L’extrême droite crée la surprise aux élections législatives néerlandaises : l’Europe s’inquiète

Léopold Lehmann
La REVUE du CAIUM
Published in
7 min readDec 12, 2023

Geert Wilders, le dirigeant du PVV, qui a créé la surprise le 23 novembre dernier. Crédit : Yves Herman / Reuters

L’extrême droite néerlandaise a remporté les récentes élections législatives, coiffant le poteau aux partis de la coalition centriste sortante. Les Pays-Bas sont sans gouvernement et la formation de celui-ci semble complexe. À 6 mois des élections européennes, l’Europe entière a les yeux rivés sur le pays.

Le mercredi 22 novembre a été marqué par un coup de tonnerre dans le monde politique européen. Le Partij voor de Vrijheid (PVV) de Geert Wilders, parti nationaliste, anti-immigration et eurosceptique a remporté les élections législatives néerlandaises. Avec 23,5% des voix il est arrivé en tête des élections anticipées qui ont eu lieu à la suite de la chute du gouvernement de Mark Rutte, premier ministre depuis plus de 13 ans. En effet, la coalition menée par les libéraux du VVD, aux côtés des sociaux-libéraux de D66 et des chrétiens démocrates de la CDA et de la CU est tombée pendant l’été 2023 à cause d’un désaccord sur la politique d’asile. En effet, Mark Rutte souhaitait réduire les seuils d’immigration pour les demandeurs d’asiles, qui étaient en hausse depuis la pandémie, en restreignant le regroupement familial et en demandant des ressources financières plus importantes pour les personnes immigrantes. C’est une ligne rouge pour les chrétiens démocrates de la CU, pour qui les valeurs familiales et le droit d’asile sont importants, et D66, parti plus progressiste. Ils décident alors de faire tomber le gouvernement. Mark Rutte annonce dans la foulée, après avoir déclaré qu’il avait « encore l’énergie », qu’il ne se représentera pas et qu’il se retire de la vie politique. Les élections sont donc annoncées pour le mois de novembre.

Une campagne sur le terrain identitaire :

Pieter Omtzigt, le chef du nouveau parti de centre droit, NSC. Crédit : The Guardian

Le contexte politique aux Pays-Bas est troublée depuis les dernières législatives de 2021. Les quatre partis de l’ancienne coalition sortent du pouvoir dans une posture difficile. Dès le début de la campagne, la cheffe des Démocrates 66 et ministre des finances, Sigrid Kaag annonce quitter la vie politique à cause de menaces envers sa famille. Les deux partis libéraux (D66 et le VVD) démarrent leurs campagnes avec de nouveaux chefs, alors même qu’ils doivent faire face au mécontentement de la population. Ce mécontentement s’est illustré lors des dernières élections provinciales de 2023, en pleine crise de l’Azote. Cette crise politique découle de la volonté du gouvernement de réduire de moitié le cheptel national pour limiter la pollution à l’azote, en grande partie liée à l’agriculture. Le Mouvement agriculteur-citoyen (BBB), parti de droite créé en 2019, profite de cette grogne chez les agriculteurs et arrive en tête des élections provinciales de mars 2023. Aux Pays-Bas, le Sénat est élu à l’issue de ces élections locales, et le BBB va y obtenir 16 des 75 sièges. Cependant, l’heure de gloire ne durera pas longtemps et les intentions de vote pour le parti baisseront jusqu’aux élections législatives. Un autre trouble-fête va venir du nouveau parti de centre-droit de Pieter Omtzigt, le Nouveau Contrat Social (NSC), donné en tête dans les intentions de votes durant la campagne. Ce dissident des chrétiens-démocrates va faire une campagne axée sur l’anti-establishment, la réforme des institutions, la modération politique et sur la limitation de l’immigration. En soi, c’est bien l’immigration qui va être au centre de cette campagne. En effet, en 2022, 400 000 personnes ont immigré aux Pays-Bas, 60% de plus qu’en 2021 et 50% de plus qu’en 2019. Même la nouvelle cheffe du VVD, issue de l’immigration turque, Dilan Yesilgoz a prôné une réduction de l’immigration durant toute la campagne. Ce thème de campagne a largement profité au leader du PVV, Geert Wildernrs, qui a fait de la lutte contre l’immigration son cheval de bataille depuis des années, parlant alors d‘un « tsunami ». Le PVV a pu profiter d’une crise du logement pour convaincre de nombreux électeurs que la réduction de l’immigration devait être un enjeu central dans les années à venir. De son côté, la gauche néerlandaise avait espoir de créer la surprise. Le parti social-démocrate (PvdA) s’est allié avec les Verts (GL) derrière l’ancien commissaire européen Frans Timmermans, qui a fait campagne sur le thème de l’urgence climatique et les inégalités.

