Le panafricanisme par le prisme du Franc CFA, espoir ou chimère?

Katérie Lakpa
La REVUE du CAIUM
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4 min readMar 6, 2018
Billet de 10 000 Franc CFA Source: RFI

De nos jours, une pluralité de médias met en lumière des personnalités africaines ou afrodescendantes. Discours élogieux sont faits en l’honneur des étoiles montantes du continent ou issues de sa diaspora, mais qu’en est-il vraiment du mouvement panafricaniste au XXIe siècle?

Il y a quelques décennies de cela, l’Afrique s’est dotée d’instruments tels que l’Unité Africaine (UA) et le Nouveau développement pour le partenariat en Afrique (NEPAD) afin de promouvoir l’idée d’unification du continent. En outre, le fantasme d’une unité africaine englobant aussi toute sa diaspora est l’apogée du mouvement panafricanisme. Or, comment une telle unité entre les nations africaines est-elle possible sans l’effondrement du système néocolonial ne permettant pas la souveraineté monétaire ?

En ce sens, la monnaie ne représente-t-elle pas que la face visible de l’iceberg d’un système économique profitant des Africains ?

Il va sans dire, la majorité des pays de la Zone Franc n’occupe pas une place de leader au sein des espaces normatifs économiques mondiaux. Par exemple, ces pays sont majoritairement bénéficiaires de ressources tel que le Fond monétaire international (FMI) plutôt qu’acteur de premier plan [1]. Ainsi, les grandes puissances ont feu vert afin de prendre toutes les décisions économiques relatives au continent. Pourtant, le FCFA est utilisé par 150 millions d’Africains [2].

En revisitant la matrice fondatrice du FCFA, il semble évident que l’adhésion des Africains à ce système économique représente la pierre angulaire du néocolonialisme. En ce sens, l’imposition d’une monnaie exogène aux peuples africains est qualifiée par certains intellectuels de « mission civilisation monétaire » [3]. En réaction à cela, les figures influentes du moment tels que Kemi Seba demandent de sortir du FCFA, mais ils ne semblent pas offrir de propositions en guise d’alternative per se [4].

Kemi Seba brûlant un billet de 5000 FCFA. Source : Jeune Afrique

Récemment, l’activiste panafricaniste Kemi Seba s’est fait emprisonner pour avoir brûlé un billet de FCFA sur la place publique[5]. Par ce geste, ce dernier souhaitait dénoncer l’aliénation économique dont sont victimes les populations africaines de la zone Franc. Or, le FCFA n’est pas l’alpha et l’oméga de la problématique monétaire africaine. N’oublions pas que la monnaie n’est qu’un facilitateur du système. Or, la réelle problématique se situe d’un point de vue systémique. Le discours dominant panafricaniste tant à dénoncer l’utilisation du FCFA et à encourager l’Afrique à l’adhésion d’une souveraineté monétaire. Actuellement, les États africains exportent leur matière première à très bas prix aux puissances européennes qui elles les transforment. Mais qu’en est-il des échanges entre les pays africains ?

Le macroéconomiste togolais Kako Nubukpo démontre que « [l]es échanges entre les économies de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) sont structurellement faibles, compris entre 10 % et 15 % du PIB régional selon les années. » [5]. Toujours selon ce dernier, cette faiblesse structurelle s’explique par le fait que les pays exportent pratiquement tous les mêmes matières premières [6]. En outre, Nubukpo explique que six pays sur huit de la zone UEMOA exportent du coton, ce qui limite considérablement les échanges [7].

Source : Ministère de l’économie et des finances française

Cependant, si les Africains arrivaient à produire, transformer et vendre chez eux, ils arriveraient fort probablement à rejoindre l’idéal panafricaniste, du moins, d’un point de vue économique [8]. Or, le modèle actuel est très asymétrique, plaçant la France, toute puissante, au centre de leur économie [9]. Lionel Zinsou, banquier et ex-candidat à la présidence béninoise, affirme que le débat sur le FCFA prend une tournure populiste et s’éloigne du réel problème que représente le développement du continent [10]. Parallèlement, l’ancien secrétaire général de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, Carlos Lopez, déplore « l’inefficacité de cette monnaie qui [contribue] à la stabilité, mais n’a pas permis la transformation des économies. » [11].

Somme toute, le discours panafricaniste actuel semble manquer de profondeur quant au FCFA. À la lumière de tout cela, pouvons-nous affirmer que les politiciens africains font preuve de laxisme face à la souveraineté monétaire ? Que font-ils face à ce système largement inégalitaire les obligeant à se complaindre dans leur carcan économique? Heureusement, la velléité de résistance de certains mouvements semble se mettre en place. Maintenant, sauront-ils orienter le débat contre le système économique africain plutôt que sur le FCFA qui ne représente que la pointe de l’iceberg ?

Bibliographie

[11], [12] CARAMEL, Laurence. « Lionel Zinsou : « L’Afrique mérite des débats plus sérieux sur le Franc CFA »». Journal Le Monde. En ligne, http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/12/18/lionel-zinsou-l-afrique-merite-des-debats-plus-serieux-sur-le-franc-cfa_5231368_3212.html, consulté le 9 février 2018.

[5] BOUESSEL DU BOURG, Charles. BA, Mehdi. « Franc CFA : incarcéré à Dakar pour avoir brûlé un billet de banque, l’activiste Kémi Seba sera jugé mardi ». Journal Jeune Afrique, août 2017.

[9],MBAYE. Sanou. «L’Afrique francophone piégée par sa monnaie unique». Le monde diplomatique. Novembre 2014.

[2], [3], [10], MOUSSA DEMBÉLÉ, Demba et al., « Franc CFA : Les termes nouveaux d’une question ancienne ». Présence Africaine 2015/1 (N° 191). p. 245.

[6], [7], [8], NUBUKPO,.Kako. « Le franc CFA, un frein à l’émergence des économies africaines ? ». L’Économie politique 2015/4 (N° 68), p. 73.

[4], Site officiel de BBC Afrique. « Lionel Zinsou défend le FCFA et critique Kemi Seba ». En ligne, http://www.bbc.com/afrique/region-41167356. Consulté le 22 février 2018.

[1], Site officiel du Fond monétaire international, En ligne, http://www.imf.org/external/french/index.htm. Consulté le 22 février 2018.

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Katérie Lakpa
La REVUE du CAIUM

Titulaire d’un baccalauréat en science politique spécialisé en relations internationales. Actuellement candidate à la maîtrise en droit international (L.LM).