Le Canada, superpuissance morale?

Mathias Boutin
La REVUE du CAIUM
Published in
6 min readFeb 23, 2017
Justin Trudeau, lors de sa visite au parlement européen dans le cadre de sa tournée de promotion de la CETA. Crédit photo : Huffington Post

La visite du premier ministre canadien Justin Trudeau, la semaine dernière, en Europe a exposé un objectif fondamental de la politique étrangère canadienne. Limité par les réalités géopolitiques du pays, le premier ministre et son équipe mettent de l’avant une plateforme qui se veut économe de ressources, faiblement risquée et potentiellement bénéfique quant à la place du pays sur la scène internationale.

Cette approche, que l’on peut qualifier de soft power, vise à étiqueter le Canada en tant que «superpuissance morale», un terme politique né dans les années 1990 pour décrire l’influence des pays scandinaves, notamment de la Suède, sur la scène internationale. Le terme est suffisamment explicite en soi : une superpuissance morale se veut être un État qui, loin d’avoir le poids économique ou les ressources militaires pour imposer son influence, sculpte son prestige en mettant de l’avant son exemplarité en matière de droit, et en érigeant un agenda mondial quant à l’éthique et la morale présentant des valeurs universellement reconnues.

Justin Trudeau est loin de plaire à tous sur la scène nationale, notamment depuis son annonce controversée quant aux pipelines transcanadiens, la poursuite de la vente d’armes à l’Arabie Saoudite et sa décision de ne pas chercher à accomplir la réforme électorale qu’il avait promise aux électeurs. Il jouit cependant d’une image très positive sur la scène internationale, en phase avec la réputation pacifiste et consensuelle du Canada. Ses récentes apparitions devant le Parlement européen, à Berlin et auprès du président Trump, n’auront pas cessé de faire croître les éloges à son égard, du moins sur la scène médiatique.

…la visite de Trudeau sur le vieux continent a quelque peu redonné le moral aux troupes libérales.

La réelle question, cependant, se veut de savoir si ces apparitions hautement médiatisées de Trudeau sont de réels indicateurs de sa performance, ou tout simplement d’un artifice.

Le Canada, symbole de la raison libérale

Il n’y aura jamais eu de meilleur coup de relation publique pour le Canada et Justin Trudeau que l’élection de Donald Trump chez nos voisins américains.

Choquées et consternées par ce qu’ils ont perçu comme une insulte à l’intelligence humaine, les élites médiatiques et politiques de ce monde n’ont pas eu à regarder bien loin pour apercevoir une lueur d’espoir dans la lutte contre les mouvements populistes. C’est du moins ainsi que les médias étrangers, particulièrement européens, semblent percevoir le Canada.

L’ouverture de Trudeau quant aux droits LGBTQ, son soutien aux négociations de la COP21, l’accueil promulgué aux quelques dizaines de milliers de réfugiés syriens l’an dernier, son support (du moins verbal) pour l’OTAN et le nouvel accord de libre-échange qu’il met de l’avant à l’heure où plusieurs mouvements populistes cherchent à refermer les huîtres, font de lui la tête d’affiche d’un monde aux besoins urgents de réconfort politique.

Justin Trudeau et Angela Merkel, à Berlin, en février 2017. Crédit photo : Euronews

Alors qu’en France et en Allemagne on craint, à divers degrés, la montée populiste et de possibles prises de pouvoir par des candidats aux valeurs conservatrices, la visite de Trudeau sur le Vieux Continent a quelque peu redonné le moral aux troupes libérales. Mais n’allez pas penser que Trudeau est un chevalier blanc, un leader sans égal et un héros contemporain. Il ne l’est pas, bien loin de là. Car s’il y a bien une chose qu’il faut apprendre à faire en tant que politologue et que citoyen à l’ère Trudeau, c’est de regarder au-delà des apparences et d’attaquer le fond des choses.

Parce que, vous l’aurez remarqué, il n’a pas trop de difficultés à sourire devant les caméras.

Mener par-derrière

La fin de semaine dernière, à un banquet chargé en histoire organisé à Hambourg depuis plus de 700 ans, Trudeau, smoking sur le corps, a profité de la tribune qui lui était offerte pour mettre au visage de l’élite corporative le blâme pour l’onde de choc populiste mondial.

