L’Azerbaïdjan, discret émirat pétrolier… et autocratie ancrée.

Edouard Pontoizeau
La REVUE du CAIUM
Published in
9 min readJan 12, 2018
Crédit photo : Flame Towers and skyline of Baku, Azerbaijan (© railelectropower/Getty Images)(Bing United States)

Les seules fois où il est fait mention de l’Azerbaïdjan dans les journaux, cela se fait par l’entremise du conflit l’opposant à l’Arménie au sujet de la problématique du Haut-Karabakh ayant débuté en 1988. Ce conflit n’ayant trouvé que des arrangements précaires n’est en effet qu’une des seules raisons pour lesquelles l’Azerbaïdjan fait l’actualité. Néanmoins, une autre facette est apparue ces dernières années, plus particulièrement depuis les Jeux olympiques européens de 2015 à Baku. Gaspillage, corruption, opposition muselée ont fait connaître les dérives du régime depuis l’indépendance de 1992 . Pourtant, ce pays de près de neuf millions et demi d’habitant, anciennement sous le joug soviétique, a connu un essor rapide grâce aux ressources de la mer Caspienne.

Cet accroissement de richesse ne put se faire sans une certaine stabilité politique, étant loin d’être possible au début des années 1990. Cette époque fut marqué par l’indépendance, le tracé des nouvelles frontières et la guerre immédiate avec l’Arménie voisine, s’étant soldée par une lourde défaite des forces armées azéries. S’en suivit une période de guerre civile jusqu’en 1993, date de la prise du pouvoir d’Heydar Aliyev, ancien membre haut placé de la nomenklatura soviétique et père du Président actuel de la République d’Azerbaïdjan.

Ilham et Heydar Aliyev. Crédit : ‘Ilham Aliyev: Portrait of a President Against the Backdrop of Change’ by Elmira Akhundova”.

C’est ainsi que l’Azerbaïdjan naquit et prit le pli d’un véritable État postsoviétique, comprenant une administration “top-down” et fidèle au régime. Le maintien au pouvoir d’Heydar s’explique notamment par son charisme et sa capacité à avoir essuyé l’humiliation du début des années 1990. Il est important de mentionner que l’Azerbaïdjan était en état de déliquescence, ayant perdu près d’un tiers de son territoire en quelques mois durant le conflit l’opposant l’Arménie et faisant face à une situation interne insoutenable (près d’un million de déplacés internes). C’est ainsi qu’Heydar Aliyev et des hauts commandants de l’Armée décidèrent d’évincer le président en place Abulfaz Elchibey le 7 juin 1993.

Il est a noté que durant toute la période du mandat d’Heydar Aliyev, l’ensemble du Caucase était très instable principalement à cause de la montée de l’indépendantisme et du fondamentalisme islamiste en Tchétchénie et au Daghestan voisins. Ce phénomène de radicalisation n’a cependant jamais affecté Azerbaïdjan, du fait de la sécularité de la société azerbaïdjanaise. Par ailleurs, plusieurs pays ont veillé à préserver la stabilité de Azerbaïdjan suite à l’embrasement du Caucase, notamment la Russie.

À la suite de la mort de ce dernier, en 2003, le monde entier comprit que l’Azerbaïdjan deviendrait un pays dynastique lors de l’accession au pouvoir de son fils, Ilham, avec près de 75,3% des voix.

Son pouvoir s’est assis tout d’abord sur le crédit de son père, puis sur les performances économiques exceptionnelles que les recettes des hydrocarbures ont procuré à l’État d’Azerbaïdjan. En effet, l’Azerbaïdjan est un véritable état rentier, dont le revenu national provient majoritairement des ressources indigènes (issues du sol) vendues à des clients externes (Mahdavy, 1970). Il dispose en effet de la 20ème réserve prouvée de pétrole mondiale (0,4% en 2015 selon le rapport BP 2017) et de la 25ème réserve mondiale prouvée de gaz (0,5% selon le même rapport), avec un potentiel offshore non exploré substantiel. Ainsi, il n’est pas nécessaire de démontrer davantage l’intérêt de ce petit pays, bien que discret, dans ce qui a trait à la politique énergétique mondiale.

Bien que l’industrie pétrolière azerbaïdjanaise, datant de l’époque du Tsar Alexandre II, soit l’une des plus anciennes au monde, sa véritable émergence dans l’économie mondiale date du début des années 2000 et du mandat d’Ilham Aliyev. La découverte d’importantes sources de pétrole facilement exploitables dans la mer Caspienne a attiré de nombreux investisseurs étrangers, et a permis l’accumulation rapide de richesses ainsi que de monnaies étrangères.

