L’ambivalence du droit face aux mobilisations en faveur des mouvements LGBT au Cameroun

« L’homosexualité n’est pas importée, c’est sa répression qui l’est » — Me Alice Nkom

Katérie Lakpa
La REVUE du CAIUM
7 min readJul 20, 2018

--

Source : Premier évènement de la fierté gai en Afrique de l’Est (Ouganda) Gay pride africa

Les droits des homosexuels se retrouvent souvent bafoués, notamment sur le continent africain. La prohibition de l’homosexualité provient d’un héritage juridique colonial qui perdure encore aujourd’hui et marginalise la communauté LGBT africaine [3]. S’inspirant des anciens codes pénaux occidentaux, particulièrement français, plusieurs pays d’Afrique punissent pénalement l’homosexualité [3]. C’est le cas du Cameroun disposant à l’article 347 de son Code criminel qu’« est punie d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20.000 à 200.000 FCFA toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe. » [5]

Source : International Lesbian, gay, bisexuel, trans and intersex association, http://www.davidmixner.com/lgbt-africans/

Le combat des mouvements LGBT africain

En réaction, les mouvements LGBT sont de plus en plus nombreux en Afrique. La majorité d’entre eux utilisent les instances légales comme arme contre un système déniant les droits de ces personnes. Dans plusieurs Constitutions, il est spécifié que l’État doit protéger les minorités, or cela englobe-t-il forcément les minorités sexuelles ? Ainsi, les organisations de défense pro- LGBT plaident que les minorités sexuelles méritent aussi la protection de l’État au même titre que toutes les autres minorités. [2] Toutefois, la perception que les gens ont du droit semble souvent ambivalente, en ce sens où la population a besoin du système juridique tout en étant méfiante à son égard. A fortiori, les instruments juridiques sont utilisés autant comme outil de domination sociale que de protection de la société face à l’État. Cette ambivalence se fait ressentir aussi dans l’interprétation du droit pour défendre les causes LGBT. Ainsi, ce vide juridique soulève une question importante, le droit ne devrait-il pas protéger les minorités sexuelles ? Tel que mentionné plus haut, certains États africains utilisent le droit comme outil de répression envers les minorités sexuelles. En réponse à cela, les mouvements sociaux tentent d’utiliser le droit afin de limiter les privilèges du groupe dominant. Face à cette méfiance de la population, les organisations ont besoin de redoubler d’efforts afin de créer un certain éclairage sur la question.

Ainsi, lutter pour les droits LGBT au Cameroun demande une grande détermination et un courage à toute épreuve. D’ailleurs, rares sont les juristes choisissant ce périlleux défi au péril de leur propre vie. La Fédération internationale des droits de l’homme (ci-après FIDH) fait état d’événements pour le moins inquiétants tels qu’« une série de menaces de mort adressées par courriel et par SMS à deux avocats spécialisés dans les droits humains, Alice Nkom et Michel Togué, incluant la menace de tuer leurs enfants. Les deux avocats ont déposé plainte auprès de la police et de la justice, sans aucun effet. » [7] Cet exemple démontre le manque d’effectivité dans la loi allant jusqu’à mettre en péril la vie de militants pour les droits de l’homme.

Malgré tout cela, certains organismes tels qu’Alternative-Cameroun, l’Association de défense des homosexuels (ci-après ADEFHO) et la Commission internationale des droits humains des gays et lesbiennes (ci-après IGLHRC) prennent le risque de se porter au secours des minorités sexuelles. Certains de ces défenseurs usent de stratégie-prétexte afin de sensibiliser la population et venir en aide aux minorités sexuelles. En effet, cela se concrétise par la lutte contre le VIH/Sida afin de réduire les risques de persécutions. En d’autres mots, il s’agit d’un moyen qu’utilisent certaines de ces organisations afin de contourner la pénalisation de l’homosexualité et, du coup, recueillir du financement public par le truchement de fonds octroyé pour la santé.

La question de l’accessibilité pour tous des organisations de défense des minorités

Source : LGBT Africa

Bien que ces organisations soient d’une aide importante pour la communauté LGBT, il n’en demeure pas moins qu’elles ont leurs limites. Par exemple, selon l’auteur Patrick Awondo le coût d’adhésion d’Alternative-Cameroun peut s’élever jusqu’à 10 000 FCFA. [2] Cela ne permet pas aux homosexuels issus de tous les milieux de participer aux différentes activités offertes par l’organisation. [3] Ironiquement, Awondo explique dans son texte que des jeunes garçons soupçonnés d’homosexualité et issus de milieux pauvres ont été victimes d’une véritable chasse aux sorcières orchestrées par le président camerounais Paul Biya. [2] Ne serait-il pas élitiste d’offrir une mobilisation d’une telle somme, soit 10 000 FCFA? Sachant que le salaire minimum interprofessionnel garanti (ci-après smig) vient d’être augmenté passant de 23 000 FCFA à 36 270 FCFA, les coûts d’adhésion sont considérables pour un travailleur moyen. [8] En ce sens, il semblerait que certaines régions pauvres et éloignées ainsi que certaines couches de la société sont délibérément mises de côté par ces organisations telles qu’Alternative-Cameroun.

