge, ainsi que d’exploiter les nombreux gisements pétroliers se trouvant dans la région. Enfin, il ne fait aucun doute que les États-Unis souhaitent projeter leur puissance à partir de la présence militaire à Djibouti tout en privilégiant, du moins, la démocratisation en Afrique [5].

Chargement d’une mitrailleuse M240 à bord d’un bateau américain au camp Lemonnier à Djibouti Source : Courtesy Photo

Malgré cela, non loin du camp de Lemonnier, la nouvelle base militaire chinoise est perçue comme une menace venant de Pékin pour l’armée américaine : un défi qui rend amer le pays de l’oncle Sam. Enfin, la volonté d’assouvir leur pouvoir dans cette zone tout en cohabitant avec la présence française et maintenant chinoise peut donner lieu à un théâtre de luttes politiques et économiques où les États-Unis ne possèdent pas toujours le contrôle.

Le collier de perles de la Chine

Suite à sa participation en 2008 à une opération anti-piraterie dans la mer Rouge, la Chine entreprend à son tour l’implantation d’une base militaire qui sera composée de 10 000 soldats. En coopération avec l’OTAN, sous l’opération Ocean Shield, l’implantation de cette base est une intervention tout à fait inusitée [6].

Certes, pour la première fois, la Chine implante une base militaire étrangère hors de son territoire national et contredit donc sa politique étrangère de non-ingérence en territoire africain.

La République populaire de Chine justifie sa position en réitérant qu’elle le fait par souci de responsabilité et par volonté de perpétuer ses ambitions économiques dans cette zone. Suite à la présence accrue en Afrique des troupes chinoises, le président chinois a proclamé que :

« […] la défense des intérêts nationaux et la sécurité des mers sont deux nouveaux credo érigés en principe par [la Chine].» [7]

Parallèlement, cette stratégie peut s’insérer dans celle du « collier de perles » chinois, qui consiste à assurer la sécurité des voies maritimes jusqu’au Moyen-Orient, dans le but de garantir l’approvisionnement énergétique de la Chine. Consciente de sa dépendance face aux autres pays concernant ses besoins énergétiques, il est primordial pour Pékin de se munir d’une telle stratégie lui garantissant ainsi un acheminement efficace des ressources dont elle nécessite [8].

Une route en construction en Chine s’inscrivant parmi le projet de la route de la soie Source : Radio-Canada/ Yvan Côté

Il faut mentionner que pas moins de 1 500 navires marchands empruntent le golfe d’Aden annuellement, sans compter ceux provenant d’autres pavillons d’appartenance diverse à la Chine [9].

Par conséquent, la présence chinoise dans le golfe d’Aden est non seulement dans l’objectif d’améliorer leurs stratégies maritimes, mais aussi dans l’intention du président Xi Jinping de poursuivre le projet de «route de la soie» partant du territoire national chinois jusqu’à la mer Rouge [10]. Ainsi, afin d’exporter leur modèle de développement, la Chine veut se munir d’une voie alternative aux flux commerciaux maritimes en construisant une voie plus rapide pour les échanges entre l’Europe et la Chine qui passerait entre autres en Afrique.

L’implantation militaire à Djibouti ne saurait être vue autrement qu’une démonstration de pouvoir encore plus considérable que la Chine exerce sur le sol africain. Sa base militaire permettra décidément de surveiller ses navires maritimes transitant par le golfe. Toutefois, la stratégie diplomatique de la Chine se veut autant militaire qu’économique : elle ne reculera point devant l’opportunité de démontrer qu’elle est aussi puissante que les grands États américains et européens déjà établis sur le continent africain, et cette présence en dérangera plusieurs.

Opération Atalante : une légitimation de sécurité et de défense ?

Face aux faits cités plus haut, nul n’est sans savoir que la zone à proximité du golfe d’Aden cohabite avec de lourdes réalités : actes de piraterie, pêche illégale, trafic de drogues et vols à main armée occasionnant des pertes annuelles d’environ 600 millions de dollars [11]

Les opérations navales, soulevons ici l’opération Atalante, fut une opération militaire menée par le Conseil de l’Union Européenne le 8 décembre 2008 dans le cadre de la politique européenne concernant la sécurité et la défense (PESD) [12]. Elle avait comme objectif de lutter contre les actes de piraterie et les vols à main armée dans l’océan Indien.

Quoi qu’on en dise, il ne faut pas outrepasser le fait qu’Atalante fut justifiée par le besoin de légitimation de la PESD ainsi que l’intérêt des marines de guerre de promouvoir leur utilité. Ainsi, l’Union européenne a pu se prévaloir d’un siège au Groupe de contact sur la piraterie. De plus, cela lui a permis de négocier des accords entre les diverses forces navales afin de mettre à l’avant une coopération internationale, ce qui lui a valu une reconnaissance du Conseil européen [13]. Néanmoins, l’initiative européenne n’a pas été en mesure d’éradiquer complètement les actes de piraterie, mettant ainsi à l’épreuve la coopération de la communauté internationale.

