République démocratique du Congo : la crise humanitaire oubliée

Gaspard Delzeux
La REVUE du CAIUM
Published in
8 min readApr 23, 2024

Le 7 février dernier, lors de la Coupe d’Afrique des nations, les joueurs de l’équipe de football de la République démocratique du Congo se sont postés lors du chant de l’hymne national avec une main devant la bouche et deux doigts sur la tempe, imitant un pistolet. Ce geste symbolique avait pour but de dénoncer les nombreux massacres subis par les populations congolaises depuis maintenant plusieurs années, mais également de pointer du doigt un silence médiatique plus ou moins important sur cette situation. Les sportifs espéraient ainsi attirer l’attention de l’opinion publique sur la crise que traverse leur pays depuis 26 ans, meurtrière et pourtant peu connue, ou du moins, peu comprise.

Les joueurs de l’équipe de RDC, lors de la demi-finale de la CAN à Abidjan (Côte d’Ivoire), dénonçant la situation dans leur pays. FRANCK FIFE / AFP

La crise rwandaise s’étend au Congo

Pour comprendre le début de cette crise, il est nécessaire de remonter en 1994 à la fin du génocide rwandais. Après que le Front patriotique rwandais ait pris le pouvoir, 2 millions de Hutus, dont des génocidaires, s’enfuient vers le Zaïre, aujourd’hui devenu la RDC, par peur des représailles des Tutsis. À cette époque, le Zaïre est dirigé depuis 30 ans par le dictateur Mobutu Sese Seko, dont le principal opposant est Laurent Désiré-Kabila. Ce dernier profite de la crise rwandaise pour former l’Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Congo, qui est une coalition avec le Rwanda et l’Ouganda, et dont il est placé à la tête. Celle-ci se définit deux objectifs : renverser Mobutu, ce à quoi elle parviendra, et traquer les génocidaires en exil.

La première guerre du Congo (1996–1997) oppose ainsi les forces de l’AFDL qui entrent sur le territoire zaïrois, à l’armée de Mobutu. Lorsque Kabila prend Kinshasa en 1997, il se retourne contre ses alliés traditionnels qu’il juge trop présents en RDC et qu’il souhaite chasser. Il sera alors aidé par de nombreux pays frontaliers, tels que l’Angola, le Zimbabwe ou encore la Namibie, pour conserver le pouvoir. C’est le début de la deuxième guerre du Congo (1998–2003), qui aboutit au maintien de la dynastie Kabila au pouvoir par un compromis avec les milices rebelles qui seront graciées et dont certains leaders seront intégrés dans le gouvernement.

Depuis, la situation s’est largement complexifiée avec l’apparition de nombreux groupes armés ayant chacun leurs propres revendications. On en dénombre aujourd’hui plus d’une centaine. Malgré l’intervention d’une mission de l’ONU, la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), la paix et la stabilité n’ont jamais réellement vu le jour sur le territoire congolais. La situation semble même se dégrader au cours des derniers jours avec la résurgence du mouvement rebelle M23.

Un génocide peut en cacher un autre

Dès 1996, des exactions sur les civils sont commises. Des témoignages de massacres de masse, de violences sexuelles et de pillages voient le jour. Les meurtres et les déplacements massifs de populations sont des armes privilégiées dans les conflits en RDC. Dans le cas des réfugiés rwandais, des milliers de personnes perdirent la vie durant des marches sans ressources, qui duraient des semaines voire des mois, car menacées par l’avancée de l’AFDL. De nombreuses images d’archives montrent des routes envahies par des marées humaines fuyant le conflit, avec des cadavres jonchant leurs bords. Aujourd’hui, le nombre d’individus déplacés à cause du conflit est estimé à 6,9 millions de personnes selon l’Agence des Nations-Unies pour les migrations.

