Quel avenir pour le couple franco-allemand en Europe?

Avec les élections allemandes de septembre dernier, et françaises en avril prochain, que réservent les prochains mois pour les deux partenaires européens?

Léopold Lehmann
La REVUE du CAIUM
7 min readNov 9, 2021

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Olaf Scholz, alors candidat, en visite à Paris. Emmanuel Macron a reçu les deux candidats, social-démocrate et conservateur à l’Elysée, les 6 et 8 septembre derniers. Photo: Thomas Omo ; Picture Alliance

L e 26 septembre 2021, 61 millions d’Allemands étaient appelés aux urnes pour élire les 736 députés du Bundestag et donner un nouveau souffle politique à l’Allemagne après 16 ans de pouvoir d’Angela Merkel. Huit mois plus tard, ce seront les électeurs français qui devront élire leur président ou présidente de la République après un quinquennat Macron mouvementé, des Gilets jaunes aux grèves contre la réforme des retraites en passant par la crise sanitaire liée à la COVID-19. Par ailleurs, la France assurera la présidence tournante du conseil européen pour les 6 premiers mois de l’année 2022. On peut alors penser qu’il y aurait donc ici une occasion de relancer le projet européen et la relation franco-allemande.

Comparaison des résultats, des dynamiques et de la composition du Bundestag entre 2017 et 2021. Photo : Le Parisien.

Le triomphe des sociaux-démocrates allemands

Le Parti social-démocrate (SPD) mené par Olaf Scholz est sorti vainqueur des élections du 26 septembre avec 26% des voix. Il devance l’alliance des chrétiens-démocrates allemands (CDU) et bavarois (CSU) menée par le peu convaincant Armin Laschet qui récolte 24% des voix, 9 points de moins qu’aux dernières élections fédérales. En effet, son éclat de rire en arrière-plan d’une conférence de presse lors des inondations meurtrières de cet été a laissé des traces dans l’opinion allemande.

Derrière eux, on retrouve les deux partis « faiseurs de roi » ou plutôt de chancelier. D’abord, Die Grünen (les Verts) qui réalisent un score en demi-teinte de 14,75%. En demi-teinte, car quand bien même que ce score soit historique pour le parti, c’est une immense déception pour un parti donné à plus de 20% dans les sondages cet été et qui espérait marginaliser un SPD en perte de vitesse. Mais la stratégie d’Olaf Scholz de se placer comme l’héritier légitime de Merkel a chamboulé l’espoir des Verts. Derrière eux, les libéraux-démocrates (FDP) de Christian Linder réalisent un bon score avec 11,45% des voix. Ces deux partis pourraient décider de s’allier avec la CDU/CSU ou le SPD, et donc déterminer l’avenir de l’Allemagne pour les 4 prochaines années. Derrière eux, les partis de gauche et de droite radicaux et eurosceptiques Die Linke et AfD réalisent de faibles scores, respectivement 5% et 10%.

Dès le soir de l’élection, l’Allemagne est donc entrée en négociation entre ces différents partis. Chacun tente alors de faire valoir un maximum de ses positions, pour peser le plus possible au sein de la future coalition gouvernementale. Après quelques jours de tergiversations et avec un appui massif du peuple allemand (59% des allemands soutiendraient cette collation selon la ZDF) c’est la coalition « feux tricolores » ou ampelkoalition (SPD-Verts-Libéraux) qui devrait être mise en place. Elle serait donc europhile, Angela Merkel l’assurant elle-même, mais des terrains d’entente restent à trouver entre ces trois formations, notamment sur la rigueur budgétaire.

Le 26 octobre dernier, n’étant plus députée, Angela Merkel doit assister à l’installation des nouveaux élus du Bundestag depuis les gradins. Photo : Reuters.

En France, poussée populiste et europhobe ?

Au regard des débats actuels, être europhile devient de plus en plus rare en France. De la France insoumise et d’Arnaud Montebourg à gauche, des Républicains au Rassemblement national en passant par Eric Zemmour, Les Patriotes ou l’UPR et enfin Nicolas Dupont-Aignan à droite, l’euroscepticisme semble avoir le vent dans les voiles au pays.

Seuls les écologistes d’EELV, le Parti socialiste et la majorité présidentielle se vantent d’être pro-européens et d’avancer dans l’intégration européenne. Yannick Jadot, candidat écologiste à la présidentielle, veut faire de l’Europe un outil et un exemple mondial de la transition écologique. Il veut aussi profiter de la présence des écologistes allemands au gouvernement pour enclencher une dynamique pour sa formation politique en France. Le gouvernement français et l’entourage d’Emmanuel Macron voient dans la présidence du conseil de l’Union début 2022 une opportunité politique, nationale comme européenne. D’un côté, cela permettrait de parler de l’Europe, thème cher à Emmanuel Macron en pleine campagne présidentielle, et d’un autre côté, cela lui permettra de lancer des transformations au niveau européen pendant les premiers pas du nouveau gouvernement allemand. Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes, est le premier acteur de la préparation de cette présidence. Il profite du conflit sur la pêche avec le Royaume-Uni pour faire le tour des médias, sans jamais oublier de rappeler le fait que la France présidera le conseil européen l’année prochaine.

