Le futur, c’est maintenant.

Mathias Boutin
La REVUE du CAIUM
Published in
7 min readFeb 1, 2017
Elon Musk, en 2015, qui livre un discours sur les énergies renouvelables. Crédit photo: Forbes.

Le 9 septembre dernier, devant une salle comble d’experts en astrophysique réunis à Guadalajara, au Mexique, le célèbre milliardaire Elon Musk a frappé l’imaginaire collectif de plein fouet. Le fondateur de Tesla, SolarCity et SpaceX a mis à jour sa feuille de route pour l’établissement d’une première civilisation humaine sur Mars.

‘’ What I really want to try to achieve here is to make Mars seem possible — like it’s something we can achieve in our lifetimes […], to become a space-faring civilization and a multi-planet species. ’’ — Elon Musk

On le sait, Elon Musk n’est pas homme à chômer sur les projets de grande envergure. Après la Gigafactory, la plus imposante machine industrielle au monde mise en fonction cette année et chargée de produire en masse des batteries rechargeables, et la sortie très attendue du Model 3, la première voiture électrique à longue portée abordable, il est difficile de nier sa capacité à rendre l’impossible possible.

Et c’est que trouver une solution à l’impossible, c’est ce à quoi doivent s’affairer nos sociétés dès aujourd’hui. Notre monde a cruellement besoin de leadeurs comme Elon Musk pour cartographier les problèmes et en évaluer les solutions possibles avant que l’on atteigne le seuil critique de l’effondrement sociétal. Car ce n’est pas exagérer que d’affirmer que nous sommes entrés dans une période charnière de l’évolution humaine. Nous vivons l’histoire.

Ce que pour une première fois dans son existence, l’Homme fera face à un problème qu’il n’a pas lui-même la capacité de contrôler directement. Nous sommes dangereusement près d’outrepasser la totalité des neufs limites planétaires postulées par le réputé environnementaliste suédois Johan Röckstrom. En à peine deux générations, l’humanité a submergé la capacité de notre environnement à supporter nos sociétés. La catastrophe environnementale à venir est tangible, visible, bien présente et immensément plus importante qu’on veut bien se l’admettre. Et c’est loin d’être tout.

‘’What we do right now, or fail to do, will determine the future — not just for us, but for all life on Earth.’’ — Sylvia Earle, Océanographe pour le National Geographic.

Un croquis électronique de la Gigafactory, au Nevada, a commencé cette année la production de masse de batteries rechargeables dans le but de rendre abordable cette technologie et de concrétiser ses nombreux bénéfices. Crédit photo : Tesla.com

Thomas Friedman, éditorialiste de renom au New York Times, postule dans son livre Thank You for Being Late les principaux défis auquel le monde devra faire face au cours des prochaines années.

Alors que l’on doit déjà trouver les moyens de considérablement réduire notre impact environnemental , l’ONU estime que la population humaine atteindra les 9,7 milliards d’individus d’ici 2050. C’est 2,5 milliards d’humains de plus à nourrir, à loger, à soigner et à faire vivre avec des ressources qui sont déjà au bord de l’épuisement. Qui plus est, cette augmentation massive de la population sera majoritairement concentrée en Afrique, une région où les gouvernements peinent d’ores et déjà à subvenir aux besoins mêmes primaires de leurs populations. Et au cas où 2050 semble loin, ce n’est pas le cas : vous serez probablement toujours en vie.

Fermez les yeux un instant et tentez d’imaginer les problèmes politiques qui découleront de cette inévitabilité humaine. Si l’on s’imagine que les vagues de migrations actuelles en Europe sont problématiques, qu’arrivera-t-il lorsque le continent africain hébergera plus de la moitié de la population mondiale? Quand ce sera dix-millions de réfugiés qui traverseront la Méditerranée, chaque année, pour atteindre les rivages et les mirages de l’Occident, que ferons-nous? Le contrecoup populiste, déjà entamé, ne pourra que prendre du gallon et les portions de l’humanité affamées, raillées par les richesses de l’Occident ou encore déplacées par les problèmes environnementaux n’auront que plus de raisons de se radicaliser, de demander agressivement une vie meilleure et de migrer.

Si on imagine que l’on a atteint le fond du baril, c’est qu’on a pas compris toute l’ampleur du défi qui nous attend au détour.

Crédit photo : NAJI.com

So it was that for two minutes we sang with all our hearts, feeling only for the past and turning our gaze from the future, swimmers doing the backstroke towards a waterfall. — Viet Thanh Nguyen, The Sympathizer

Semble-t-il, le seul moyen de se libérer de la spirale dans laquelle nous avons déjà mis le pied est de s’accrocher à la main que nous tend la technologie au moment même où nos problèmes semblent matériellement insolubles.

Saisir l’importance de la technologie comme moteur de l’innovation sociale et donc de la capacité d’adaptation de l’Homme, ainsi que comme force de changement positif est une acrobatie mentale complexe et vertigineuse en soi. En effet, combien de débats avons-nous tenus et aurons-nous sur les nombreux enjeux qui découlent de l’insertion des technologies au coeur de nos sociétés? Pensez surveillance, commercialisation et analphabétisme informatique, pour n’en nommer que quelques-uns.

