Réforme des retraites Saison 2 : mais que se passe-t-il en France ?

Léopold Lehmann
La REVUE du CAIUM
Published in
8 min readFeb 21, 2023
Pancartes lors des manifestations en France contre la réforme des retraites, le 19 janvier 2023. © Radio France — Claire Chaudière

60,62,64 ou 65… ces chiffres sont au cœur des discussions des 67 millions de Français en ce début d’année Le peuple français, qu’on définit souvent comme peuple politique par excellence, se presse dans la rue contre le nouveau projet de réforme des retraites du gouvernement d’Emmanuel Macron. Depuis maintenant quelques semaines, une à deux journées de mobilisations hebdomadaires regroupent entre 1 et 3 millions de personnes (l’estimation la plus basse venant du ministère de l’intérieur et la plus élevée des syndicats) dans les rues. À l’Assemblée Nationale, les débats sont électriques, chaotiques, parfois même violents… mais pourquoi autant de passion pour les retraites aux pays des Lumières ?

Les origines d’une réforme :

Édouard Philippe, présentant la réforme de 2019 — PHOTO AFP — AFP

Emmanuel Macron s’inscrit dans une logique réformatrice depuis 2017. Il propose ainsi dès sa première candidature de réformer le système de retraites français. Cette réforme soumettait un tout nouveau système universel fonctionnant par points et supprimant ainsi les régimes spéciaux. En effet, de nombreuses professions bénéficient de ces régimes permettant de partir plus tôt à la retraite. C’est le cas de la RATP (autorité qui gère le métro parisien) par exemple. L’objectif de cette réforme : chaque euro cotisé donnera accès aux mêmes droits à la retraite. Ici il n’est pas question de reculer ouvertement l’âge légal de départ à la retraite mais la réforme incitait les français à partir à 64 ans avec un système d’âge pivot. Face à la gronde, le gouvernement d’Édouard Philippe a reculé sur cette mesure pour maintenir le reste de la réforme. Malgré la rue et l’obstruction parlementaire venu de La France Insoumise (qui déposa des milliers d’amendements portant sur la forme du texte), la réforme est votée grâce à l’article 49.3 de la constitution.Cet article de la constitution permet au gouvernement d’adopter un texte de loi sans le vote du parlement sous certaines conditions. Cependant la crise du coronavirus oblige le président à annoncer le 16 mars 2020 la suspension de la réforme qui sera abandonnée en 2021.

2022 est une année électorale et Emmanuel Macron veut rempiler à la présidence. Cette fois il abandonne l’idée réformatrice d’un nouveau système universel par points et penche pour une réforme comptable en faisant passer l’âge de départ de 62 à 65 ans. Il se murmure alors que cette mesure est poussée par son ancien premier ministre, Édouard Philippe, devenu l’influent dirigeant du parti Horizons, allié à la République en Marche d’Emmanuel Macron. Aurait-il troqué sa loyauté contre cette mouture de la réforme des retraites alors qu’Emmanuel Macron affirmait en 2019 être contre un report de l’âge légal ? Emmanuel Macron est ainsi réélu au printemps tout en promettant de réfléchir à la possibilité d’avoir un report de l’âge légal à 64 au lieu de 65 ans. Son parti remporte les élections législatives mais ne forme qu’un gouvernement minoritaire. C’est au début du mois de janvier 2023 que la première ministre Elisabeth Borne propose la seconde tentative de réforme des retraites d’Emmanuel Macron.

En quoi consiste cette réforme ? :

Olivier Dussopt, ministre du travail-© NICOLAS NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Cette réforme (comme la précédente) est censée équilibrer un régime annoncé déficitaire par le Conseil d’Orientation des Retraites. Il faut cependant prendre en compte que le COR se base sur différents scénarios et différentes évolutions de la conjonctures économiques, par définition difficiles à prédire. En général, la crainte des défenseurs de la réforme est celle du vieillissement de la population. En effet, le système de retraite français fonctionne par répartition, c’est-à-dire que les actifs d’aujourd’hui paient les retraites des retraités d’aujourd’hui. Le vieillissement de la population fait donc baisser le ratio du nombre d’actifs par le nombre de retraités. On craint ainsi que le fardeau des retraites devienne trop fort pour les travailleurs.

