L’Organisation pour la Coopération de Shanghai, une rivale à l’OTAN ?

Thomas Ostiguy
La REVUE du CAIUM
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7 min readFeb 13, 2018
Les représentants des pays membres au sommet de l’OCS à Astana, les 8-9 juin 2017. Crédit photo: The Astana Times

Suite à l’implosion de l’URSS et la création de nouveaux États autonomes, le gouvernement chinois s’est empressé d’établir des relations avec ses nouveaux voisins par la mise en place de traités dès 1996 qui ont constitué le groupe des 5 de Shanghai. Outre le fait de reconnaître les frontières existantes comme étant légitimes, ceux-ci visaient notamment à assurer la sécurité des frontières en améliorant la transparence ainsi qu’en réduisant le nombre de troupes situés aux limites de celles-ci.

C’est en 2001 que l’Organisation pour la Coopération de Shanghai (OCS) voit officiellement le jour en devenant formalisée par un traité regroupant ses six États fondateurs, soit la Chine, la Russie, le Kirghizistan, le Kazakhstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, puis institutionnalisée en 2002 par la création d’une Charte. Tout récemment, l’Inde et le Pakistan ont rejoint cette organisation régionale de coopération sur la sécurité (bien qu’elle touche également à des aspects économiques et culturels), faisant d’elle une organisation de taille.

En effet, l’organisation s’étend sur plus de la moitié du territoire eurasien et comprend près de 40% de la population mondiale. Ainsi, bien que cette organisation soit de nature régionale, son poids semble être à la fois immense et grandissant sur la scène internationale. Certains chercheurs osent même parler d’une rivale à l’OTAN pouvant faire basculer le rapport de force entre l’Occident et l’Orient. Par contre, l’OCS n’est guère aussi menaçante qu’elle ne le paraît pour l’équilibre des forces à l’échelle mondiale, et cela en raison de son faible niveau d’institutionnalisation et de son faible noyau social et identitaire.

Carte regroupant les différents pays participant à l’OCS. Crédit photo: Ümit Dönmez

Tout d’abord, la majorité des analystes occidentaux ont choisi de définir l’OCS comme un outil géopolitique développé de concert par les Russes et les Chinois pour renverser l’influence américaine en Asie Centrale et pour s’opposer au bloc occidental en général. [1] C’est en effet ce que nous porterait à croire une vision très réaliste basée sur le principe d’équilibre des puissances. Selon ce principe, l’OCS aurait pour but de former une coalition de pays anti-occidentaux pour contrebalancer le poids de l’hégémonie américaine sur la scène mondiale.

Pourtant, c’est bien loin d’être le cas. La raison de cette croyance vient particulièrement d’un manque de confiance tiré du fait que les États-Unis se sont vus refuser le statut de pays observateur au sein de l’Organisation. Toutefois, comme le rappel Germanovich, les élites doivent garder en tête que l’absence des États-Unis au sein d’une organisation internationale ne signifie pas pour autant que le groupe est adverse aux intérêts américains. [2]

Comparativement à l’OTAN, dont la création a eu pour but de créer une alliance capable de contrer la menace que représentait l’URSS, l’OCS a des objectifs bien plus banals. Bien loin d’être un forum de coopération sur les menaces traditionnelles, la coopération au sein de l’OCS se fait plutôt autour des menaces non-traditionnelles à caractère transnational, soit le terrorisme, l’extrémisme, le séparatisme ainsi que le crime organisé.

Ainsi, la coopération est bien limitée au sein de l’OCS et l’on se retrouve très loin de l’article 5 de l’OTAN qui stipule qu’une attaque contre l’un des membres et une attaque dirigée contre tous et par conséquent que tous doivent répliquer. Évidemment, en raison de leur vision quant à la souveraineté, les États membres évitent tout mécanisme contraignant. Un des éléments qui les relie certainement, c’est la volonté de créer une alternative à l’hégémonie américaine (volonté qui ne semble guère en voie de se réaliser, du moins pour le moment). Toutefois, c’est davantage la volonté des élites à assurer la stabilité de leur régime qui poussent les divers acteurs étatiques à coopérer. [1]

Bien que les pays membres se rassemblent autour d’idées et partagent des principes qui sont souvent vus en opposition à nos valeurs occidentales, cette organisation n’a pas pour but d’être un second Pacte de Varsovie, comme plusieurs analystes politiques en font le rapprochement. Bref, l’OCS est une organisation qui se préoccupe davantage des enjeux de sécurité au niveau régional et qui est orientée sur la stabilité des régimes des États membres. Étant donné que l’Occident ne présente pas une menace à ce niveau, l’idée que l’OCS fut créée pour rivaliser avec les États-Unis et se présenter comme une rivale à l’OTAN semble à priori fondée uniquement sur des idées sensationnalistes basées sur le réalisme.

En 2004, les membres permanents de l’OCS se sont entendus pour la création de deux entités permanentes, soit un secrétariat et une branche antiterroriste, le RATS (Regional Anti-Terrorist Structure. [3] Bien qu’effectivement ces deux organes démontrent un certain niveau d’institutionnalisation, cette dernière demeure limitée dans l’optique où cela ne représente pas pour autant une dévolution de la souveraineté des membres, car ces organes dépendent du budget qui leur est alloué par les États et sont limités au mandat qui leur est confié. Ainsi, ces organes n’ont aucune autonomie et dépendent exclusivement de la volonté et des intérêts des États membres.

