Si vis pacem, para bellum

Stratégies politiques en période pré-électorale

Édouard Beaudoin
La REVUE du CAIUM
9 min readApr 20, 2021

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Justin Trudeau en conférence de presse. Photo: Sean Kilpatrick

Pendant que les bourgeons éclosent en cette période printanière, les partis fédéraux s’apprêtent à butiner l’électorat canadien. Même si aucune élection n’est encore à l’affiche, on sent bien que les formations politiques font le plein de munitions pour un été bien chargé. De véritables mouvements de troupes qui laissent présager une élection en automne. Regard sur les effectifs et les stratégies des partis politiques fédéraux.

S i vis pacem, para bellum: la locution latine ne pourrait être plus d’actualité pour les troupes de Justin Trudeau. Naviguant depuis plus d’un an à travers une Chambre des communes minoritaire, le premier ministre compte bien profiter de cet unilatéralisme partisan provoqué par la pandémie pour arracher un gouvernement majoritaire ― à l’instar de certains de ses homologues provinciaux ― , ce qui lui donnerait davantage de marge de manœuvre pour gouverner un Canada vraisemblablement post-pandémique.

Offensives libérales

La recette libérale s’avère fort simple sur papier. D’emblée, le parti ne compte pas ignorer le Bloc québécois comme il l’a fait en 2019, une stratégie qui leur a probablement coûté une majorité parlementaire. Cet évitement se basait sur un calcul électoral simple: si le Parti libéral du Canada (PLC) laisse le Bloc et les conservateurs se quereller, les libéraux profiteront de cette division du vote pour remporter des sièges cruciaux. Cette stratégie ne tenait cependant pas compte du scénario où le Bloc connaîtrait une forte campagne, comme ce fut effectivement le cas.

En ce sens, lors du congrès libéral, Justin Trudeau a sorti un argument plutôt familier chez les libéraux, mais qui a du poids en cette pandémie mondiale: vaut mieux des Québécois au gouvernement que dans l’opposition, tout en ajoutant que « pendant que le Bloc fait semblant d’être le seul parti qui peut parler au nom des Québécois, nous, on livre la marchandise pour les Québécois ». Ce discours, que l’on risque d’entendre à profusion dans les mois à venir, traduit bien l’appel des libéraux fait aux Québécois de rendre leur vote utile. Force est de constater que le premier ministre sera moins permissif à l’égard du chef bloquiste, qu’il a déjà taxé de vecteur « d’intolérance et de haine » et reproché de ne pas reconnaître le racisme systémique plus tôt cette année.

Un autre point clé de la machine libérale est l’Ontario, et l’impopularité de son premier ministre provincial Doug Ford. Depuis quelques temps, le dirigeant conservateur est la cible de tirs groupés fusant de toutes parts, accusant celui-ci d’improvisation sanitaire. Sa gestion de la pandémie, désapprouvée par 65% des Ontariens, constitue une opportunité en or pour le PLC de faire le plein de sièges dans cette province, d’autant plus que les sondeurs notent une forte montée des appuis du Parti libéral ontarien, un parti pourtant presque rayé de la carte en 2018 lors de l’élection de Ford.

Enfin, le Parti libéral a bien l’intention de jouer dans la cour du NPD en faisant campagne à gauche de l’échiquier politique, dans le but de rendre la formation néo-démocrate quasi obsolète. Cette stratégie se base sur le constat que lorsque les appuis néo-démocrates augmentent, ceux des libéraux diminuent, laissant le champ libre au Bloc et aux conservateurs. Cette intention se traduit dans les résolutions adoptées par les militants réunis virtuellement au congrès libéral, qui ont voté pour l’inclusion dans la plateforme électorale d’un revenu minimum universel, d’une clause passant de 75 à 70 ans l’admissibilité à la bonification de 10% des fonds de pension pour la vieillesse et du remplacement du chemin de fer national par un réseau à grande vitesse. Bien que non contraignantes pour le parti, ces propositions laissent présager un possible virage à gauche, avec les yeux rivés encore une fois sur l’Ontario, mais aussi sur la Colombie-Britannique, où les appuis du NPD sont solides, fortifiés par la popularité du premier ministre néo-démocrate de la province.

Luttes conservatrices

Si Erin O’Toole fait face aux autres chefs de partis, il affronte également sa base électorale ainsi que son caucus, déchiré par l’héritage socialement conservateur laissé par ses prédécesseurs. En effet, depuis son couronnement à la tête du parti, O’Toole a eu maille à partir à plusieurs reprises avec la frange plus conservatrice de sa formation sur des sujets clivants comme l’avortement et les changements climatiques. À ce propos, le récent plan environnemental présenté par ce dernier est une audacieuse tentative de passer l’éponge sur le vote négatif des militants réunis en congrès à la motion reconnaissant l’existence des changements climatiques le mois dernier. Ce plan laisse conséquemment présager une certaine trêve politique sur la question environnementale, alimentée par la déclaration de constitutionnalité de la taxe sur le carbone par la Cour suprême.

