L’Antarctique : terre de paix et de sciences, jusqu’à quand?
Ce texte a été proposé par Eugénie Veilleux, membre du Comité de rédaction du CAIUM et étudiante en Études internationales à l’Université de Montréal.
C’est en réponse aux tensions et litiges territoriaux entre sept pays que le traité sur l’Antarctique fut signé en 1959. Ce traité proclame que le territoire n’appartient à aucun État et sera considéré comme une partie du patrimoine commun de l’humanité. Il contient l’interdiction de toute activité militaire ou minière du sous-sol de l’Antarctique jusqu’en 2048. Après la Guerre froide, le protocole de Madrid de 1991 est venu réglementer les activités au pôle Sud et stipule que l’Antarctique est une terre privilégiée pour la paix et les sciences.
Cette « terre de paix et de sciences » que l’on connait aujourd’hui sera-t-elle la même lorsque le traité sera levé en 2048 et que les États seront beaucoup plus conscients des ressources et du potentiel que cache cette région ?
Bien que pacifique, l’activité humaine sur le territoire ne cesse de croitre et cela entraîne de nombreux inconvénients. L’Antarctique est un continent extrêmement fragile et indispensable à l’équilibre écologique, mais devient de plus en plus menacé par les litiges territoriaux alimentés par la contingence de la terre ainsi que par les nombreux intérêts économiques des pays, incluant le tourisme.
Un autre problème prépondérant réside dans le fait que le continent est l’objet d’un régime juridique défini uniquement par le traité sur l’Antarctique de 1959 qui est sujet à plusieurs ambiguïtés. Cette « terre de paix et de sciences » que l’on connait aujourd’hui sera-t-elle la même lorsque le traité sera levé en 2048 et que les États seront beaucoup plus conscients des ressources et du potentiel que cache cette région ?
Au début du XXe siècle, les recherches scientifiques en Antarctique se multiplièrent et les scientifiques prirent conscience des innombrables richesses qu’offrait cette terre. La Norvège fut la première à revendiquer une partie du territoire en apposant son drapeau à l’extrême pôle Sud. Alors que Londres demandait la juridiction sur un million de kilomètres carrés, la Russie possédait déjà cinq stations permanentes en Antarctique dès 1920. La France, quant à elle, voulait une partie de l’océan attenante à l’océan Indien et l’Australie et la Nouvelle-Zélande prétendaient à 65% du secteur pacifique de la région australe.
Dès 1930, on découvre des gisements de pétrole dans les planchers du continent, mais ceux-ci se tenaient à une profondeur telle que seul le Japon détenait les technologies nécessaires pour y accéder, justifiant ainsi leur revendication. Finalement, le Chili, l’Argentine et l’Afrique du Sud s’étaient ingérés pour des raisons de proximité.
Même si les revendications de territoires ont été gelées pendant la Guerre froide, on y observe tout de même des différends frontaliers encore aujourd’hui, entravant la bonne gouvernance de la région. Mais au-delà des gains de territoire, pourquoi le pôle Sud finit-il par être un continent si hautement contingenté ?
La « terre de paix et de sciences » réunit au-delà de 5000 chercheurs par année de plusieurs domaines : des astrologues, des océanographes, des biologistes, des glaciologues, des physiciens et géophysiciens, et bien évidemment, des climatologues. Par ailleurs, c’est en Antarctique qu’il est possible d’observer la diminution périodique de la couche d’ozone et que l’on prit conscience de la raréfaction du gaz intercepteur des UV. Mais il faut garder une chose en tête : le monde scientifique est un monde à la fois d’entraide et de compétition.
D’abord, l’Antarctique est un continent grandement contingenté par les biologistes pour sa faune et sa flore unique. Les conditions ambiantes leur permettent également d’étudier la façon dont les températures rigoureuses et la présence de l’être humain agissent sur l’adaptation et les techniques de survie d’un grand nombre d’organismes. Ensuite, il est très attrayant pour les astrologues puisqu’on y retrouve la vision la plus nette de l’espace au monde. Les températures les plus basses réduisent au maximum les quantités de vapeur d’eau dans l’air et il y a absence totale de pollution lumineuse. Mais avec toutes ces spectaculaires avancées, où est la crise?