En poursuivant, l’OCS ne possède, comparativement à l’OTAN, ni une branche de commandement militaire commune, ni une obligation d’agir dans le cas où un allié est attaqué, comme le prévoit l’article 5 de la Charte de l’OTAN. C’est donc loin d’être une alliance militaire au sens traditionnel du terme. Elle vise plutôt à unifier leur approche sur diverses problématiques ainsi qu’à partager de l’information. [1]

Coopération militaire sino-russe dans le cadre de l’exercice Joint Sea 2017 (21–26 juillet 2017). Crédit photo: Réseau international

En l’absence de mécanismes contraignants et d’organes indépendants, cette organisation ne repose que sur la bonne volonté des États membres qui, comme suggéré précédemment, n’est orientée que vers ses intérêts nationaux. Pour que cette organisation soit véritablement institutionnalisée et qu’elle possède le poids qu’on lui prétend, les États membres, principalement la Russie et la Chine, devraient être prêt à sacrifier une partie de leur souveraineté. Or, dans cette vision réaliste des relations internationales qu’ils arborent, cela semble, du moins pour le moment, impossible.

Lorsque l’on analyse l’OCS, il est important de prendre en considération que ces pays membres, à l’exception de l’Inde, ne sont pas de pleines démocraties. [4] Bien que le fait de dépeindre l’OCS comme un club d’autocrates semble exagéré, il demeure néanmoins que Stephen Aris touche un point important : l’hypothèse très répandu chez les libéralistes qu’une véritable coopération ne peut avoir lieu qu’entre des démocraties libérales où l’on retrouve un pluralisme politique et une interdépendance économique.

En effet, ce n’est qu’avec cette vision libéraliste d’un jeu à somme non nulle que la coopération peut véritablement prendre effet, sans quoi cette coopération laisse place à une compétition entre les États membres de l’organisation. C’est d’ailleurs le cas avec l’OCS où, bien loin de s’entendre sur tout, la Chine et la Russie luttent pour obtenir de l’influence au sein de l’organisation. [1]

En outre, bien que l’on présente souvent l’OCS comme une alternative au modèle hégémonique américain, il est évident que pour des pays comme l’Ouzbékistan, renoncer au soutien des États-Unis demeure impensable pour le moment. Il en va de même avec les États-Unis et la Chine. [5] Bref, il est très peu probable que l’OCS devienne une organisation anti-occidentale, car comme le soutient De Haas, même si la Russie voulait faire de l’OCS une alliance anti-occidentale, d’autres États comme la Chine et le Kazakhstan, qui désirent maintenir leurs relations avec l’Ouest, ne le permettront pas. [6]

Bref, il semblerait qu’effectivement, les membres de l’OCS sont unis dans la promotion de l’autoritarisme et dans leur résistance face à la démocratisation, mais malgré le fait qu’ils nous apparaissent coopérer dans l’unique but de contrebalancer l’influence américaine, ce qui n’est pas tout à fait faux, il demeure qu’ils ne rebutent pas pour autant l’hégémonie américaine et qu’au contraire, ils souhaitent maintenir leurs relations bilatérales avec les États-Unis.

Somme toute, cette organisation que certains dénomment le « NATO of the East » est bien pâle en comparaison avec l’Organisation du Traité du Nord-Atlantique, notamment parce qu’elle a une toute autre raison d’être. Nous avons abordé consécutivement le fait que l’OCS est une organisation visant principalement à éliminer les menaces non-traditionnelles au niveau régional, et non à créer un bloc anti-occidental, puis nous avons abordé le faible niveau d’institutionnalisation de l’organisation en raison de l’absence de mécanismes contraignants et d’organes indépendants.

Enfin, il est également important de noter que l’identité de l’OCS existe de manière négative, c’est-à-dire en opposition aux valeurs occidentales, et que par conséquent, elle est faible au niveau identitaire. L’importance accordée au respect de la souveraineté et la vision partagée est celle du réalisme, toutes deux peu compatibles avec le concept de coopération internationale. Face à l’idée que l’OCS est une organisation visant à contrebalancer l’hégémonie américaine, nous avons démontré que chaque pays a intérêt à maintenir de bonnes relations avec les États-Unis.

Bref, l’OCS n’est guère plus qu’un bluff politique. L’OCS n’a pas de politique cohérente acceptée par tous ses membres, mais son existence et sa prétendue activité politique (ou géopolitique) donnent l’impression (ou plutôt, l’illusion) d’un nouvel acteur de poids sur la scène régionale et internationale. [7]

Bibliographie :

[1] Aris, Stephen. 2009. « The Shanghai Cooperation Organisation: ‘Tackling the Three Evils’. A Regional Response to Non-traditional Security Challenges or an Anti-Western Bloc? » Europe-Asia Studies 61 (3): 457‑82.

[2] Germanovich, Gene. 2008. « The Shanghai Cooperation Organization: A Threat to American Interests in Central Asia? » Dans China and Eurasia Forum Quarterly. 19‑38.

[3] Zhao, Huasheng. 2006. « The Shanghai Cooperation Organization at 5: Achievements and Challenges Ahead ». China and Eurasia Forum Quarterly 4 (3): 105‑23.

[4] Abramowitz, Michael J. 2018. Democray in Crisis. Freedom House. En ligne. https://freedomhouse.org/report/freedom-world/freedom-world-2018 (page consultée le 6 février 2018).

[5] Facon, Isabel. 2006. « Les relations stratégiques Chine-Russie en 2005: la réactivation d’une amitié pragmatique ». Fondation pour la Recherche Stratégique: 3.

[6] De Haas, Marcel. 2008. « The Shanghai Cooperation Organisation’s momentum towards a mature security alliance ». Scientia Militaria: South African Journal of Military Studies 36 (1): 14‑30.

[7] Laumouline, Mourat. 2006. « L’Organisation de Coopération de Shanghai vue d’Astana: un «coup de bluff» géopolitique? » Russie. Nei. Visions 12.

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Thomas Ostiguy
La REVUE du CAIUM

Finissant au baccalauréat en Études internationales spécialisation Paix et Sécurité