Présidentielle américaine 2024 : Joe Biden ou le péril jeune

Matthieu Naudin
La REVUE du CAIUM
Published in
8 min readDec 21, 2023

Les récents sondages réalisés par les médias américains placent Joe Biden en position difficile face à l’ancien président républicains Donald Trump dans plusieurs États clés. Pire encore, l’actuel chef de l’État perd des appuis parmi la jeunesse.

Photograph: Andrew Harnik/A

Tombera-t-il ? C’est la question qui taraude les observateurs politiques américains quand Joe Biden entre en scène. Nombreux sont ceux qui se doutent de sa capacité physique à assurer ses fonctions et sa réélection l’an prochain. Considéré comme « trop vieux » pour le poste suprême par une majorité d’Américains, l’actuel locataire de la Maison-Blanche est loin de faire l’unanimité parmi la population. Les plus récents sondages le montrent en difficulté même si Donald Trump remporte l’investiture républicaine. Malgré ses quatre inculpations, l’ancien magnat new-yorkais de l’immobilier est en avance dans de nombreux États-clés, c’est-à-dire des États pouvant être remportés soit par le candidat démocrate, soit le candidat républicain. Joe Biden perd des plumes et en particulier auprès de la jeunesse (18–35 ans) où l’écart se réduit de plus en plus. Au sein du camp démocrate, on va même jusqu’à souhaiter qu’il se retire au profit d’un candidat plus jeune.

L’âge de Joe Biden : le temps ne fait pas son affaire

Un sondage doit toujours être analysé avec grande précaution mais celui-ci est sans appel. D’après une étude réalisée par Associated Press and Norc Center au mois d’août dernier, trois quarts des personnes interrogées jugent Joe Biden trop vieux pour exercer ses fonctions. Et il faut admettre que les faits ne peuvent pas donner tort aux sondés. Depuis plusieurs mois, le président démocrate semble affaibli à chaque prise parole et il n’est pas rare de le voir chuter en public et commettre des gaffes comme en juillet 2022 où il déclarait être atteint d’un cancer « comme des millions d’Américains ». La Maison-Blanche avait été obligée de rectifier le tir. Autant de signes qui contribuent à la chute du taux d’approbation de Joe Biden. D’après l’agrégateur de sondages de CNN, l’actuel Président n’obtient que 38% d’opinions favorables contre 59% pour ses concurrents.

Ce climat n’inspire pas la confiance dans le camp démocrate et en particulier au sein l’électorat jeune. Chuck Burger est membre de longue date du parti démocrate à Washington, DC. Il m’a confié son désarroi et son scepticisme quant à la capacité du Président sortant à rallier la jeunesse : « Les plus jeunes sont souvent difficiles à mobiliser en général et encore plus pour Joe Biden qui est juste un vieillard à leurs yeux. ». Cet état d’esprit contraste fortement avec les grandes heures du parti démocrate en 2008 se rappelle Chuck Burger : « Sous Barack Obama c’était différent parce qu’il était jeune, il était noir, il était professionnel et il incarnait l’espoir de changement de toute une génération. C’était un peu comme une rock star si vous voulez ». Le profil peu enthousiasmant d’un Président octogénaire pourrait donc affecter soutien des plus jeunes, malgré la présence de l’épouvantail Trump.

Des sondages très défavorables au Président sortant

Une étude de Sienna/New York Times, parue à la mi-novembre, a fait pâlir plus d’un démocrate. D’après cette enquête du quotidien new-yorkais, Joe Biden serait distancé par Donald Trump dans la plupart des États clés comme la Georgie ou l’Arizona. Et l’écart est encore plus grand avec un autre candidat républicain. Autre mauvaise nouvelle : l’écart chez les 18–29 ans se réduit considérablement en faveur de l’ancien président républicain (Donald Trump obtiendrait 44% du vote contre 50% seulement pour son adversaire dans cette classe d’âge). Ces chiffres inquiétants posent questions quant à la capacité de Joe Biden à mener son camp à la victoire, à moins d’un an du scrutin.