Des réfugiés rwandais passent auprès du corps d’un enfant mort sur la chaussée, près du camp de Kibumba, au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo). © Crédit photo : Archives ABDELHAK SENNA AFP

La violence relatée contre les civils est extrême et semble préméditée, et cela par toutes les parties au conflit. Des massacres sont régulièrement perpétrés et un cercle de la violence semble s’être mis en place. En effet, par manque de moyens, les soldats de ces factions sont recrutés parmi des miliciens peu expérimentés et peu disciplinés. S’ajoute à cela le traumatisme du génocide rwandais qui poussent certains Tutsis à rejoindre ces milices pour se venger des Hutus en fuite. L’actuelle président de la RDC, Félix Tshisekedi, s’est exprimé sur les causes de cette violence systémique :

Arrêtez de regarder cette situation comme étant une situation normale, nous sommes ici dans un monde irréel. Certains d’entre eux ont vu leurs parents se faire violer, d’autres se faire massacrer ou décapiter. Ce ne sont pas des gens qui raisonnent comme vous et moi. Mettez-vous à leur place un seul instant. Ils se défendent avec tout ce qu’ils ont pour le faire. Il faut juger les agresseurs, ceux qui les poussent à entrer dans cet état. […] Ils sont dans un tel état d’esprit qu’ils n’obéissent plus à rien, y compris à nous-même.

Une telle situation pousse la communauté internationale à dénoncer ces exactions comme des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Certains médias dénoncent une forme de génocide, dû au caractère répétitif et prémédité de ces actions, bien qu’officiellement aucune reconnaissance comme telle n’a été faite par un organe de justice d’une organisation internationale.

La violence sexuelle au coeur du conflit

La guerre en RDC est malheureusement caractérisée par la violence sexuelle. Celle-ci est une arme à part entière utilisée par les soldats des diverses parties au conflit sur les civils. Selon une enquête de l’American Journal of Public Health, 1,8 millions de femmes congolaises ont été violées au moins une fois dans leur vie. Il est même fait état de viols collectifs d’enfants et de bébés. Le prix Nobel de la paix de 2018, le Dr. Denis Mukwege, qui était sur le terrain lors de la première guerre du Congo, explique lors de son discours que “L’objectif de ces viols utilisés comme arme de guerre est de détruire la victime, sa famille et sa communauté.” En bref, le viol est utilisé dans ce conflit comme arme de destruction massive.

Discours de Denis Mukwege, gynécologue congolais, après avoir reçu le prix Nobel de la Paix à Oslo, le 10 décembre 2018. Tobias SCHWARZ I AFP

Cette pratique est particulièrement courante et ancrée dans la pratique des différentes forces armées congolaises pour plusieurs raisons. D’une part, comme précisé plus haut, nombreux sont les soldats sans réelle formation professionnelle. D’autre part, le viol permet aux rebelles d’instaurer un climat de terreur pour faire fuir les populations et obtenir de nouveaux gains territoriaux. Pour les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ainsi que les officiers de la Police nationale congolaise (PNC), les violences sexuelles sont exploitées dans le but d’asseoir leur autorité.

Finalement, la pratique régulière de telles violences contribuent à leur banalisation au sein de la société congolaise. C’est ce que démontre une étude menée par le ministère du Genre, de la Famille et des Enfants, en collaboration avec l’UNFPA, selon laquelle 58 % des viols commis en 2012 l’ont été par des civils, 8 % par des militaires ou des policiers et 34 % par des miliciens.

Un silence pesant

Devant de telles horreurs, de nombreuses personnes s’indignent du silence médiatique qui semble s’être instauré sur le sujet dans les médias occidentaux. En effet, il est peu fréquent de voir l’actualité ciblée sur la crise humanitaire en RDC, alors qu’il s’agit d’un des conflits actuels les plus meurtriers au monde.

Les raisons de cette absence des gros titres sont multiples. Actuellement, l’Occident se préoccupe davantage des questions liées à la guerre en Ukraine et au réambresement du conflit israélo-palestinien car leur impact est directement visible dans ces sociétés (inflation, montée des actes antisémites et racistes). Ces deux sujets occupent l’essentiel de l’actualité sur les conflits internationaux dans les pays du Nord.

De plus, l’échec de la MONUSCO est un coup dur pour les Nations-Unis. Cette opération lancée en 1999 par le Conseil de sécurité semble peu à peu tirer sa révérence après 25 ans d’effectivité. Son but principal est la protection des civils congolais des exactions précédemment citées. Malheureusement, devant le peu de résultat obtenus, ces populations expriment un sentiment de colère et demandent le retrait des casques bleus, dont la présence est perçue comme une forme de néo-colonialisme. Fin 2023, Tshisekedi a signé une série de traités pour acter le retrait progressif de l’ensemble des soldats onusiens de son territoire. Face à un tel revers, les pays membres du Conseil de sécurité cherchent à faire profil bas.