Cet accroissement d’un pôle de l’économie s’est effectué avec le soutien de compagnies étrangères ayant contribué à l’édification d’un complexe d’extraction pétrolière beaucoup plus productif et efficace [2]. L’émergence d’un tel secteur d’activité eut le même effet que dans certains pays du Moyen-Orient, c’est-à-dire une hausse vertigineuse des indicateurs économiques nationaux. Cette politique se concentrant sur l’extraction pétrolière prit place à une période où le prix du baril de pétrole augmentait constamment, faisant de l’Azerbaïdjan le pays le plus dynamique de l’espace postsoviétique.

INSEE, 2016. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/001565198
Banque Mondiale, 2017. En ligne : https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.CD?end=2010&locations=AZ&start=1998&view=chart

Atteignant des taux de croissance record à deux chiffres, l’Azerbaïdjan n’est néanmoins pas à l’abri des problèmes de gouvernance touchant les États-rentiers. Bien que l’afflux d’investissements étrangers représente une manne financière et technologique, les autres secteurs d’activités n’ont pas pu profiter de cette manne, le secteur pétrolier et gazier ayant capté la quasi-totalité des investissements étrangers. L’État étant le principal bénéficiaire des recettes du pétrole, il devient ainsi l’arbitre de la gestion de la quasi-totalité de l’économie azerbaïdjanaise

De ce constat lié à l’accroissement du secteur pétrolier dans l’économie azérie, les observateurs économiques internationaux ont diagnostiqué les symptômes d’« hypertrophie » du secteur pétrolier à l’instar des autres secteurs d’activités économiques [3]. Les secteurs autres que ceux reliés directement à l’extraction pétrolière et ses dérivés directs (raffinage par exemple) sont exclus du développement économique. En effet, ces derniers ne peuvent être assez compétitifs sur le marché international considérant l’appréciation de la monnaie nationale relative à la très forte hausse des exportations pétrolières. En outre, il s’opère une désindustrialisation massive, notamment dans les secteurs traditionnellement peu compétitifs sur le marché international et exigeant des ajustements monétaires comme la production manufacturière. Il s’agit donc d’une maladie, comme son nom l’indique, réduisant considérablement les marges de manœuvre du gouvernement, car le rendant de plus en plus dépendant aux exportations d’un secteur, en l’occurrence le pétrole, et l’affectant à une situation de vulnérabilité des prix des marchés internationaux concernant le pétrole.

Au vu de la forte dépendance de l’économie, il est nécessaire de noter que les recettes du pétrole reviennent en très grande majorité aux compagnies pétrolières étrangères et à la compagnie de pétrole nationale, la State Oil Company of Azerbaijan Republic (SOCAR). Ces mêmes recettes sont captées par l’État directement et ne participent à la richesse nationale que de manière purement financière et n’inclus que très peu l’ensemble de la population dans la création de richesse.

De facto, il n’existe que peu de syndicats reliés à des secteurs d’activité économique, de corps de métiers, d’ordre de travailleurs (hormis dans les professions libérales), ou même de pôles économiques permettant de constituer des contre-pouvoirs. C’est ici l’une des principales causes de la faiblesse de la société civile. Dès lors, la notion de gouvernance prête à confusion et une frontière très mince se dessine entre État Providence et clientélisme.

Bien que l’Azerbaïdjan ait développé des infrastructures impressionnantes autant au niveau économique (dans le secteur des transports notamment) qu’à ce qui a trait aux infrastructures médicales et des services publics, comment se fait-il qu’il existe une telle disparité dans les données liées au développement ?

Les difficultés rencontrées dans la redistribution des richesses constituent un point qui permet d’établir un lien direct entre la structure économique issue de la rente pétrolière et l’inefficacité du système azéri (et la corruption qui en découle). En effet, le mode de fonctionnement de l’administration est une question importante, car l’Azerbaïdjan est un pays faisant bonne figure en matière économique, plus relative dans ce qui a trait au développement, mais très mauvaise figure en matière de corruption.

Tandis qu’elle était considérée comme « lower middle income » en avril 2005 par la Banque Mondiale, elle est désormais considérée comme « upper middle income » et semble être dans une dynamique intéressante pour entrer dans le club des pays étant « high income » [1]. Néanmoins, les données liées au domaine de la santé sont relativement décevantes aux vues des investissements importants de l’État (Banque Mondiale, 2017). A contrario, l’éducation ainsi que le soutien à l’enfance excellent, dépassant parfois plusieurs pays d’Europe de l’Ouest.

Il est certain que la structure “top-down”, héritée du modèle soviétique précédent, est un problème en soi quant à l’implémentation de politiques publiques viables y compris concernant l’intégrité du système administratif. Cependant, la corruption reléguant à 123e place du classement des pays corrompus selon Transparency International met en doute l’efficacité des administrations publiques. De la même manière, le détournement des fonds alloués aux politiques publiques et le gaspillage des fonds importants issus du pétrole constituent une problématique importante sur le court et long terme.