De surcroît, rappelons les efforts législatifs de la députée saskatchewanaise Cathay Wagantall d’interdire les avortements sexo-sélectifs qui ont également semé la discorde dans le parti. Forcé de prendre position, le chef conservateur a annoncé qu’il voterait contre ce projet de loi, tout en permettant un vote de conscience de son caucus.

Erin O’Toole prononçant un discours à Ottawa l’an dernier. Photo: Sean Kilpatrick, La Presse canadienne

Ainsi, O’Toole devra faire fi de ces dissensions internes et assumer ses positions légèrement plus progressistes auprès de l’électorat. Il y a fort à parier que la formation conservatrice souhaite un retour à la normale en Ontario et en Alberta, où le premier ministre Kenney reçoit le pire taux d’approbation au pays ― 23% ― au sujet de la gestion de la pandémie. Une situation catastrophique pour les conservateurs albertains, qui avaient jusqu’à tout récemment le vent dans les voiles dans la province.

De plus, comme il s’agira de sa première campagne électorale à titre de chef conservateur, il devra impérativement se faire connaître davantage et démontrer en quoi il pose une alternative sérieuse à Justin Trudeau, sans toutefois tomber dans l’opposition constante vis-à-vis ce dernier. En ce sens, il affirmait en mars dernier que le parti « ne pourrait gagner s’il continue à compter sur les ratés de Justin Trudeau », dans un plaidoyer où il posait la nécessité du changement pour le parti.

Voyants aux rouges chez les oranges

Autrefois dans l’opposition officielle, et une force politique majeure dans la Belle Province, le Nouveau Parti démocratique (NPD) d’aujourd’hui bat de l’aile. Désormais confiné au siège d’Alexandre Boulerice au Québec, le parti sous Jagmeet Singh n’a jamais su séduire l’électorat de la province, et la tendance ne semble pas s’inverser de sitôt. Le passage du chef néo-démocrate à l’émission Tout le monde en parle au sujet de la controverse sur le professeur Attaran en a laissé plus d’un perplexe quant à sa position sur le sujet, en plus d’être symptomatique d’un certain malaise entre Jagmeet Singh et le Québec. Rappelons qu’un député de la formation avait félicité le professeur pour sa prise de position, où il qualifiait le Québec d’Alabama du Nord, tout en renchérissant sur le caractère raciste de la province. De plus, dans une ultime tentative à l’initiative du Bloc québécois, le NPD s’est opposé à la déclaration de revenus unique pour le Québec, une demande pourtant chère au premier ministre François Legault.

Signe additionnel que le parti tourne le dos au Québec, les militants au congrès national du NPD ont débattu d’une motion désavouant officiellement la Loi sur la laïcité québécoise. Néanmoins, cette quasi prise de position a comme bienfait d’éliminer tout doute quant au positionnement du parti, dont certains critiquaient le double discours prétendument tenu durant les débats français et anglais de la dernière élection. Reste qu’il semble que la formation de Jagmeet Singh fera campagne sans le Québec.

Jagmeet Singh lors d’un rassemblement partisan à Sherbrooke en 2019. Photo: La Presse canadienne

À l’échelle nationale, la position du parti est similairement peu enviable. Incapable de franchir le cap du 20% des intentions de vote, Jagmeet Singh devra démontrer en quoi son parti se distingue de celui de Justin Trudeau, qui semble le dépasser par la gauche. Dans cette optique, le chef néo-démocrate s’est lancé dans une charge à fond de train contre son adversaire libéral, accusant ce dernier de ne travailler que pour les élites, laissant les moins nantis à l’abandon. Du même souffle, il vantait les exploits de son parti quant à la bonification de la PCU. Le congrès national du parti nous permet de dresser un portrait des enjeux primordiaux pour la formation: assurance médicaments, salaire minimum à 20$, aide additionnelle aux citoyens, etc.

Course à la pertinence

Yves-François Blanchet compte bien reproduire les exploits de sa dernière campagne électorale, où il avait triplé la députation du Bloc québécois, notamment en abordant le thème de l’autonomie québécoise. La prochaine période électorale s’annonce cependant des plus ardues; avec la campagne de vaccination qui s’accélère, et une certaine accalmie des relations entre Legault et Trudeau, Blanchet devra démontrer en quoi un vote pour le Bloc est encore pertinent. Si le discours autonomiste lui avait souri il y a moins de deux ans, il a cependant été monopolisé entre-temps par la CAQ de François Legault, qui s’est faite incisive à plusieurs reprises envers son homologue fédéral, notamment pendant la pandémie. Cette position revendicatrice, avec les succès mitigés qu’elle a connus, remet alors en question la pertinence du ton analogue adopté par le chef bloquiste. L’équilibre proposé par le Bloc était intéressant pendant les années libérales au Québec, mais est menacé d’être caduc avec un premier ministre qui a pris à bras-le-corps le rôle de chien de garde des valeurs québécoises auprès du gouvernement fédéral.