Un pays morcelée à l’avenir politique incertain :

Crédit : AFP

Les néerlandais votent pour leurs députés à travers une circonscription unique dans le pays. Ce scrutin proportionnel couplée à une forte division du vote et à des partis d’intérêts (comme DENK, qui vise la population immigrée, ou 50+ qui cible les personnes âgées) mène systématiquement à un gouvernement de coalition. L’élection de 2023 n’échappe pas à cette règle, malgré le fait que le PVV arrive nettement en tête avec 37 sièges sur 150. C’est l’alliance de la gauche sociale-démocrate et des écologistes menée par Timmermans qui arrive en seconde position, juste devant le parti du premier ministre sortant, le VVD. Le NSC, donné gagnant dans de nombreux sondages, ne finit que quatrième à l’issue de cette élection. Le BBB n’a pas su profiter de son momentum à l’issue des élections provinciales et ne récolte que 7 sièges et moins de 5% des votes. Un message clair a été envoyé par les électeurs puisque tous les partis de la coalition sortante réalisent des scores nettement inférieurs à 2021 : -7 points pour le VVD, -9 pour D66, — 6 pour la CDA et moins 1,4 pour la CU.

À l’issue de ces résultats, une question subsiste sur la coalition qui pourra gouverner le pays. Le défi pour l’extrême droite néerlandaise sera bien de réussir à convaincre les partis de droite de s’allier, comme ce fut le cas en Italie ou en Suède récemment. Si le PVV arrivait à s’allier avec le NSC et le VDD, cela permettrait d’avoir une majorité confortable. Mathématiquement l’entrée du PVV au gouvernement n’est cependant pas assurée. Une coalition qu’on appelle Vivaldi dans la Belgique voisine allant de la gauche au NSC en passant par les partis libéraux (VVD et D66) aurait une majorité au parlement. Malgré tout, cette option semble peu probable et elle risquerait grandement de provoquer un mécontentement de l’électorat qui a placé en tête Wilders, au risque de le voir encore plus fort aux prochaines élections. Par ailleurs, la cheffe du VVD a dès le 24 novembre annoncé que son parti ne participera pas au futur gouvernement, mais qu’il pourrait soutenir le futur gouvernement. Enfin, l’option d’un gouvernement technique a été mise de l’avant par Pieter Omtzigt pendant la campagne et pourrait revenir si aucune coalition ne réussit à se former.

L’Europe troublée à 6 mois des élections européennes :

