Rwanda : Expulsions de migrants, un dilemme moral et financier qui secoue le Royaume-Uni

Eliot Couchet
La REVUE du CAIUM
Published in
7 min readApr 4, 2024

La politique du gouvernement britannique visant à expulser les migrants illégaux vers le Rwanda suscite une forte controverse, tant sur le plan éthique que financier. Alors que le Premier ministre Rishi Sunak défend ardemment cette mesure, les critiques fusent, alimentées par des préoccupations concernant les droits humains et les coûts exorbitants associés à sa mise en œuvre

Le navire britannique «Typhoon» transportant des migrants récupérés alors qu’ils tentaient de traverser la Manche. — © GLYN KIRK / AFP

Introduction

Le Royaume-Uni a récemment été confronté à une série de revers dans sa lutte contre l’immigration clandestine, notamment en ce qui concerne sa politique de renvoi des migrants illégaux vers le Rwanda. Cette politique, mise en œuvre dans le cadre des efforts visant à endiguer les traversées illégales de la Manche, a été invalidée par la Cour suprême de Londres, ce qui a mis en difficulté le Premier ministre Rishi Sunak, qui en avait fait une priorité.

Le projet de loi, annoncé en avril 2022 sous le gouvernement de Boris Johnson, visait à expulser les immigrants clandestins vers le Rwanda, le temps que leur demande d’asile soit examinée. Cependant, cette politique a rencontré des obstacles juridiques et a été critiquée pour diverses raisons, notamment le fait que le Rwanda ne pouvait être considéré comme un pays tiers sûr. En cause, des préoccupations concernant les droits de l’homme, les traitements des demandes d’asile et le coût de ces opérations.

Ainsi, le récent verdict de la Cour suprême, invalidant la politique de renvoi vers le Rwanda, a constitué un nouveau coup dur pour le gouvernement britannique, mettant en évidence les défis auxquels il est confronté dans la gestion de la question migratoire.

Défis éthiques et droit international

L’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda pour expulser les migrants soulève plusieurs défis éthiques, comme ont pu le souligner diverses organisations et experts.

En effet, le projet de loi restreint le pouvoir des tribunaux de superviser les décisions d’expulsion des demandeurs d’asile, soulevant des interrogations sur leur rôle crucial dans la protection des droits individuels et menaçant ainsi l’État de droit, pilier démocratique fondamental. De surcroît, en limitant l’application de la loi britannique sur les droits de l’homme, le projet risque de priver les migrants expulsés de recours juridiques, compromettant ainsi leurs droits fondamentaux et l’accès à une justice équitable, en opposition aux normes internationales des droits humains.

De plus, le projet de loi définit alors le Rwanda comme un “pays tiers sûr”, mais des préoccupations persistent quant à la capacité du Rwanda à garantir la sécurité et les droits des demandeurs d’asile. Les rapports sur les droits de l’homme effectué dans le pays ont soulevé des inquiétudes quant au traitement des réfugiés et des demandeurs d’asile, ce qui remet en question ce statut accordé par le Royaume-Uni.

C’est dans ce contexte que l’ONU, à travers son Haut-Commissariat aux droits de l’homme et le Haut-Commissariat pour les réfugiés, a exprimé des préoccupations quant à la compatibilité du projet de loi avec le droit international des réfugiés. « Les effets combinés de ce projet de loi, qui tente de soustraire l’action du gouvernement à l’examen juridique habituel, vont directement à l’encontre des principes fondamentaux des droits de l’homme », a déclaré dans un communiqué, Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.

En somme, l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda pour expulser les migrants suscite des inquiétudes quant à son impact sur les droits fondamentaux des individus, sur l’État de droit et sur la conformité aux normes internationales en matière de droits humains et de protection des réfugiés. Ces préoccupations soulignent la nécessité pour le gouvernement britannique de reconsidérer sa politique migratoire afin de garantir le respect des droits de l’homme et des obligations internationales. Des ajustements qui ne plaisent pas à tous et qui entraîne de grandes conséquences au sein des partis politiques.