La réforme sera défendue par le ministre du travail, Olivier Dussopt. Elle consiste avant tout en un report de l’âge légal à partir duquel il est possible de prendre sa retraite, de 62 ans à 64 ans d’ici 2030. Par ailleurs le gouvernement propose d’accélérer la mise en œuvre de la réforme Touraine (réforme mise en place en 2014 par la ministre de la santé de François Hollande), prévoyant de porter la durée de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein à 43 ans dès 2027 au lieu de 2035 comme initialement prévu. Le gouvernement propose ainsi de supprimer certains régimes spéciaux (pas tous) comme ceux de la RATP, d’EDF (l’Hydro Québec français) ou encore celui de la Banque de France. Cela se fera avec la « clause du grand-père », c’est-à-dire que ça ne concerne que les nouveaux embauchés. Les personnels recrutés avant la mise en place de la réforme ne seraient donc pas concernés.

Ces trois principales mesures sont les plus impopulaires et pour pallier cela le gouvernement propose d’autres mesures dites de « justice sociale » pour tenter de convaincre l’opinion publique. Tout d’abord le dispositif « carrières longues » est conservé, ce qui permettra à ceux ayant commencé le travail entre leurs 16 et 20 ans de partir à 58, 60 ou 62 en fonction de leur âge d’entrée sur le marché du travail. Le gouvernement propose d’augmenter le montant de la pension minimale (pour une carrière complète, ce chiffre porte actuellement à débat) de 100 euros dès septembre 2023 et assure vouloir prendre mieux en compte la pénibilité, alors que cette même majorité a supprimé 4 critères de pénibilités lors de son premier mandat.

Comment la France réagit-elle ?

Laurent Berger (CFDT) et Philippe Martinez (CGT) lors de la journée de mobilisation contre la réforme des retraites le 7 février. (Julien de Rosa/AFP)

Mais alors comment réagissent les français face à cette proposition de réforme ? Sans grande surprise, la réforme est profondément impopulaire au sein de l’opinion publique. Selon les différents sondages, entre 60 et 75% des français sont opposés à la réforme proposée par le gouvernement. L’opposition est d’autant plus forte chez les actifs. En soi, l’opinion publique cible la réforme du gouvernement comme une réforme injuste. Les arguments du gouvernement, notamment en comparant les âges de départs à la retraite des pays européens voisins de la France (qui partent pour la plupart entre 65 et 67 ans) n’y font rien, les français ne semblent pas vouloir de cette réforme.

Du côté politique et syndical, l’opposition est toute aussi grande. Les deux principaux syndicats, la CFDT réformiste et la très dure CGT sont dans la rue main dans la main, avec les autres principaux syndicats. Même le syndicat des cadres est dans la rue ; c’est la première fois depuis 2010 que les huits principaux syndicats français sont unanimes. Tous les partis de gauche s’opposent à cette réforme. La NUPES (union de la gauche menée par la France insoumise) proposant même une contre-réforme pour revenir à la retraite à 60 ans. La France Insoumise, comme en 2019 mais avec 5 fois plus d’élus, réitère l’obstruction parlementaire. De plus, des députés de la majorité présidentielle annoncent qu’ils ne voteront pas en l’état cette réforme, comme Patrick Vignal. Le Rassemblement National votera lui aussi contre cette réforme. Enfin le parti de droite Les Républicains pourrait peut-être bien sauver le gouvernement en votant pour la réforme. Cependant, certains de ses députés comme le candidat déchu à la chefferie, Aurélien Pradié, annoncent qu’ils voteront contre. Le gouvernement n’est donc pas assuré de pouvoir faire voter sa réforme.

