Le Nord se souvient

Mathias Boutin
La REVUE du CAIUM
Published in
5 min readMar 11, 2017
Les Jegertroppen, forces spéciales féminines norvégiennes mises en service en 2014. Crédit photo : Forsvaret.no

Emprunté à la populaire série A Game of Thrones par la chaine américaine HBO, «le Nord se souvient» est étrangement adapté à la situation à laquelle fait face l’ensemble des pays nordiques à l’heure des ambitions russes. C’est que l’annexion russe de la Crimée en 2013 a soulevé une vague d’inquiétude chez les pays nordiques et les pays baltes, qui craignent plus que quiconque l’agressivité de la Russie.

Il est important de se rappeler que la Norvège, figure proéminente de la Scandinavie, partage une frontière commune de plus de 150km avec la Fédération du Russie. Bien que les deux pays ont signé en 2010 un accord de démarcation censé consolider le statut de leur frontière commune, la menace russe sur la stabilité régionale constitue une source d’angoisse constante pour les politiques norvégiens. Le plan de défense ministérielle du pays en question nous éclaire sur l’enjeu de la menace russe qui, autant sur les bancs des parlements que dans les foyers des citoyens des différents pays scandinaves, inquiète et mène les forces politiques à repenser leurs engagements militaires et leurs organisations défensives.

En Norvège, pays du capitalisme pragmatique et de l’État providence, du saumon et du pétrole, de l’équité de la femme et de l’homme et des droits humains, la défense du pays et de la nation norvégienne est un sujet qui en affecte plusieurs. Les cicatrices de l’occupation nazie et du stress politique et sociétal causé par sa proximité avec l’URSS durant la guerre froide font des enjeux sécuritaires un stimulant permanent.

The security situation in Europe has deteriorated over the past few years. We cannot take our sovereignty and freedoms for granted. — Ministère de la Défense, Norvège, 2017.

Le gouvernement norvégien a, le 15 novembre dernier, débuté la mise en oeuvre du nouveau plan de défense à long terme, une initiative politique qui augmente substantiellement le budget militaire du petit état nordique tout en mettant en oeuvre une série de mesures censée redonner du lustre à l’appareil militaire norvégien. La toile de fond de la situation sécuritaire européenne est précaire et l’ombre des ambitions russes sur les pays de l’Europe de l’Est continue d’assombrir les relations entre Bruxelles et Moscou. C’est ainsi que le document réitère l’importance de l’OTAN comme pièce maitresse des capacités dissuasives du pays.

Réassurance et dissuasion

Oslo s’est positionné, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme un des plus importants membres de l’alliance transatlantique. La participation active du pays au financement de l’organisation, son support politique quasi inébranlable et la position stratégique du pays à la porte de la mer du Nord font de lui un allié stratégique potentiellement important pour qui voudra bien mener l’OTAN.

La ministre de la Défense de la Norvège, Ine Eriksen Søreide. Crédit photo : Dagens

Tout au long de la guerre froide, la Scandinavie s’est retrouvée prise entre les deux blocs, la Finlande s’étant vue forcée de s’allier avec l’URSS alors que la Suède, demeurée neutre, la Norvège et le Danemark, tous deux membres fondateurs de l’OTAN complétaient un portrait régional éminemment balancé entre les deux pôles. La Norvège a joué le jeu de la réassurance et de la dissuasion envers son voisin soviétique, s’incrustant dans la stratégie régionale scandinave.

L’ensemble nordique est parvenu, tout au long du conflit, a maintenir une position coordonnée qui s’appuyait autant sur la dissuasion envers l’Union soviétique via l’OTAN que sur une stratégie de réassurance basée sur des tactiques politiques et militaires visant à contrebalancer l’adhésion de certains de ses membres au bouclier occidental. Autrement dit, les États scandinaves, soucieux de protéger leurs frontières, ont prudemment jonglé avec une série de politique cherchant à plaire à la Russie tout en la gardant à distance.

C’était le cas de la Norvège qui, conscient de sa position précaire de membre de l’OTAN partageant une frontière avec l’URSS, a refusé le déploiement de troupes américaines sur son territoire, se fiant plutôt sur de l’installation d’équipement militaire et la promesse d’intervention de ses alliés en cas d’incursion russe. La stratégie ainsi utilisée a permis au pays d’éviter un quelconque conflit avec le géant soviétique, mais a tout de même laissé aux Norvégiens un amer souvenir de la constante pression sur la société norvégienne.

Un changement de cap idéologique

Cette approche semble avoir été mise de côté par Oslo, qui adopte cette fois une stratégie beaucoup plus axée sur la dissuasion. Alors que les dernières années ont vu l’enjeu sécuritaire russe revenir au premier plan sur la scène internationale, la Norvège opte pour une stratégie beaucoup plus dissuasive que rassurante.

Certainement moins craintif qu’autrefois, le pays a accepté le 24 octobre 2016 le déploiement d’un groupe de Marines américains sur son territoire dans le but d’organiser des exercices militaires, une annonce que les partis d’oppositions ont rapidement critiquée, citant le niveau élevé de provocation que causait un tel déploiement.

Bien plus encore que l’octroi de cette permission aux Américains, la Norvège se présente comme un des plus fidèles défenseurs de l’OTAN, militant diplomatiquement pour un partage plus égalitaire des responsabilités de financement de l’organisation. Le pays est un des rares pays-membres à payer son dû à l’organisation, militant du même coup auprès des pays européens pour un partage plus équilibré des dépenses.

L’ancien Premier ministre norvégien et actuel secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg. Crédit photo : Asia Times

Les récentes manoeuvres sécuritaires du pays, qu’il s’agisse de l’amélioration massive de ses équipements militaires, de l’accueil des soldats américains sur son territoire ou encore de son support continu à l’OTAN, s’inscrivent dans une stratégie militaire dissuasive censée solidifier la région Nord-Atlantique. Que la Norvège soit ou non personnellement visée par les ambitions géopolitiques russes, il est indéniable que son rôle en tant que stabilisateur régional sécurise grandement ses voisins et ses alliés.

Que vous croyiez ou non que la Russie soit assez ambitieuse pour tenter quoi que ce soit dans cette région du monde, une chose certaine est que l’ensemble des pays situés au Nord de l’Europe prend cette possibilité très au sérieux. Pour eux, ce n’est pas seulement un distant enjeu géopolitique, c’est une réalité qui rappelle à plusieurs une Guerre froide qui a laissé beaucoup de cicatrices.

Le Nord se souvient, dit-on, de son dernier long hiver.

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