“It’s time to pay a living wage, to pay your taxes, and to give your workers the benefits — and peace of mind — that come with stable, full-time contracts.”

Ces mots, prononcés devant une foule des plus riches et des plus influents leaders allemands, sont synonymes de l’approche canadienne en leadership moral. Au-delà des paroles, l’administration Trudeau n’a pas le meilleur bilan de route en ce qui a trait à défendre le peuple contre les ambitions corporatistes.

Trudeau au côté du maire de Hambourg et du ministre des Affaires étrangères allemandes, en février 2017. Crédit photo : CTV News

Ignorant la grande majorité de l’opinion publique, il a approuvé la construction de deux pipelines majeurs transcanadiens, portant du même coup un dur coup à sa réputation de leader environnemental. Et même s’il a promis de rendre la vie dure aux entreprises qui exportent leurs profits vers les paradis fiscaux lors du prochain budget fédéral, il faudra attendre avant de pouvoir juger de la dureté du coup qu’il compte porter.

Mais ce n’est pas qu’au national qu’il faudra poser des questions. Il doit se développer, au sein des médias internationaux, un plus grand esprit critique quant à la participation canadienne aux enjeux globaux. Pour le moment, ces médias semblent peiner à voir plus loin que le sourire de Justin.

C’est du moins peut-être ce qu’a pensé Angela Merkel lorsque, après avoir souligné l’importance de l’OTAN et de la place du Canada en son sein, Trudeau ne s’est pas engagé tacitement, comme l’Allemagne l’a récemment fait, à augmenter sa participation monétaire au bon fonctionnement de l’organisation.

Quel rôle pour le Canada?

On peut cependant débattre longtemps sur la place du Canada, et la réelle nécessité pour le pays de mener par l’exemple. Cette approche canadienne de mener par les mots et de laisser aux autres le soin d’agir n’est pas nécessairement une mauvaise chose en soi. La présence canadienne dans la lutte contre le populisme, en tant que leader et en tant que référence d’un État relativement prospère, est peut-être amplement suffisante.

Soldats canadiens sous l’égide de l’OTAN, à Adazi, en Lettonie. Crédit photo : Forces canadiennes

Le rôle canadien n’a jamais été de prêcher par la bouche de ses canons, de s’imposer diplomatiquement là où il n’est pas le bienvenu ou encore de menacer de sanctions les pays récalcitrants. L’annonce, l’an dernier, du développement de la présence canadienne, sous l’égide de l’OTAN, dans les pays baltes, bien qu’il ait été bruyamment applaudi par la communauté internationale, n’a pas été chaudement reçu par l’électorat canadien.

Ce dernier, réel métronome de la politique étrangère canadienne, est majoritairement pacifiste. Une hausse du support monétaire à l’OTAN n’aurait pas plu aux Canadiens. Dans ce cas, offrir à l’organisation son support, sourire aux lèvres, et réitérer sa raison d’être aura probablement été suffisant.

Le Canada a toujours été un État médiateur, tempéré et à la présence apaisante, mettant de l’avant les valeurs qui lui sont chères sans pour autant empiéter sur les champs de compétence d’autrui. Plusieurs pays ont réussi à s’imposer sur la scène internationale par la même approche, et avec encore moins de ressources que le Canada. Pensez aux pays nordiques, tels que la Norvège, la Suède, la Finlande et le Danemark qui se sont forgé une solide réputation et qui sont souvent cités en exemple lorsque vient le temps de discuter d’avancements sociétaux et de progressisme libérale.

Du tout au tout, le Canada est à l’heure actuelle en position favorable sur la scène internationale. Sans avoir à poser des gestes concrets et décisifs, il peut se présenter comme le chef de file des valeurs libérales par la simple force de sa réputation et de ses valeurs. La présence au sud d’un récalcitrant internationaliste est également un facteur bonifiant la réputation du pays.

Trudeau parvient pour le moment à exploiter ce filon, mais il devra rester prudent de ne pas aliéner son électorat national, ou encore d’exposer les failles dans son discours au reste du monde…

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