Attaque des locaux de la MONUSCO à Goma (RDC) par des civils le 25 juillet 2022.

Finalement, vient le point le plus embarrassant pour l’Occident : la question de l’exploitation des ressources naturelles en RDC. Les sous-sols de l’Est du pays regorgent de ressources minières, comme le coltan dont 60 à 80% des réserves mondiales se situent dans cette seule zone. Or, ce matériau est indispensable à la construction des appareils électroniques (téléphones, ordinateurs, etc.) et est donc très convoité. De nombreuses multinationales occidentales se procurent cette ressource via les mines congolaises.

Le problème ? Les méthodes employées pour extraire le coltan. En effet, il est monnaie-courante que ces points d’extraction soient aux mains de factions armées, parfois financées par les pays voisins, comme le Rwanda, qui cherchent à tirer profit de ces ressources. Ces milices usent de diverses formes d’esclavage moderne pour se procurer le minerai. Travail forcé, travail infantile et viols entre autres. De telles conditions de travail permettent le rachat du coltan à prix minime pour les multinationales du numérique qui sont les principales intéressées. Ce sujet à déjà suscité d’importantes controverses dans les sociétés occidentales, qui pour certaines de ces entreprises leur a valu un procès. C’est notamment le cas d’Apple, Microsoft ou Tesla. Il est donc dans leur intérêt de garder cette crise écartée du feu des projecteurs.

Il ne fait aucun doute que la situation humanitaire en RDC est critique et que des actions doivent être prises si l’on veut voir les conditions des civils s’améliorer. Pourtant, avec une opinion internationale fuyante du regard, cet objectif est loin d’être acquis. Il est même probable que cela s’aggrave durant les prochains mois avec des catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes dans la région, une accentuation de l’activité des milices rebelles, le retrait des soldats de l’ONU, et une épidémie de choléra qui ne cesse de progresser dans le pays.

Pour en savoir plus

Adel Miliani. 10 février 2024. “République démocratique du Congo : comprendre la « crise oubliée » que dénoncent les footballeurs de la CAN” Le Monde.

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/10/republique-democratique-du-congo-comprendre-la-crise-oubliee-que-denoncent-les-footballeurs-de-la-can_6215870_4355770.html

BBC News Afrique. 17 décembre 2019. “Mines de cobalt en RDC: Google, Apple, Microsoft, poursuivis en justice”.

https://www.bbc.com/afrique/region-50823202

Coralie Pierret. 30 mars 2024. “Félix Tshisekedi, président de la RDC : « Le Rwanda n’est pas seul responsable des malheurs du Congo »” Le Monde Afrique.

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/03/30/felix-tshisekedi-president-de-la-rdc-le-rwanda-n-est-pas-seul-responsable-des-malheurs-du-congo_6225115_3212.html

Florence Maertens de Noordhout. 2013. “Violences sexuelles en République démocratique du Congo : « Mais que fait la police ? »” Revue interdisciplinaire d’études juridiques 71 (2) : 213–241.

https://www.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudes-juridiques-2013-2-page-213.htm

Sandrine Berthaud-Clair. 21 février 2024. “La RDC s’enfonce dans une crise humanitaire toujours plus alarmante” Le Monde.

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/02/21/la-rdc-s-enfonce-dans-une-crise-humanitaire-toujours-plus-alarmante_6217757_3212.html

Thierry Michel. 2021. L’Empire du silence — Les Crimes impunis au Congo. 110 minutes.

ONU Info. 30 octobre 2023. “RDC : près de 7 millions déplacés par les violences, la grande majorité a besoin d’aide”.

https://news.un.org/fr/story/2023/10/1140132

Panzi Foundation. 10 décembre 2018. “Discours du prix Nobel de la paix du Dr. Denis Mukwege”.

https://panzifoundation.org/fr/dr-denis-mukweges-nobel-peace-prize-speech/

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