Les normes internationales et la protection des minorités

Que fait la communauté internationale afin de protéger les minorités sexuelles camerounaises persécutées ? Il est important de comprendre que dans beaucoup d’États africains les normes internationales sont perçues comme un élément de domination de l’Occident sur l’Afrique, et ce, même si elles ne sont pas contraignantes. La population africaine cultive une méfiance de l’Occident notamment par le biais des médias, de certaines autorités religieuses et de gouvernements. [3] En outre, l’ancien président du Zimbabwe Robert Mugabe ainsi que d’autres personnalités publiques soutiennent que l’homosexualité a été importée en Afrique par les Occidentaux. [3] En ajout à cela, plusieurs personnalités influentes religieuses camerounaises critiquent le Traité d’Amsterdam qui interdit à ses membres toute forme de discrimination. [2] La population est donc très sceptique envers les organisations occidentales pro-LGBT qui s’installent en Afrique ou qui subventionnent des organismes locaux.

À la lumière de tout cela, le droit international ne dispose d’aucun instrument défendant explicitement les droits LGBT. Bien entendu, la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Traité d’Amsterdam protègent les droits des minorités, mais pas explicitement les minorités sexuelles. Chaque État étant souverain, nulle n’est contrainte de se soumettre aux différentes normes internationales et est laissé à sa libre interprétation du concept de « minorité ». De surcroît, il y a ici un important flou juridique quant à la définition des concepts. Face à ce vide juridique, ignorer les droits des LGBT ne serait-il pas illégitime, voire même irresponsable ? Aussi, la liberté sexuelle peut-elle se prévaloir d’une justification crédible largement acceptée pour contraindre les pays opposants ? En d’autres mots, le dilemme est tripartite à savoir si l’homosexualité doit être abordée et encadrée en Afrique, singulièrement au Cameroun, à la lumière de valeurs intrinsèques ou plutôt d’un prisme exogène. D’un autre côté, doit-on encadrer les lois sur les minorités sexuelles selon un corpus normatif tenant compte de cette dualité malgré les risques potentiels pour l’identité nationale ?

En conclusion, la question des droits LGBT demeure très controversée en Afrique. Plusieurs militants tels qu’Alice Nkom et Michel Togué risquent leur vie afin de venir en aide à cette communauté. Bien que certaines personnalités publiques africaines affirment que l’homosexualité est une importation occidentale, il semblerait que ce soit plutôt la pénalisation des minorités sexuelle qui soit issue d’un héritage colonial. Cet héritage normatif semble très peu tolérant face aux minorités sexuelles sur le territoire camerounais. Bien que certaines organisations soient en place afin de lutter et d’offrir du support à la communauté LGBT, certains auteurs ont relevé une ambivalence liée au coût élevé d’adhésion à certaines de ces organisations. Sur le plan international, bien que certaines conventions soient mises en place afin de protéger les minorités, il serait souhaitable qu’une convention soit consacrée implicitement à la défense de la communauté LGBT. Cela permettrait de faire des pressions sur les législations pénales répressives ainsi que les discours politiques à caractère homophobe.

Références

Monographies

[1] Awondo, Patrick. (2010) « 3. Cameroun. La sexualité entre jeunes hommes dans les années 2000 ». Les jeunes et la sexualité. Initiations, interdits, identités (XIXe-XXIe siècle). pp. 363–373.

[2] Awondo P. et al. (2013). « Une Afrique homophobe ? Sur quelques trajectoires de politisation de l’homosexualité : Cameroun, Ouganda, Sénégal et Afrique du Sud », Raisons politiques, vol.1, n°49, pp. 95–118.

[3] Guébeguo C. (2009). « Penser les “droits” des homosexuel/les en Afrique : du sens et de la puissance de l’action associative militante au Cameroun », Canadian Journal of African Studies, vol. 43, n°1, pp. 129–150.

[4] Geshière. P. (2010). «Homosexuality in Cameroon: Identity and persecution». In Urgency required: Gay and lesbian right are human rights. Amsterdam Institute for Social Science Research (AISSR. 292 pages.

Sites internet

[5] Code pénal camerounais. https://www.oas.org/juridico/mla/fr/hti/fr_hti_mla_instruction.pdf. En ligne. Consulté le 2 novembre 2017.

[6] Ludovic Ladǒ, « L’homophobie populaire au Cameroun », Cahiers d’études africaines. En ligne. 204 | 2011. Mis en ligne le 06 janvier 2014. Consulté le 29 novembre.

[7] Site officiel de la Fédération international des droits de l’homme, Cameroun : Lettre ouverte conjointe aux autorités camerounaises sur la situation des personnes et militants LGBTI. http://www.fidh.org . En ligne. Consulté le 10 novembre 2017.

[8] Site official du gouvernement camerounais, Décret no. 2014/2217, http://www.spm.gov.cm/documentation/textes-legislatifs-et-reglementaires/article/decret-n-20142217pm-du-24-juillet-2014-portant-revalorisation-du-salaire-minimum-interprofessionn.html, En ligne, consulté le 4 décembre 2017.

[9] Site officiel de Human rights watch. Coupable par association. Violation des droits humains commises dans l’application de la loi contre l’homosexualité au Cameroun. https://www.hrw.org/fr/report/2013/03/21/coupables-par-association/violations-des-droits-humains-commises-dans-lapplication. En ligne. Consulté le 24 novembre 2017.

--

--

Katérie Lakpa
La REVUE du CAIUM

Titulaire d’un baccalauréat en science politique spécialisé en relations internationales. Actuellement candidate à la maîtrise en droit international (L.LM).