Katérie Lakpa
La REVUE du CAIUM
Published in
6 min readMar 29, 2018

--

Des femmes soudanaises transportent les biens familiaux, fuyant les combats vers la Mission des Nations-Unies (UNMISS) à Malakal, en 2014. Crédit photo : Oxfam Blogs

L’instrumentalisation des violences sexuelles à des fins militaire. Le cas du Soudan du Sud

Les conflits armés sont de moins en moins nombreux sur la planète. Toutefois, les civils sont davantage touchés par les atrocités de la guerre. Indépendant depuis 2011, le Sud soudan est le plus jeune État du monde. Or, ce dernier a sombré dans un conflit armé non international de haute intensité suite à son indépendance. En réaction à cela, nous dénombrons près d’un million de réfugiés depuis le début du conflit armé[1]. Les Sud-soudanaises sont loin d’être épargnées par les tragédies de la guerre. D’ailleurs, une des envoyées spéciales des Nations Unies au Sud-soudan, Zeinab Bangura, dénonce l’ampleur des violences sexuelles utilisées comme arme de guerre dans cette zone[2]. Les femmes ont souvent pour tâche d’approvisionner leur famille ou leur village en nourriture. De ce fait, la menace de viol que fait planer l’ennemi empêche ces dernières d’aller aux champs afin d’accomplir cette tâche[3]. A fortiori, le viol sert aussi d’avertissement pour toute la communauté[4]. Cela représente donc une perte économique considérable pour les pays en guerre et du même coup, accroît la vulnérabilité du camp adverse. Selon Amnistie internationale, les femmes quittant les villes dans le but d’aller chercher de la nourriture dans les villages sont particulièrement exposées à ce danger[5].

La crise au Soudan du Sud crée des conditions de vie inhumaines. Crédit photo : Rakghana

Il est important de comprendre que ces dernières jouent un rôle clé dans ce conflit à caractère ethnique[6]. Porteuses de traditions, coutumes et mœurs, les femmes sont ciblées de façon symbolique dans le but génocidaire d’anéantir l’ennemi. Le rapport de l’ONU Do not remain silent a démontré que les violences sexuelles orchestrées sur les femmes soudanaises étaient fondamentalement à caractère ethnique et politique. Ces violences sont commises par les forces de l’ordre gouvernemental ou par les milices rebelles[7]. En d’autres mots, les femmes sont ciblées par le biais de leur appartenance ethnique qui, dans le contexte du conflit soudanais, laisse supposer leurs allégeances politiques[8].

Les travaux de Raphaëlle Branche ont démontré que l’utilisation de violence séxospécifique à caractère sexuel organisée à des fins politiques n’est pas un phénomène nouveau[9]. Selon cette dernière, l’instrumentalisation des femmes comme butin de guerre existe depuis des siècles. En ce sens, le droit international humanitaire est de plus en plus sensible à toutes les questions entourant les femmes durant les conflits armés. Lors d’une réunion de l’Organisation des Nations Unies le 2 juin 2016, les membres ont dénoncé l’utilisation des violences sexuelles à des fins militaires, politiques et économiques[10]. Or, bien que l’interdiction des violences sexuelles n’y soit pas explicitement prohibé, l’article III commun aux quatre Convention de Genève protège les civils contre la torture, les traitements cruels et l’atteinte à la dignité. Cette Convention est l’un des nombreux instruments internationaux mis en place afin de protéger les civils, notamment les femmes et les filles, en temps de guerre. D’un point de vu régional, le Protocole de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique interdit catégoriquement toutes formes de violences sexuelles aux articles 4 et 11. Ainsi, il y a lieu de se demander comment le droit international n’arrive pas à éradiquer l’ubiquité des violences sexuelles comme arme lors des conflits armés, et ce, malgré les nombreuses normes et conventions à cet effet ?

Des casques bleues de UNMISS dans la région de Likuangole Payam, dans l’État de Jonglei. Crédit photo : Nations Unies

De surcroît, il y a lieu de se demander que fait la communauté internationale ? La souveraineté étatique acquise par les Traités de Westphalie pose tout un casse-tête aux institutions internationales. Cependant, il est clair que la Résolution 1325 paragraphes 9 et 10 indiquant que toutes les parties doivent respecter le droit international ainsi que les protections des femmes et des petites filles sont bafouées au Soudan du Sud. En ajout à cela, la Résolution 1820 des Nations Unies réaffirme les dispositions prises dans la Résolution 1325 en matière de protection des femmes et filles, mais en incluant de façon plus explicite les violences sexuelles[11]. Il va sans dire que tous les instruments internationaux sont en place afin de contrer ce fléau. Les États, de leur côté, ont l’obligation de faire respecter le droit international humanitaire et de tout mettre en place afin de garantir les sanctions appropriées aux auteurs de ces crimes. Au demeurant, les dénonciations sont très compliquées dans un pays comme le Sud soudan où l’impunité règne[12].

