« Octopartisme » en Israël

Que compte apporter la coalition de huit partis à la Knesset?

Olga Rasse
La REVUE du CAIUM
5 min readFeb 10, 2022

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Naftali Bennett. Photo: Menahem Kahana

Connu pour être le seul régime démocratique au Moyen-Orient, Israël n’a pourtant pu bénéficier d’un gouvernement stable depuis des années. Pourtant, en juin dernier, l’élection par le parlement israélien d’une coalition de huit partis pourrait changer la donne. Cette union inattendue allie des partis allant de la droite à la gauche, en plus d’y intégrer un parti arabe, une première pour Israël. Nourrissant la volonté de réinstaurer le dialogue entre les différents groupes qui constituent le peuple d’Israël, la coalition de Naftali Bennett semble notamment vouloir prendre en main la situation avec la Palestine.

Le conflit israélo-palestinien qui perdure depuis 1948 est depuis peu mis à l’écart dans les préoccupations de la communauté internationale, bien qu’il demeure une source de questionnement de premier ordre au Moyen-Orient. Le précédent premier ministre Benyamin Netanyahou, chef du parti de droite Likoud, était soutenu par le président américain Donald Trump dans ses vélléités expansionnistes. Il avait en effet comme projet de construire des routes vers la Cisjordanie pour permettre l’installation de colons israéliens sur ces territoires palestiniens occupés, ce qui constitue une violation des accords d’Oslo signés en 1993.

La nouvelle coalition adopte une autre approche et a récemment cherché à instaurer un dialogue avec la Palestine. C’est du moins ce que cet entretien entre le ministre de la sécurité israélienne Benny Gantz et Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, du 28 décembre dernier laissait présager.

Cet échange avait pour vocation de trouver une «solution» au conflit sans toutefois s’engager dans des pourparlers de paix. Il est vrai que si Naftali Bennett s’est affiché en faveur d’un changement positif dans les conditions de vie des Palestiniens, il demeure favorable aux colonies et ne souhaite pas voir émerger un État palestinien. Ainsi, si la reprise des relations avec l’Autorité palestinienne semblait être synonyme d’une évolution dans le dossier israélo-palestinien, cela ne veut pas pour autant dire que ce gouvernement à 8 veut être celui qui mettra fin au conflit.

Premier ministre du pays de 2009 à 2021, Benyamin Netanyahou joue aujourd’hui le rôle de principal opposant politique au gouvernement. Il est actuellement mis en examen dans trois litiges et a contribué à créer une instabilité politique en Israël, de par ses innombrables alliances de très courte durée avec d’autres partis.

La coalition de huit partis se positionne quant à elle en nette opposition vis-à-vis de son prédécesseur, avec un souhait d’apporter de la stabilité au pays d’Israël en se maintenant au pouvoir jusqu’en 2023.

Élue à une très fine majorité, elle entend suivre une logique de compromis, pour tenter de satisfaire au maximum la population israélienne. Elle constitue également une preuve du changement de mentalité des Israéliens comparé à celle d’il y a de cela quelques années. Dans cette optique de stabilité, la Knesset a approuvé un budget de plus 178 milliards de dollars pour prendre en main les problèmes sociétaux que rencontre Israël. En effet, ce premier budget depuis 3 ans pourrait permettre de développer des mesures qui répondraient aux attentes de la population israélienne, qui par exemple, souffre d’une importante crise du logement.

Ce nouveau gouvernement prend également des décisions qui s’inscrivent dans une certaine continuité, comme en témoigne sa loi sur la citoyenneté. Cette pièce législative adoptée lors de la seconde Intifada interdit aux Palestiniens épousant des Arabes israéliens d’obtenir un permis de séjour en Israël. Les raisons données pour l’établissement de cette loi étaient que les Palestiniens mariés à des Israéliens étaient plus susceptibles que d’autres de prendre part à des activités terroristes ; cette loi permettait ainsi de maintenir une majorité juive en Israël. Elle a plusieurs fois été renouvelée dans le passé et le gouvernement a récemment tenté de la maintenir en vigueur, ce qui lui a été refusé par la Knesset. Les Palestiniens mariés à des Israéliens pourront donc désormais se procurer un permis de séjour en Israël.

Le rapprochement avec l’Autorité palestinienne marque également une volonté d’Israël de garder cette dernière au pouvoir, aux dépens du Hamas, l’autre groupe politique en Palestine qui est bien moins tolérant de la présence d’Israël en Cisjordanie.

Le conflit israélo-palestinien : en cours de résolution ou marginalisé?

Si le conflit est né de la déclaration d’un premier ministre anglais Balfour en 1917, l’intervention du Royaume Uni ainsi que de l’Union Européenne dans les démarches pour la résolution du conflit semblent pour le moins timorées. En plein milieu de la Première Guerre Mondiale, le premier ministre anglais Arthur Balfour a promis aux juifs la création d’un foyer en Palestine, ce qui a créé lors de l’instauration de l’État d’Israël en 1948 une grande frustration dans les pays voisins. Cette frustration prend naissance dans l’absence de consultation des pays européens lors de l’établissement de cet État et dans le fait que la Palestine n’est pas reconnue comme État par l’ONU*. Dès lors, de nombreuses guerres ont eu lieu et la majorité des États arabes ont arrêté d’entretenir des relations diplomatiques avec Israël, de par son comportement vis-à-vis des Palestiniens. Cependant, au fil des années certains d’entre eux ont maintenu des contacts officieux avec Israël, et l’Égypte fut notamment la première à reconnaître l’État d’Israël. Le rapport de force s’étant alors compliqué, une vision manichéenne des soutiens de l’un ou l’autre n’est donc plus envisageable

De plus, depuis le départ de Benyamin Netanyahou, l’approche du gouvernement israélien concernant le conflit a évolué. Comme précisé plus haut, le gouvernement en place cherche à instaurer un dialogue avec l’Autorité palestinienne et a accompagné sa démarche d’apaisement avec la Palestine d’une décision au message ambivalent en affirmant en décembre 2021 « le caractère juif d’Israël ». Cette décision qui écarte la possibilité d’une résolution du conflit avec la solution d’un État deux nations accorde par la même occasion le statut juridique de minorité aux Palestiniens et par conséquent leur attribue en théorie des droits supplémentaires.

Elle est à l’opposé de la volonté du président américain Joe Biden, qui a récemment déclaré que la solution à deux États était la seule envisageable. Bien que les États-Unis aient toujours été le plus fervent allié d’Israël, le sentiment d’un conflit insolutionnable et son indépendance accrue vis-à-vis des hydrocarbures du Moyen-Orient contribuent à son désintérêt actuel. De plus, au vu de l’actualité récente avec l’Ukraine, il est bien possible que le conflit israélo-palestinien passe au second plan à la Maison-Blanche.

Les États limitrophes ont pendant longtemps soutenu la Palestine, mais l’émergence d’un nouvel ennemi dans la région ont forcé certains États à renouer avec Israël, le nucléaire iranien.

La coalition de huit partis en Israël s’avère plus ou moins imprévisible de par ses positions contradictoires à l’interne, mais a l’avantage incontestable de permettre un changement dans le pays après de nombreuses années d’instabilité politique. L’issue du conflit israélo-palestinien est toujours aussi incertaine, mais le gouvernement semble prompt à rendre la cohabitation entre les deux populations plus aisée. La question des relations avec l’Iran promet également d’être intéressante, les deux pays ayant mené jusqu’alors une guerre secrète, il s’agirait dans le futur d’observer si la prise de position du nouveau gouvernement israélien va se faire dans la continuité ou s’il va tenter une autre approche.

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