Tensions politiques et divisions au sein du Parti conservateur :

La politique du Premier ministre Rishi Sunak a alors créé des divisions politiques importantes au Royaume-Uni. Malgré son adoption par les députés britanniques, le projet de loi controversé a suscité des tensions au sein même du Parti conservateur au pouvoir.

D’un côté, Rishi Sunak a remporté une victoire politique en faisant adopter le projet de loi, mettant ainsi en avant sa fermeté sur la question de l’immigration clandestine, une préoccupation majeure de sa base électorale. Cependant, cette victoire a été acquise au prix de divisions au sein de sa propre majorité.

Rishi Sunak, à la Chambre des communes, mercredi 17 janvier 2024, à Londres. UK PARLIAMENT / VIA REUTERS

Les débats houleux au palais de Westminster, les tractations à huis clos et les démissions retentissantes de deux vice-présidents du Parti conservateur, partisans d’une ligne plus dure, ont illustré les divergences d’opinions au sein du parti. Certains députés conservateurs ont soutenu le projet de loi, tandis que d’autres ont critiqué le texte et tenté en vain d’en durcir les dispositions.

Par ailleurs, la démission de la ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, quelques jours avant verdict, a souligné les dissensions internes et a mis en lumière les critiques contre la politique de Rishi Sunak. Dans sa lettre de démission, Braverman a alors exprimé des préoccupations concernant le manque de plans alternatifs crédibles et a averti contre le risque d’un veto de la Cour suprême.

Ces divisions politiques ont également été exacerbées par les récentes critiques émanant d’un influent député conservateur, Simon Clarke, qui a appelé à se débarrasser de l’actuel Premier ministre qui, selon lui, « mène les conservateurs vers une élection où nous allons nous faire massacrer ». Ainsi, la politique d’expulsion des migrants vers le Rwanda a non seulement suscité des désaccords au sein du Parti conservateur, mais elle a également alimenté les tensions politiques et compromis la position de Rishi Sunak à la tête du gouvernement britannique.

Évaluation des coûts et désaccords financiers

Au-delà des considérations éthiques et politiques, plusieurs questions sont soulevés au niveau des finances et des problématiques liées à l’évaluation des coûts de la politique d’expulsion des migrants vers le Rwanda.

Tout d’abord, l’évaluation du National Audit Office indique que le coût de cette politique dépasse déjà 370 millions de livres, ce qui soulève des inquiétudes quant à son efficacité et à sa justification. Cette somme considérable suscite des interrogations sur la priorité donnée à cette politique par rapport à d’autres besoins sociaux et économiques. Yvette Cooper, ministre de l’Intérieur dans le cabinet « fantôme » de Keir Starmer, critique également le coût élevé de cette politique. Elle souligne que « dépenser un demi-milliard de livres pour couvrir seulement 1 % des arrivées au Royaume-Uni est inacceptable ». Cette déclaration met alors en lumière le déséquilibre entre les ressources allouées à cette politique et les résultats qu’elle produit et soulève des inquiétudes quant à sa justification. En effet, cette somme étant considérable suscite des interrogations sur la priorité donnée à cette politique par rapport à d’autres besoins sociaux et économiques

De plus, le partenariat avec le Rwanda représente un autre aspect financier à considérer. Le Royaume-Uni a déjà versé près de 240 millions de livres au Rwanda, et un durcissement trop important de la politique d’expulsion pourrait compromettre ce partenariat. Un aspect qui est appuyé par l’évaluation financière qui met en évidence les conséquences potentiellement désastreuses pour les finances publiques : si le projet de loi est adopté et mis en œuvre, le coût financier pourrait continuer d’augmenter, ce qui soulève des questions sur la viabilité à long terme de cette politique et sur son impact sur le budget de l’État.