Les élections néerlandaises et la formation d’un gouvernement sont scrutées partout à travers le continent. À six mois des élections européennes, les partis politiques aiguisent leurs stratégies. La montée de l’extrême droite est un phénomène qui s’observe par vague depuis plusieurs années. Récemment, le SNS slovaque est entré au gouvernement, le RN français, l’AFD allemande ou le FPO autrichien dominent tous les sondages dans leurs pays respectifs en vue des élections européennes. Cependant, le député européen Pascal Canfin, invité sur France Inter (membre du parti d’Emmanuel Macron, Renaissance) notait qu’il existe deux tendances inverses en Europe. Bien que l’extrême droite progresse dans certains pays, elle échoue d’entrer au gouvernement en Espagne et elle est battue en Pologne par une alliance pro-européenne. Une chose est certaine, les prochaines élections européennes seront cruciales. La montée des partis de droite conservatrice et d’extrême droite s’observe déjà depuis plusieurs échéances électorales mais pourrait aujourd’hui remettre en cause l’équilibre politique qui permet de gouverner le parlement européen depuis sa création, allant des verts aux conservateurs du Parti Populaire Européen en passant par les sociaux-démocrates et les libéraux. Si ces quatre groupes perdaient trop de sièges au profit de partis d’extrême droite, il se pourrait que l’avenir de l’Europe en soit changé de manière profonde.

Pour approfondir :

Camut, Nicolas. 2023. « Top Dutch minister steps down from party leadership over « intimidation » and « threats » ». Politco, 13 juillet 2023 https://www.politico.eu/article/sigrid-kaag-dutch-finance-minister-quits-over-intimidation-and-threats/

De Vries, Stefan. 2023. « Les Pays-Bas plongent dans l’incertitude après la victoire de l’extrême droite ». Les Échos, 23 novembre 2023. https://www.lesechos.fr/monde/europe/les-pays-bas-plongent-dans-lincertitude-apres-la-victoire-de-lextreme-droite-2031156

Hublet, François. 2023. « 10 points et 12 cartes et graphiques pour comprendre les résultats des élections néerlandaises ». Le Grand Continent, 24 novembre 2023. https://legrandcontinent.eu/fr/2023/11/24/10-points-et-12-cartes-et-graphiques-pour-comprendre-les-resultats-des-elections-neerlandaises/

France Info. 2023. « Législatives aux Pays-Bas : une montée de l’extrême droite, 26 partis en lice, et un sructin indécis ». France Info, 22 novembre 2023. https://www.francetvinfo.fr/monde/pays-bas/legislatives-aux-pays-bas-une-montee-de-l-extreme-droite-26-candidats-en-lice-et-un-scrutin-indecis_6199191.html

France Inter. 2023. « Pascal Canfin : « il n’y a aucune fatalité » à la victoire de l’extrême droite en Europe ». Entrevue radio du 24 novembre 2023. https://www.youtube.com/watch?v=uHWk8jO9d8Y

Le Bourdon, Alix et Van Tets Fernande. 2023. « Élections législatives aux Pays-Bas : Pieter Omtzigt, le Macron néerlandais ? ». France 24, 21 novembre 2023 https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/focus/20231121-%C3%A9lections-l%C3%A9gislatives-aux-pays-bas-pieter-omtzigt-le-macron-n%C3%A9erlandais

Ravier-Regnat, Samuel. 2023. « Élections législatives : « Donnez-nous une chance » : aux Pays-Bas, Frans Timmermans tente de réveiller la gauche ». Libération, 19 novembre 2023. https://www.liberation.fr/international/europe/donnez-nous-une-chance-aux-pays-bas-frans-timmermans-tente-de-reveiller-la-gauche-20231119_X22Z4Y4XGFHXVHPRHBL7M5KN7A/

Solinas, Margaux. 2023. « Pays-Bas : le parti agricole BBB a perdu des couleurs à l’approche des élections ». L’Écho, 20 novembre 2023 https://www.lecho.be/economie-politique/europe/general/pays-bas-le-parti-agricole-bbb-a-perdu-des-couleurs-a-l-approche-des-elections/10507486.html

Valat, Hadrien. 2023. « Aux Pays-Bas, l’immigration record a porté la victoire de l’extrême droite ». LesEchos, 23 novembre 2023. https://www.lesechos.fr/monde/europe/aux-pays-bas-limmigration-record-a-porte-la-victoire-de-lextreme-droite-2031157

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Léopold Lehmann
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J'écris pour La Revue du Caium, notamment sur les sujets européens 🇪🇺. Étudiant au baccalauréat en Études Internationales à l’Université de Montréal.