Mais ce qu’il faudra bien vite accepter, c’est que l’innovation technologique est le seul moyen de réduire, voire d’annuler, la friction sociétale qui découle de l’accélération combinée de la mondialisation et des enjeux environnementaux. Comment, sinon, nourrir, abreuver, connecter, éduquer, protéger et s’occuper d’une population qui croît plus rapidement que jamais depuis l’apparition sur Terre de l’Homo Sapiens Sapiens?

Tout n’est pas perdu, loin de là. Propulsées par l’innovation privée et soutenue par la volonté publique, des avancées majeures ont été réalisées sur plusieurs fronts dans la lutte contre les défis de l’avenir. Dans notre époque qui voit technologie et politique s’entremêler à un degré exponentiellement important, encourager le développement responsable mais efficace des technologies de l’environnement se doit d’être une priorité. Les exemples abondent, et les résultats ne tarderont pas.

Les cultures intérieures, le futur de l’alimentation humaine. Cette méthode permet l’utilisation de 95% moins d’eau que l’agriculture traditionnelle et peut-être réalisée littéralement partout sur terre. Crédit photo : AeroFarm

Google et Facebook investissent actuellement massivement afin d’envoyer littéralement dans les nuages les infrastructures vertes qui permettront de connecter the next billion aux bienfaits du nuage. Coursera, Khan Academy, Udacity et plusieurs autres se sont donnés comme objectif de libéraliser l’éducation et rendre accessible à des millions les études supérieures. Tala.co finance l’Afrique, intelligemment cette fois. IBM a mis l’épaule à la roue afin de transformer Watson, le robot vainqueur à Jeopardy, en un assistant médical agrégeant la totalité des recherches disponibles en médecine.

Sur le plan environnemental, plusieurs ont également entrepris l’énorme tâche de nous sortir du marasme environnemental. Aerofarm, une firme américaine spécialisée en bioculture intérieure tente de révolutionner l’agriculture en optimisant massivement espace et ressources. The Ocean Cleanup, la fameuse initiative du jeune néerlandais Boyan Slat, s’affaire à la tâche, alliant technologie et ingénierie pour nettoyer nos océans. SolarCity et Tesla, toutes deux cofondées par Elon Musk, sont en train de rendre abordable l’énergie électrique de manière à libérer nos sociétés de l’emprise des énergies fossiles.

Ce ne sont là que quelques exemples parmi les plus connus de la manière dont la technologie — ou la supernova, telle que qualifiée par Friedman — est utilisée afin de construire les planchers et les coussins nécessaires pour amortir l’impact inévitable entre l’Homme et l’avenir.

C’est en encourageant avec du capital politique et économique les initiatives technologiques vertes et humaines que nos sociétés développeront les moyens de mieux prévenir les maux de demain. L’établissement régulation se doit de devenir plus rapide, et l’itération politique quasi instantanée : l’innovation, bien que contrôlée, ne doit pas être ralentie. Les institutions politiques doivent repenser leur manière de mettre en place une règlementation efficace en adaptant leurs processus archaïques au flot rapide des nouvelles accélérations en matière de mondialisation, de technologie et de dégradation environnementale.

Repenser la gouvernance est une tâche immense en soi et nécessitera non-seulement un changement de paradoxe d’envergure, mais également une volonté interne des institutions politiques qui devront repenser leur raison d’être. Ardu? Certes. Impossible? Peut-être. Mais reculer n’est plus un luxe que l’on peut s’offrir.

On le sent, on peut pratiquement le couper au couteau, le malaise sociétal qui pèse sur nous. On a l’impression de perdre le contrôle, de voir notre avenir collectif nous glisser entre les doigts. Trump, populisme, terrorisme, alter-mondialisme, guerres. Ce ne sont que les réactions hystériques d’une population étourdie par un monde en constante accélération, d’un chat qui, encerclé et paniqué, courbe le dos, crache et griffe parce qu’il pense pouvoir ainsi s’en sortir. Ce ne sont que des symptômes, précurseurs d’une fièvre qui risque fort bien de nous rendre tous fous.

Peu importe la manière dont on abordera les problèmes qui nous sont visibles depuis bien longtemps, elle définira l’héritage — ou les ruines — que nous laisserons derrière nous. Nous sommes, aujourd’hui et maintenant, à l’intersection des futurs possibles de la race humaine comme jamais auparavant. Nous sommes la génération qui définira l’agenda politique de demain, nous avons la lourde responsabilité de prendre les choix qui définiront le sort des générations à venir à un plus grand degré que jamais auparavant dans notre histoire commune. Nous devons agir, nous concerter et définir nos priorités, voir loin devant pour mieux se diriger ici et maintenant.

Si on échoue, si on prend les mauvais choix, il ne nous restera qu’une solution, en espérant qu’Elon ait trouvé le moyen de nous envoyer sur Mars d’ici là…

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