Yves-François Blanchet. Photo: Chris Wattie

Il y a fort à parier que la recette de 2019 sera réutilisée dans une éventuelle valse électorale, en y incluant notamment la question de la réforme de la Loi sur les langues officielles, de l’Université Laurentienne en Ontario et de la protection du français en général, en plus de militer pour un transfert des fonds en santé sans condition. Blanchet devra cependant faire attention dans ses critiques sur la campagne de vaccination, une stratégie adoptée sans détour par Doug Ford et Erin O’Toole, mais ayant eu peu de résultats.

Si la campagne de vaccination se poursuit sans embûches, il est presque certain que les libéraux de Justin Trudeau déclencheront des élections cet automne dans le but de surfer sur la vague de l’opinion publique favorable à cet effort de vaccination sans précédent. Même si aucun coup de départ n’a encore été donné, les partis tâtent le terrain et préparent leurs effectifs. Pour Justin Trudeau, désireux de retrouver la paix majoritaire, il se prépare à toute une guerre.

Pour approfondir

Angus Reid Institute (2021). COVID-19 : Third wave drives surge of criticism for Kenney, Ford, and other premiers, Angus Reid Institute, 9 avril 2021, URL : https://angusreid.org/covid-restrictions-ford-kenney/

Boisclair, V. (2021). Congrès du NPD: Singh reproche aux libéraux leur gestion de la pandémie, Radio-Canada, 11 avril 2021, URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1783940/jagmeet-singh-discours-congres-nouveau-parti-democratique-resolutions

Chouinard, S. (2021). Le NPD aspire-t-il encore au pouvoir? L’Actualité, 15 avril 2021, URL : https://lactualite.com/politique/le-npd-aspire-t-il-encore-au-pouvoir/

Coletto, D. (2021). Ontario PCs and Liberals tied as frustration over vaccine rollout and 3rd wave rises, Abacus Data, 17 avril 2021, URL : https://abacusdata.ca/ontario-politics-doug-ford-covid/

Grenier, É. (2021). What a Legault-Trudeau detente might mean for the Liberals in Quebec, CBC News, 29 mars 2021, URL : https://www.cbc.ca/news/politics/grenier-trudeau-legault-1.5965855

Kirkup, K. (2021). Conservatives unveil loyalty-card style of carbon pricing, The Globe and Mail, 15 avril 2021, URL : https://www.theglobeandmail.com/politics/article-conservatives-unveil-loyalty-card-style-of-carbon-pricing/

Lévesque, C. (2021). Rapport d’impôt unique: libéraux et néo-démocrates signent son arrêt de mort, L’Actualité, 14 avril 2021, URL : https://lactualite.com/actualites/rapport-dimpot-unique-le-bloc-quebecois-tentera-de-ressusciter-son-projet-de-loi/

Ménard et al. (2019). Jagmeet Singh entretient l’ambiguïté sur la contestation de la loi sur la laïcité, Radio-Canada, 7 octobre 2019, URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1335972/jagmeet-singh-npd-loi-laicite-contestation-gouvernement-federal

Platt, B. (2021). Conservative Party must have ‘the courage to change,’ Erin O’Toole tells party convention, National Post, 19 mars 2021, URL : https://nationalpost.com/news/politics/the-conservative-party-must-have-the-courage-to-change-erin-otoole-tells-party-convention

Radio-Canada (2021). Trudeau compare le discours bloquiste aux dérapages américains, La Presse Canadienne, 15 janvier 2021, URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1763495/remaniement-conseil-ministres-omar-alghabra-bloc-quebecois-bq-yfb

Radio-Canada (2021). Changements climatiques : Erin O’Toole échoue à convaincre les conservateurs, 20 mars 2021, URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1778755/conservateurs-rejet-motion-changements-climatiques

Renvois relatifs à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre , 2021 CSC 11, URL : https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/18781/index.do

Taylor, S. (2021). Erin O’Toole permettra un vote libre, La Presse, 14 avril 2021, URL : https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2021-04-14/avortement-sexo-selectif/erin-o-toole-permettra-un-vote-libre.php

Vastel, M. (2021). Le NPD critiqué de toutes parts dans le dossier du professeur Attaran, Le Devoir, 24 mars 2021, URL : https://www.ledevoir.com/politique/canada/597508/le-npd-critique-de-toutes-parts-dans-le-dossier-du-professeur-attaran

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Édouard Beaudoin
La REVUE du CAIUM

Co-rédacteur en chef. Étudiant au baccalauréat en Études internationales. L’actualité, Radio-Canada.