Donald Trump met la pression sur Joe Biden dans les sondages. AFP : JIM WATSON, Morry GASH

Le locataire de la Maison-Blanche n’a pas tardé à réagir. Le 5 décembre dernier, il laissait entendre que si Trump n’avait pas été candidat, il ne se serait peut-être pas présenté lui aussi. Pour Chuck Burger, c’est symptomatique du manque de confiance qui agite le camp démocrate : « Joe Biden apparaît comme un candidat qui se présente juste parce que Trump se présente. Ça n’inspire pas vraiment confiance ». En d’autres termes, le principal argument de campagne du natif de Scranton, PA s’appelle Donald Trump et la terreur qu’inspire son retour à Washington. Cependant, ce dernier n’est plus un repoussoir mobilisateur comme il y a trois ans. Pour Chuck Burger, l’explication est simple : « C’est plus facile de mobiliser les jeunes électeurs en leur disant de voter pour quelqu’un plutôt que de voter contre quelqu’un. Si vous prenez Bernie Sanders, tous les jeunes au parti l’adoraient parce qu’ils avaient envie de voter pour lui. On ne peut pas en dire autant de Biden ». Cette abstention pourrait faire très mal au candidat démocrate. Lors de la dernière course à la présidence, le soutien massif des jeunes avait été un ingrédient clé de sa victoire.

En temps normal, des mauvais sondages comme ceux-ci inciteraient à chercher un autre candidat plus jeune et plus inspirant. Problème : personne chez les démocrates ne semble se détacher pour reprendre le flambeau. Des noms comme Gavin Newsom, le gouverneur de Californie, circulent toutefois au sein des réseaux démocrates : « il est plus populaire, plus jeune et brillant, admet Chuck Burger, mais pour avoir une chance, il aurait fallu qu’il s’y prenne deux ans et demi à l’avance, donc c’est clairement trop tard » soupire-t-il. Le pessimisme semble donc de mise dans le camp démocrate alors que la campagne bat son plein dans le camp républicain.

Des Républicains en effervescence mais divisés

Les adversaires de Donald Trump à la primaire républicaine : Chris Christie, Ron DeSantis, Nikki Haley et Vivek Ramaswamy. Crédit : Frederic J. Brownrobyn Beck/AFP

De leur côté, les Républicains doivent encore choisir leur candidat pour 2024 et le favori des sondages est sans surprise Donald Trump. Reste à savoir si ce dernier pourra se présenter. Le 19 décembre dernier, la Cour suprême du Colorado le déclarait inéligible à la présidentielle dans cette État. Cette décision doit encore être validée par la très conservatrice Cour Suprême des États-Unis. Pour Victoria Carlson, militante républicaine de George Washington University dans la capitale américaine, le résident de Palm Beach n’est pas forcément le candidat préféré des jeunes républicains : « On voit vraiment une grande diversité d’opinions : des étudiants pour Nikki Haley, des étudiants pour Ron DeSantis mais ce qu’ils ont tous en commun c’est la volonté de voir Joe Biden hors de la Maison-Blanche en janvier 2025 ». Ainsi les jeunes républicains tentent de prendre leur décision en fonction de deux facteurs analyse Victoria Carlson : « Les personnes que je rencontre sont partagées entre d’un côté une candidature Haley ou DeSantis, qui les fait tripper et d’un autre côté la capacité d’une candidature à gagner la primaire républicaine. ».

En ce qui concerne l’élection générale, Victoria Carlson est convaincue que les Républicains ont la capacité de rallier les jeunes électeurs. D’après elle, la campagne menée sur les campus américains par les candidats à la primaire républicaine (Haley et DeSantis) est très prometteuse : « Ils font campagne sur les campus et je trouve que c’est une excellente idée,
se réjouit-elle. Ils peuvent séduire un grand nombre de jeunes, ça dépend un peu de qui propose les meilleures idées et aussi un peu qui fait les meilleurs Tik Tok si vous voulez ». Cette effervescence contraste avec l’inactivité des étudiants pro-Biden, pointe du doigt la militante républicaine. Un constat que la guerre au Proche-Orient n’a pas arrangé.

