Souvenir et vérité : vecteurs d’espoir de rapprochement entre Kigali et Paris

Clémence Maillard
La REVUE du CAIUM
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5 min readApr 6, 2022

Emmanuel Macron s’est rendu à Kigali en mai dernier pour y commémorer la 27e année de souvenir du génocide contre les Tutsis, lors des cérémonies de Kwibuka27. Deux ans plus tôt, le président français marquait son engagement pour la normalisation des relations entre la France et le Rwanda en nommant une commission d’historiens chargés d’étudier les archives nationales relatives au pays des mille collines. Les rapports entre les deux pays seraient-ils (enfin) en passe de se réchauffer?

Au cours des 30 dernières années, les rapports entre l’Hexagone et le petit pays d’Afrique de l’est furent pour le moins tumultueux. Depuis les tragiques massacres de 1994, les deux pays peinent à renouer un lien rompu trop longtemps — et la faible implication de Paris dans cet objectif y est pour beaucoup. Une grande erreur diplomatique de la France fut d’appliquer la politique de l’autruche pendant plus de 15 ans, au lieu d’éclairer les zones d’ombre concernant ses liens avec le gouvernement génocidaire d’alors. Quinze années où aucun officiel français ne se présenta à Kigali, quinze années où la France refusa de faire face à ses responsabilités. Que s’est-il passé depuis?

Un bref historique diplomatique

En 2006, les accusations d’un juge français concernant l’attentat du président Habyarimana en avril 1994, événement catalyseur du génocide, menèrent à une interruption des relations diplomatiques par le Rwanda. Deux ans plus tard émanèrent de Urugwiro Village des accusations quant à l’implication active de la France dans les massacres. Pendant ce temps, le Rwanda adhérait au Commonwealth, et établissait l’anglais comme langue nationale officielle, événements surprenants en raison de la tradition francophone du pays. Le fossé se creusa alors davantage entre les deux États.

Ce n’est qu’en 2010 que Nicolas Sarkozy, alors dans sa 3e année à l’Élysée, posa le pied sur le sol rwandais. Ce passage éclair — trois heures! — ne suffit pas à apaiser les tensions entre les deux États. Le président français ne semblait pas enclin à reconnaître la responsabilité du gouvernement au-delà de ce qu’il appelle de « graves erreurs de jugement», dans le déroulé des massacres. Pis encore: en minimisant le rôle de Paris, en le réduisant à un acteur «aveuglé», Sarkozy réfutait la vérité. Le temps n’était pas encore venu.

Cette brève visite n’eut ainsi pas l’effet symbolique escompté, et la rencontre qui y fit suite en 2011, lors du voyage en retour du président Kagame, fut la dernière avant plusieurs années.

L’engagement du président Macron

Il fallut donc attendre 2018 pour entrevoir la renaissance d’un semblant de dialogue. C’est lors d’un forum organisé à Paris qu’Emmanuel Macron eut l’opportunité d’échanger avec son homologue rwandais. Ce premier rapprochement se concrétisa dans les sphères diplomatiques par des prises d’initiatives en faveur de meilleures relations, à l’image de la nomination de la Rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie — candidature largement soutenue par la France.

L’année suivante, lors des 25es commémorations du génocide contre les Tutsis, le président français envoya des signes forts au Rwanda, mais aussi à l’international, à travers plusieurs gestes mémoriels d’envergure. Il initia en France une journée de commémoration du génocide contre les Tutsis, désormais observée tous les 7 avril. Également, il insista sur la recherche des perpétrateurs des massacres systématiques. L’année suivante, l’efficacité de cette politique se fit ressentir avec l’arrestation sur le territoire français de Félicien Kabuga, « le financier du génocide ».

Kwibuka en kinyarwanda se traduit par « se souvenir ». C’est ce terme qui désigne également les commémorations annuelles du génocide, qui se déroulent chaque année, entre avril et juillet, au Rwanda. Kwibuka25 fut donc l’élément déclencheur de la quête conjointe de la France et du Rwanda, vers un objectif commun: la vérité.