Des soldats de la marine chinoise ayant quitté la province de Guangdong afin de sécuriser Djibouti Source : Agence France-Presse

Une coopération internationale déficiente

Il est évident que la politique étrangère autant américaine que chinoise menée en Afrique représente une stratégie commerciale diplomatique. Conscients de la géo-position de Djibouti, les deux pays ont établi des bases militaires, notamment dans le but de mener une lutte anti-terroriste. Toutefois, le jeu politique qui se cache derrière les intentions de ces puissances démontre que les membres de la communauté internationale ne sont pas prêts à coopérer dans le but de fournir l’aide nécessaire dans cette région.

En effet, les intérêts de chaque État divergent dans son ensemble. Toutefois, un point commun les relie tous : un manque de coopération nonobstant leur affection similaire pour la zone maritime. D’une part, il va sans dire que la corne de l’Afrique regorge de ressources naturelles dont la Chine désire en tirer profit. D’autre part, les États-Unis, grands rivaux de Pékin, souhaitent maintenir son unique base militaire permanente en sol africain, mais l’implantation de la base chinoise est perçue comme une menace pour l’armée américaine.

Décidément, il est évident que les intérêts opposés des acteurs devraient être outrepassés afin d’assurer une coopération beaucoup plus profitable. Dans cette optique, ceci aura comme effet une meilleure cohésion de bénéfices dans la zone maritime du golfe d’Aden et permettrait de sécuriser la région plutôt que de faire planer constamment un sentiment de méfiance et de compétition à l’égard d’autrui.

Toutes [les] opérations [menées pour la lutte contre la piraterie en mer] ont le même objectif et rassemblent les mêmes intervenants, mais chaque organisation et chaque pays cherchent à en tirer un bénéfice politique propre qui nuit à la cohésion [14].

Bibliographie

  1. Chanda, Tirthankar. 2017. « Djibouti, la minuscule cité-État du Golfe d’Aden, et ses sept armées ». Dans RFI Afrique. En ligne. http://www.rfi.fr/afrique/20170627-djibouti-guelleh-cite-etat-aden-sept-armees-independance-aptidon (page consultée le 14 février 2018).
  2. Id.
  3. Afrique. Groupe de la banque africaine de développement. 2018. Perspectives économiques au Djibouti. En ligne. https://www.afdb.org/fr/countries/east-africa/djibouti/djibouti-economic-outlook/ (page consultée le 20 février 2018).
  4. Conchigliale, Augusta. 2012. « Djibouti : Mohamed Kadami : “Mon pays est devenu un porte-avions occidental” ». Dans Afrique-Asie. En ligne. http://www.afrique-asie.fr/djibouti-mohamed-kadami-mon-pays-est-devenu-un-porte-avions-occidental/ (page consultée le 12 février 2018).
  5. Struye de Swielande, Tanguy. 2006. « La grande stratégie américaine dans l’après 11 septembre ». Stratégique 86 (1) : 32.
  6. Le Belzic, Sébastien. 2017. « Djibouti, l’avant-poste militaire de la Chine en Afrique ». Dans Le Monde. En ligne. http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/17/djibouti-l-avant-poste-militaire-de-la-chine-en-afrique_5161535_3212.html (page consultée le 11 février 2018).
  7. Id.
  8. Amelot, Laurent. 2010. « La stratégie chinoise du « collier de perles ». Outre-Terre 2 (25–26) : 192.
  9. Brisset, Jean-Vincent. 2017. « Golfe d’Aden : cette très discrète intervention chinois dans le golfe d’Aden qui en dit long sur les ambitions de Pékin ». Dans Atlantico. En ligne. http://www.atlantico.fr/decryptage/golfe-aden-cette-tres-discrete-intervention-chinoise-dans-golfe-aden-qui-en-dit-long-ambitions-pekin-jean-vincent-brisset-chine-3023854.html (page consultée le 22 février 2018).
  10. Côté, Yvan. 2016. « La route de la soie, le vertigineux mégaprojet de la Chine ». Dans Radio-Canada. En ligne. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/780010/route-soie-chine-xi-jinping-projet-economie (page consultée le 12 février 2018).
  11. Sartre, Patrice. 2010. « La communauté internationale face à la piraterie en mer » (note de recherche No 11). Centre Thucydide sur l’analyse et la recherche en relations internationales, Université de Paris II.
  12. France. Ministère de la Défense. 2017. Atalante : le Courbet auprès de l’Aris 13, au large des côtes somaliennes. En ligne. https://www.defense.gouv.fr/operations/operations/piraterie/actualites/atalante-le-courbet-aupres-de-l-aris-13-au-large-des-cotes-somaliennes (page consultée le 11 février 2018).
  13. Patrice Sartre., op. cit., p.812.
  14. Ibid., p.811.

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Jadeli Scott
La REVUE du CAIUM

Étudiante au baccalauréat en études internationales à l’Université de Montréal