La guerre Israël-Hamas affecte la cohérence du message

C’est une nouvelle crise internationale que Joe Biden aurait préféré ne pas avoir à gérer. L’attaque du Hamas sur Israël le 7 octobre dernier a mis le président démocrate dans une situation délicate sur le plan intérieur. Si le soutien américain à l’État hébreu n’a rien de surprenant compte-tenu de l’historique de la position américaine dans ce conflit, Joe Biden s’est aliéné une partie de la jeunesse et de la gauche démocrate, plutôt favorables à la Palestine. La guerre entre Israël et le Hamas a d’ailleurs déclenché des manifestations d’ampleur dans de nombreuses universités américaines, dont Harvard. Certains rassemblements ont été émaillés de violences entre militants pro-israéliens et pro-palestiniens. Ainsi, une partie des jeunes démocrates des universités américaines ne pardonne pas à Joe Biden son soutien inconditionnel à Israël et pourrait se montrer plus frileuse à le soutenir en 2024. Cependant, il y a peu de chance que cela apporte plus de votes à Donald Trump estime Chuck Burger: « Quand Trump était au pouvoir, sa position par rapport à Israël était très claire : il leur donnait tout. Donc, je pense que les militants pro-Palestiniens ne sont pas fous non plus. »

Joe Biden lors d’un rendez-vous avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Crédit : Miriam Alster, AP.

Cette question de la guerre au Proche-Orient ne devrait pas déterminer le résultat de l’élection à elle seule. Il reste encore un an, et d’ici là, d’autres enjeux tels que le coût de la vie prendront davantage d’importance pour les électeurs. Cependant, cet épisode met en lumière les profondes dissensions qui existent entre les ailes gauches et modérées du parti bleu. Des divisions symptomatiques de la difficulté du Président et de son parti à faire passer un discours clair et cohérent : « Le parti a été incapable de dégager un message commun à partir de la politique du Président au Proche-Orient » déplore Chuck Burger. Sur bien d’autres aspects Joe Biden est inaudible pour la plupart des Américains : « Les prix de l’essence sont bas, le chômage aussi mais tout le monde s’en fiche » constate le militant démocrate. Le fossé entre le Président et les électeurs continue ainsi de se creuser, et cette perspective est inquiétante pour les démocrates à un an de l’élection.

« It’s really just a mess. »

La situation politique ne rend pas Chuck Burger particulièrement optimiste quant à l’avenir du pays. La perspective d’un retour au pouvoir de Donald Trump malgré sa quadrule inculpation dans diverses affaires, l’angoisse particulièrement. Il faut dire que le programme de l’ancien président, en cas de retour à Washington, a de quoi faire peur. Convaincu que l’élection lui a été volée par les démocrates et ce qu’il appelle le « Deep state » (État profond), l’ancien magnat de l’immobilier new-yorkais promet de se venger avec son plan « America 2025 ». L’objectif : faire un nettoyage complet de l’administration américaine en plaçant ses partisans à des postes clés. Robert Kagan, éditorialiste au Washington Post, n’hésite pas à prophétiser une « dictature » si Donald Trump revenait au pouvoir. Pour Victoria Carlson, la primaire républicaine peut encore nous réserver des surprises. De son côté, Joe Biden ne fait pas rêver mais tout espoir de le voir remplacé par un candidat plus jeune s’amenuise de jour en jour. Une morosité générale particulièrement inquiétante à onze mois d’une élection présidentielle, peut-être la plus cruciale de l’histoire de l’Amérique.

Par Matthieu NAUDIN

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Matthieu Naudin
La REVUE du CAIUM

Étudiant en Études internationales à l’Université de Montréal. Rédacteur à la revue du CAIUM