La reconnaissance du rôle de la France dans le génocide contre les Tutsis

En guise d’une autre démonstration de sa volonté de construire des relations diplomatiques sur des bases neuves et solides, Macron commanda la production d’un rapport sur l’implication de la France au Rwanda à cette époque. Le résultat de la fameuse commission Duclert parut en mars 2021, reconnaissant l’apathie de la France en 1994, malgré les alertes lancées à plusieurs reprises par des observateurs. Dans son discours prononcé au mémorial de Gisozi, dans la capitale rwandaise, Emmanuel Macron souligne l’horreur de cette tragédie, la qualifiant d’« interminable éclipse de l’humanité », ne cherchant pas à camoufler la « responsabilité accablante » de son pays. Insupportable passivité de la France, qui fit le choix de demeurer aux côtés d’un gouvernement génocidaire.

Dans la foulée, Kigali recevait le rapport qu’il avait lui-même commandé à un groupe américain. Parmi les points évoqués par cette commission, l’Élysée relève en particulier que la France est exempte d’imputation de participation aux massacres. La disparition de cette charge, par rapport aux écrits de 2008, contribue grandement à la pacification des relations entre les deux États. C’est d’ailleurs ce détail qu’appuya Macron lors de son discours le 27 mai 2021, en rappelant que la France ne se rendit pas complice des massacres, au sens où « le sang des victimes n’est pas sur ses armes ou sur ses soldats ».

Toutefois, le chef d’État reconnaît, avec déférence, « le rôle, l’histoire et la responsabilité politique » de la France au Rwanda, mais aussi la « part de souffrance infligée au peuple rwandais en faisant prévaloir trop longtemps le silence sur l’examen de la vérité ». Il rappelle que la France a pour devoir de « regarder l’histoire en face », et c’est bien ce que le président semble déterminé à continuer de faire jusqu’à la fin de son mandat. La quête de connaissance et de vérité se poursuit, et l’ouverture des archives et la volonté de mettre un terme au tabou entourant l’implication française dans les événements de 1994 en témoignent.

L’espoir d’un futur conjoint

Contrairement à ce qui s’était passé 10 ans auparavant, cette visite ne fut pas la dernière interaction entre les deux États. Le 12 juin 2021, le gouvernement rwandais approuvait la nomination d’Antoine Anfré comme ambassadeur de la France à Kigali. Le poste était vacant depuis 2015, conséquence des tensions au sujet du rôle de Paris dans le génocide. L’extraordinaire amélioration des relations entre les deux pays doit amplement son succès aux politiques d’ouverture pratiquées par les deux chefs d’État.

Paul Kagame a su saisir la main tendue par son homologue français, dont la démarche semble empreinte d’honnêteté. C’est avec magnanimité qu’il accueillit ses mots, considérant que ceux-ci valaient « plus encore que des excuses ». Les deux dirigeants espèrent poursuivre ensemble l’œuvre de la justice, en n’ayant de cesse de perpétuer le souvenir; deux éléments cruciaux dans leur recherche de la vérité. Dans l’espoir que celle-ci pansera un tant soit peu les plaies des personnes survivantes, les seules en mesure d’accorder — ou non — leur pardon à l’État français.

Sources:

About — Kwibuka.rw

Relations bilatérales — Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

On Visit to Rwanda, Sarkozy Admits ‘Grave Errors’ in 1994 Genocide (Published 2010)

Après la commission Duclert, Kigali publie son propre rapport sur la responsabilité de la France dans le génocide au Rwanda

Qui est Félicien Kabuga, le « financier du génocide » du Rwanda ? (Portrait)

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Clémence Maillard
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Etudiante en Master 1, politique comparée Afrique Moyen-Orient. Intéressée par les enjeux sociaux, économiques et politiques en Afrique subsaharienne.