En résumé, la politique d’expulsion des migrants vers le Rwanda soulève des préoccupations éthiques et des questions relatives aux droits humains, notamment en restreignant l’accès à la justice et en mettant en péril l’État de droit. Les divisions internes au sein du Parti conservateur britannique témoignent des tensions politiques persistantes entourant cette question sensible. De plus, les pressions financières croissantes soulignent l’importance d’une évaluation minutieuse des coûts pour garantir une utilisation efficace des ressources publiques et assurer la viabilité à long terme de cette politique migratoire controversée.

Pour en savoir plus :

France24, 17 janvier 2024. “Les députés britanniques adoptent le projet de loi pour expulser des migrants au Rwanda”, France24, AFP. https://www.france24.com/fr/europe/20240117-les-d%C3%A9put%C3%A9s-britanniques-adoptent-le-projet-de-loi-pour-expulser-des-migrants-au-rwanda

Agence France Presse, 12 février 2024. “Royaume-Uni: le projet d’expulser des migrants au Rwanda étrillé au Parlement”, Le journal de Montréal.

https://www.journaldemontreal.com/2024/02/12/royaume-uni-le-projet-dexpulser-des-migrants-au-rwanda-etrille-au-parlement

Le Temps et AFP, 16 janvier 2024. “Le projet britannique d’expulser des migrants vers le Rwanda arrive au parlement”, Le Temps. https://www.letemps.ch/monde/le-projet-britannique-d-expulser-des-migrants-vers-le-rwanda-atteint-un-passage-delicat

FranceInfo et AFP, 12 février 2024. “Royaume-Uni : le projet controversé d’expulsion de migrants au Rwanda étrillé au Parlement et jugé “incompatible” avec les droits humains”, France Info. https://www.francetvinfo.fr/monde/royaume-uni/royaume-uni-le-projet-controverse-d-expulsion-de-migrants-au-rwanda-etrille-au-parlement-et-juge-incompatible-avec-les-droits-humains_6361279.html

Feuerstein Ingrid, 1 mars 2024. “Royaume-Uni : la polémique enfle sur le coût du renvoi des migrants au Rwanda”, Les Échos. https://www.lesechos.fr/monde/europe/royaume-uni-la-polemique-enfle-sur-le-cout-du-renvoi-des-migrants-au-rwanda-2079998

Le Monde et AFP, 18 janvier 2024. “Royaume-Uni : le premier ministre, Rishi Sunak, parvient à faire voter le projet de loi visant à expulser des migrants vers le Rwanda”, Le Monde. https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/18/royaume-uni-le-premier-ministre-rishi-sunak-parvient-a-faire-voter-le-projet-de-loi-visant-a-envoyer-les-migrants-au-rwanda_6211413_3210.html#

ONU info, 19 février 2024. “Royaume-Uni : le renvoi de migrants au Rwanda est contraire aux principes de l’État de droit (ONU)”, Nations Unies. https://news.un.org/fr/story/2024/02/1143302#:~:text=au%20Royaume%2DUni.-,Royaume%2DUni%20%3A%20le%20renvoi%20de%20migrants%20au%20Rwanda%20est%20contraire,'%C3%89tat%20de%20droit%20(ONU)&text=Le%20projet%20de%20loi%20britannique,l'homme%20des%20Nations%20Unies.

AFP, 23 janvier 2023. “Un député britannique appelle les conservateurs à remplacer Rishi Sunak”, Le journal de Québec. https://www.journaldequebec.com/2024/01/23/un-depute-britannique-appelle-les-conservateurs-a-remplacer-rishi-sunak

Courrier International, 27 juin 2023. “Immigration : Le coût du “plan Rwanda” britannique passe mal”, Courrier International. https://www.courrierinternational.com/article/immigration-le-cout-du-plan-rwanda-britannique-passe-mal

--

--

Eliot Couchet
La REVUE du CAIUM

Etudiant en baccalauréat de Science Politique à l'Université de Montréal et rédacteur pour la revue du CAIUM