Malgré les politiques de restriction établies, les pays sont portés à investir, développer et agrandir leurs centres de recherches aux pôles. On assiste au pôle Sud à une véritable « course aux brevets » et un investissement massif qui porte les États à s’accaparer des espaces et agir selon leurs propres intérêts, notamment économiques.
En 2013, Michel Rocard, chargé des affaires de l’Antarctique, a avancé que «les besoins pétroliers menacent le traité ». Selon lui, malgré les coûts élevés que représenterait l’exploitation du pétrole en terre australe, l’activité s’avérera rentable dans les prochaines années. Plusieurs pays sont déjà bien actifs dans la recherche pour l’extraction de cet or noir, grâce à des investissements importants, des alliances politiques, des désirs de s’accaparer des terres ainsi que des recherches scientifiques particulières.
Puis, la faune abondante représente une activité économique intéressante pour certains pays, tels le Japon et la Russie, principalement pour la pêche et la vente de poisson. Le traité de 1959 ne réglementait pas ces activités. Ce n’est que le 28 octobre dernier que la Russie finit par accepter de lever son veto pour la création du plus grand sanctuaire marin au monde dans la mer de Ross, sous juridiction néo-zélandaise. Cette mer abrite des écosystèmes exceptionnels de plus de 10 000 espèces uniques, qui étaient de plus en plus menacées par les navires de pêche à la limite dévastateurs.
Finalement, l’une des plus grandes menaces modernes de l’Antarctique est la croissance inarrêtable du tourisme. Le traité de 1959 n’en fait d’ailleurs pas mention, vu la récence du phénomène, mais en constitue une lacune importante. Seulement deux textes contraignants sur le sujet ont été votés par le comité consultatif du Protocole de Madrid. Il revient aux États membres de garantir la mise en œuvre du Protocole. Outre un risque d’opportunisme dans la mise en œuvre des règles, les États ont pris conscience des risques de dumping touristique. Il est bien difficile de réglementer un continent sans frontière et sous aucune juridiction stricte.
Les voyagistes paient très cher pour emmener les touristes observer des manchots et des glaciers en croisière, ignorant que la faune marine sous leur bateau fait partie des plus fragiles au monde. Les chiffres communiqués par le secteur du tourisme indiquent qu’en 15 ans, le nombre de touristes par année est passé de 5000 à 40 000 en 2005.
Cette région aux températures extrêmes devient de plus en plus fréquentée à cause de la curiosité qu’on lui porte. Outre les touristes, elle accueille sans arrêt davantage de centres de recherche, qui s’accompagnent de routes, dépôts de carburant, voies de passage et déchets.
Alors que des chercheurs passionnés s’intéressent aux richesses de la région, cela ne fait qu’éveiller la soif de grands acteurs politiques et économiques. Compte tenu de la grande vulnérabilité de cet espace, il est essentiel de devoir concilier des activités a priori contradictoires : le développement d’activités humaines et économiques, la recherche scientifique et la protection de l’environnement. Enfin, le meilleur moyen de préserver cette région unique reste d’éviter de s’y rendre.
SOURCES
Choquet, Anne, 2009. « Le cadre juridique des activités touristiques et non gouvernementales en Antarctique », [en ligne], https://teoros.revues.org/408, Téoros, p.61–69.
Choquet, Anne ; Queffelec, Betty, 2005. « À la recherche d’un régime juridique pour la biprospection en Antarctique » France, EDP sciences, Vol 13, 120 p.
Durand, Charlotte, 2014. « L’Antarctique est menacé », [en ligne], http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/L-Antarctique-menacee-par-le-tourisme-2014-06-18-1166439, La Croix, (Page consultée 05–17)
Lemire, Jean, 2007. « Mission Antarctique » Montréal : Éditions La Presse, 159 p.
Peacock, Andrew, 2014. « Le dangereux tourisme de l’Antarctique », [en ligne] http://www.rfi.fr/ameriques/20140111-antarctique-climat-pollution-tourisme-chili-glace-akademik-shokalskyi, RFI, (Page consultée 05–17)