Quelle sortie de crise pour le gouvernement ? :

Devant un mouvement social d’ampleur qui pourrait s’amplifier avec l’annonce par les syndicats d’une journée de blocage du pays le 7 mars prochain, le gouvernement cédera-t-il ? Répondre à cette question est évidemment aventureux mais voyons-ici quelques options disponibles sur la table du gouvernement. Il pourrait décider de passer en force et de faire voter la loi que ce soit avec le vote des Républicains (à l’Assemblée et au Sénat) ou par l’article 49.3. Cela pourrait avoir une incidence forte sur la popularité du gouvernement, mais Emmanuel Macron en étant à son dernier mandat, cet enjeu pourrait ne pas influencer sa prise de décision. Cela pourrait plus impacter les futurs candidats de son parti aux élections européennes de 2024, municipales de 2026 et présidentielles et législatives de 2027. Le nom d’un ministre ou d’un député ayant supporté une réforme si impopulaire ne sera-t-il pas lourd à porter dans ce futur proche ? L’autre option pourrait alors être de reculer, en modifiant en profondeur la réforme ou en l’abandonnant totalement. Ici le gouvernement et le président pourraient perdre leurs crédits politiques et pourraient craindre que le second mandat du président se termine maintenant, au bout d’un an. Le gouvernement pourrait perdre sa crédibilité et se trouver dans l’incapacité de réformer le pays après ce recul… Cette crédibilité se joue aussi à l’étranger, car la réforme des retraites est censée montrer aux partenaires de la France le sérieux budgétaire après les dépenses liées au « quoi qu’il en coûte » durant la pandémie. Les enjeux de cette réforme des retraites sont donc énormes, allant bien au-delà de ces quelques chiffres, 60, 62, 64 ou 65…

Sources :

https://www.radiofrance.fr/franceinter/voici-le-detail-des-annonces-d-edouard-philippe-sur-la-reforme-des-retraites-8794585

https://www.europe1.fr/politique/coronavirus-macron-annonce-la-suspension-de-toutes-les-reformes-en-cours-dont-celle-des-retraites-3955787

https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/12/15/emmanuel-macron-confirme-l-abandon-de-la-reforme-des-retraites-avant-l-election-presidentielle_6106216_823448.html

https://www.la-croix.com/France/Presidentielle-2022-Macron-retraites-cinq-moments-cles-2022-04-12-1201209974

https://www.tf1info.fr/politique/reformes-des-retraites-edouard-philippe-exhorte-a-bouger-beaucoup-et-a-repousser-l-age-legal-de-depart-2234806.html

https://www.radiofrance.fr/franceinter/quand-emmanuel-macron-trouvait-hypocrite-de-decaler-l-age-legal-de-depart-a-la-retraite-1484781

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/02/13/reforme-des-retraites-comprendre-la-bataille-de-chiffres-autour-des-previsions-du-cor_6161599_4355770.html

https://www.vie-publique.fr/en-bref/287798-reforme-des-retraites-les-annonces-de-la-premiere-ministre-e-borne

https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/la-retraite-minimale-a-1-200-euros-ne-sera-pas-pour-tout-le-monde_AV-202302100465.html

https://www.ouest-france.fr/economie/retraites/reforme-des-retraites-le-non-unanime-des-syndicats-50fc4a22-90f3-11ed-a791-5c454a730193

https://www.bfmtv.com/politique/sondage-bfmtv-retraites-66-des-francais-opposes-a-la-reforme-une-proportion-en-nette-hausse_AN-202301180536.html`

https://www.tf1info.fr/societe/en-direct-manifestations-du-11-fevrier-2023-greve-ratp-contre-la-reforme-des-retraites-les-dernieres-informations-et-perturbations-2247804.html

https://www.lunion.fr/id455101/article/2023-02-10/retraites-berger-cfdt-et-martinez-cgt-appellent-le-gouvernement-la

https://www.lefigaro.fr/politique/reforme-des-retraites-plus-de-20-500-amendements-presque-tous-deposes-par-la-nupes-20230202

https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/herault/montpellier/video-reforme-des-retraites-pourquoi-patrick-vignal-depute-renaissance-de-l-herault-veut-faire-evoluer-le-texte-2707870.html

https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/reforme-des-retraites-ce-que-contient-la-note-des-services-de-matignon-sur-l-amendement-d-aurelien-pradie-sur-le-dispositif-carrieres-longues_5656319.html

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/sur-la-reforme-des-retraites-emmanuel-macron-ne-reculera-pas-4257806

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Léopold Lehmann
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J'écris pour La Revue du Caium, notamment sur les sujets européens 🇪🇺. Étudiant au baccalauréat en Études Internationales à l’Université de Montréal.