Les élites autour des clans au pouvoir ont aussi une responsabilité quant à la corruption. Cette même corruption est efficace pour maintenir un cycle entre les institutions/élites en place et son maintien par la corruption générale dans le secteur de l’extraction « Corruption is maintained by a self-reinforcing cycle » [5].

La corruption s’illustre par les détournements importants des fonds alloués aux services publics et à la collusion entre le monde politique (notamment les clans au pouvoir) et le monde des affaires (en l’occurrence les postes dans le conseil d’administration du SOCAR). Par exemple, le népotisme est largement présent, que ce soit dans ce qui a trait à la représentation de grandes familles azéries proches du pouvoir, ou bien simplement la nomination de la femme du président au poste de Vice-Présidente depuis février 2017.

En fait, il n’est pas rare d’entendre parler de régime azerbaïdjanais comme d’un État néopatrimonialisme au sens qu’Eisenstadt lui prêtait. C’est-à-dire un contrôle du pouvoir politique (en l’occurrence du chef d’État) sur l’ensemble des structures administratives par l’allégeance de ces derniers aux régimes. Ainsi, pour garantir la fidélité de certains hauts-fonctionnaires, la justice ne semble pas regarder les richesses accumulées par quelques ministres ou magistrats (les lois anticorruptions n’étant quasiment jamais appliquées, certains ministres se sont enrichis considérablement au moment depuis leur prise de fonction).

Le modèle de “balance des pouvoirs” ou même de “séparation des pouvoirs” ne semble aussi n’avoir aucun sens dans la Consitution. En effet, la quasi-totalité des domaines compétences du pouvoir législatif doit se baser sur les recommandations du Président de la République (art. 94 et 95), de la même manière que l’ensemble du collège judiciaire est nommé par ce même Président (art. 133).

Les députés eux-mêmes ne sont que très rarement inquiétés par des poursuites judiciaires, de plus en plus laxistes concernant les durées de prescription ou les contrôles de patrimoines.

Il n’est pas difficile ainsi de comprendre un rouage bien ancré et difficile à défaire au vu de l’argent provenant du “Haut de l’échelle” couplé d’une légitimité historique. Ceci accommode aussi bien les grandes familles en Azerbaïdjan que les multinationales recherchant de la stabilité dans cette région gazière et pétrolifère, et tend à constituer arrangement solide sur plusieurs niveaux de pouvoir.

Le vacillement récent du régime Aliyev à la vue des récentes manifestations s’explique en partie par la récente baisse brutale des prix du pétrole et la chute de moitié du PIB azerbaïdjanais de 2014 à 2016. Cet effondrement, bien que limité par le fonds de stabilisation qu’est le SOFAZ (faisant office notamment de coussin monétaire en cas de chute des prix du baril de pétrole), reflète néanmoins la dépendance du régime par rapport à la rente pétrolière et sa capacité de redistribuer cette manne dans le but de fidéliser de larges pans de la population et de l’administration.

Enfin, bien que les questions de corruption aient déjà été évoquées, il ne faut pas oublier que cette même corruption coute 2 000 milliards de dollars chaque année dans le monde. Cela implique que de nombreuses politiques publiques soient avortées, inefficaces ou anormalement onéreuses. Aussi, cela s’illustre par un dysfonctionnement des services d’administration publique, créant parfois une administration à plusieurs vitesses.

Ce qui est certain, c’est que les coûts de corruption contribuent à l’appauvrissement et la baisse du niveau de vie générale, et implique de véritables politiques de restructurations des administrations publiques et du modèle économique.

BIBLIOGRAPHIE

[1] BANQUE MONDIALE, 2016. Données, Azerbaïdjan. En ligne : http://donnees.banquemondiale.org/.

[2] CIARRETA, Aitor & NASIROV, Shahriyar. 2012. “Development trends in the Azerbaijan oil and gas sector: Achievements and challenges.” Energy Policy 40 (2012) 282–292

[3] CORDEN, Max W. & NEARY, Peter J..1982. “Booming sector and de-industrialisation. In a small open economy.”

[4] MAHDAVY, Hossein. 1970. “The Patterns and Problems of Economic. Development in Rentier States”.

[5] O’HIGGINS, Eleanor R. E. 2006. “Corruption, Underdevelopment, and Extractive Resource Industries: Addressing the Vicious Cycle” Volume 16, Issue 2. pp. 235–254.

[6] TRANSPARENCY INTERNATIONAL, 2014. “Transparency international condemns arrest of anti-corruption investigative journalist in Azerbaijan”. En ligne : https://www.transparency.org/news/pressrelease/transparency_international_condemns_arrest_of_anti_corruption_investigative.

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