Les réactions politiques face à la situation en Pologne relative à la décision de sa cour constitutionnelle de réfuter la suprématie du droit européen dans certaines matières traduisent ce climat europhobe en France. Même Michel Barnier, ex-négociateur du Brexit pour l’UE, remet en cause la primauté du droit européen.

Ce principe clé du fonctionnement de l’Union européenne consiste en deux choses. Tout d’abord, le droit européen prime sur les droits nationaux (y compris le droit constitutionnel), et les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne sont contraignants pour tous les États membres. Les souverainistes de gauche comme de droite ont tenu le même discours, mais cela n’est pas surprenant. La nouveauté vient du fait que le parti de la droite républicaine, LR, qui prône l’intégration européenne depuis des décennies, critique lui aussi la primauté du droit européen, avec des discours ambigus de la part de ses potentiels candidats à l’élection présidentielle.

Une relation franco-allemande renouvelée pour les prochaines années ?

Nombreux sont les sujets capitaux pour l’avenir de l’Europe. De manière plus symbolique, on peut tout de même voir une différence de vision entre le SPD et les Verts allemands. Lors d’un débat télévisé en septembre, un journaliste a posé la question suivante aux candidats : « où iriez-vous lors de votre premier déplacement en tant que chancelier ? ». Paris, a répondu le social-démocrate Olaf Scholz, mettant alors de l’avant sa relation avec la France. Annalena Baerbock (Verts), quant à elle, a répondu Bruxelles, signalant ainsi l’intérêt de la formation écologique de prioriser sa relation avec les autres pays du Vieux Continent.

La position face à la Pologne et à la Hongrie sera aussi un des sujets importants sur la scène européenne pour le futur gouvernement allemand. De son côté, le gouvernement français et les parlementaires européens de Renaissance (LREM, Modem) sont entrés en croisade contre les États hongrois et polonais qui remettent en question les valeurs européennes et la primauté du droit européen.

En revanche, le futur gouvernement allemand pourrait bien avoir à composer avec un nouveau président français, qui voudrait lui aussi remettre en cause cette primauté du droit européen, et qui soutiendrait par la bande la Hongrie et la Pologne dans leurs politiques internes. La perspective d’un gouvernement euroscepticiste d’extrême droite constituerait alors un chamboulement historique dans la relation franco-allemande.

De plus, la question du climat risque d’être centrale dans les prochaines années avec les Verts dans la coalition gouvernementale allemande. Il faudra alors aller au-delà des divergences sur la rigueur budgétaire entre Paris et Berlin, tout comme au sein du nouveau gouvernement allemand. Pendant ce temps, les libéraux-démocrates (FDP) désirent revenir à l’austérité budgétaire, position historiquement aux antipodes de celle française. Cependant, la France avait réussi à convaincre l’Allemagne de quitter le camp des frugaux pour mettre en place le plan de relance européen suite à la pandémie de COVID-19. Le chef du FDP, Christian Linder, était même allé jusqu’à qualifier les plans économiques d’Emmanuel Macron de « soviétiques ». Les Verts allemands et le SPD quant à eux se montrent plus flexibles sur la question budgétaire, notamment pour financer la transition écologique. Nul doute que le FDP mettra ce sujet au cœur des négociations entre les partis de la coalition. Au niveau franco-allemand, cela laisse présager donc de longues négociations entre Paris et Berlin sur la meilleure voie économique à entreprendre et, possiblement, sur la règle des 3% de déficit public au niveau européen.

À la croisée des chemins, l’Allemagne et la France sont peut-être à l’aube d’un tournant politique majeur dans leur relation. L’Allemagne, avec sa nouvelle coalition, entre dans une nouvelle ère, avec une certaine continuité, et c’est justement là-dessus qu’Olaf Scholz a fait campagne. En France, cependant, l’élection potentielle d’un candidat eurosceptique pourrait opérer un changement radical dans la politique étrangère et, surtout, vis-à-vis de l’Allemagne. Il faudra donc suivre de près la présidence du conseil européen par la France, au début de l’année prochaine, et le débat autour de l’élection présidentielle sur l’Europe. Débat qui s’annonce, et c’est un euphémisme, musclé.

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Léopold Lehmann
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J'écris pour La Revue du Caium, notamment sur les sujets européens 🇪🇺. Étudiant au baccalauréat en Études Internationales à l’Université de Montréal.