Somme toute, une des solutions offertes par l’ONU serait de former plus de femmes dans les corps policiers internationaux (communément appelé Casque bleu) afin de faciliter les dénonciations de la part des victimes[13]. L’idée est de construire un lien de confiance entre le personnel féminin et les victimes d’agression dans le but d’obtenir une augmentation quantitative des dénonciations[14]. Plus largement,

« [a]ccroître le déploiement de femmes Casques bleus dans les opérations de maintien de la paix contribue fortement à l’instauration d’une paix durable et à l’amélioration du bien-être des femmes et des filles dans les régions touchées par un conflit »[15].

L’augmentation du personnel féminin au sein des corps policiers onusiens semble être une solution en tout point positive pour les pays en crise comme le Sud-soudan.

En conclusion, les Sud-soudanaises ne sont pas autant protégées qu’elles devraient l’être des atrocités de la guerre. Bien que la communauté internationale se soit dotée d’instruments afin d’éradiquer les violences sexuelles, plusieurs facteurs dont la souveraineté étatique rend leur application compliquée. Or, le combat n’est pas vain. Espérons maintenant que l’augmentation de la gente féminine dans les forces de l’ordre internationales facilitera les processus de dénonciation et que l’impunité des agresseurs connaitra un déclin significatif.

Références

[1] Grilhot, Gaël, (2017), Près d’un million de réfugiés Sud-soudanais : l’Ouganda arrive à saturation, Journal Le monde, repéré à http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/08/15/un-million-de-refugies-sud-soudanais-l-ouganda-arrive-a-saturation_5172605_3212.html.

[2]RFI Afrique, (2014), Soudan du sud, pour les femmes : l’endroit le plus dangereux au monde, repéré à http://www.rfi.fr/afrique/20141012-onu-viols-violences-sexuelles-soudan-sud-bentiou-refugies-femmes.

[3] True, Jacqui, (2012), «The political economy of violence against women: A feminist international relations perspective», Researchgate, Pp. 39–59.

[4] Id.

[5] Amnistie internationale, (2017), Détérioration de la situation des droits humains et la crise humanitaire en république du soudan du sud, repéré à https://www.amnistie.ca/sinformer/communiques/international/2017/soudan-sud/deterioration-situation-droits-humains-crise

[6] Amnistie international, (2017), Soudan du Sud, Des milliers de personnes en détresse psychologique à la suite de violences sexuelles, alors que le conflit fait rage, repéré à https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/07/south-sudan-sexual-violence-on-a-massive-scale-leaves-thousands-in-mental-distress-amid-raging-conflict/.

[7] Prec. note 6.

[8] Id.

[9] Branche R. et al. (2011). « Ecrire l’histoire des viols en temps de guerre », dans Branche R. et Virgili F. (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot.

[10] Organisation des Nations Unies, (2017), L’Onu appelle a combler les lacunes actuelles en matière de lutte contre les violences sexuelles dans les conflits, Centre d’actualité de l’ONU, repéré à

http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=37371#.WUJ8SDN7Tow.

[11] Conseil de sécurité des Nations Unies, S/RES/1820(2008).

[12] Longué, Jérôme, (2017), Soudan du Sud, L’ONU dénonce l’impunité après les graves violations des droits de l’homme en juillet 2016, Radio des Nations Unies, repéré à http://www.unmultimedia.org/radio/french/2017/01/soudan-du-sud-lonu-denonce-limpunite-apres-les-graves-violations-des-droits-de-lhomme-en-juillet-2016/#.WeDyNGVj6t8.

[13] Organisation des Nations Unies, (2017), L’Onu veut plus de femmes dans ses missions de maintien de la paix, Centre d’actualité de l’ONU, repéré à http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=22097&Cr=police&Cr1=#.WUMQGTN7Tow,

[14] Id.

[15] Nations Unies, Les questions soulevées par les opérations, Femmes casques bleus, repéré à http://www.un.org/fr/peacekeeping/issues/military/femalemilitary.shtml.

--

--

Katérie Lakpa
La REVUE du CAIUM

Titulaire d’un baccalauréat en science politique spécialisé en relations internationales. Actuellement candidate à la maîtrise en droit international (L.LM).