Tourisme et Covid-19 : passages nuageux dans les Caraïbes

Clara Montgrain
La REVUE du CAIUM
Published in
8 min readMar 11, 2021

Un des secteurs économiques les plus touchés par la pandémie du Covid-19 est sans équivoque le secteur du tourisme. L’avenir de cette industrie amène des questionnements importants, d’autant plus que de nombreux pays dépendent économiquement du tourisme. À ce sujet, on peut penser aux différents États des Caraïbes, dont plusieurs sont des petits États insulaires en développement (PEID) qui dépendent largement de ce secteur, l’industrie touristique pouvant représenter dans certaines États jusqu’à 90 % du PIB. Regard sur les impacts de la pandémie sur la situation du tourisme dans les États caribéens.

Femmes de ménage dans le court-métrage The Resort qui porte sur les travailleurs.ses du tourisme à Trinidad. Photo : Reapeating Islands.

L e printemps dernier, alors que le monde entier se mettait sur pause, les pays des Caraïbes, alors très peu touchés par la pandémie, s’inquiétaient des répercussions de celle-ci sur leur industrie touristique. En janvier 2020, l’organisation du tourisme des Caraïbes dressait un bilan positif de l’année 2019 avec 31,5 millions de visiteurs enregistrés et se déclarait optimiste pour la santé de l’industrie en 2020. Rapidement, cet optimisme s’est transformé en désespoir à la suite des fermetures des frontières et un arrêt immédiat du tourisme international afin d’endiguer la progression de la Covid-19 partout à travers le monde. Cette situation était d’autant plus inquiétante pour les États caribéens qui, contrairement à d’autres destinations touristiques telles que les pays européens, dépendent presque essentiellement du tourisme pour assurer la vitalité de leur économie.

Contribution du tourisme en % du PIB pour les Caraïbes selon le pays. Photo : Fonds Monétaire International.

En effet, depuis les années 70, alors que les Caraïbes sont devenues une destination tropicale prisée par les Nord-Américains et Européens, le secteur touristique a remplacé l’agriculture d’exportation et également l’industrie sucrière dans les économies locales. Pour beaucoup d’États des Caraïbes, le tourisme s’avérait être à la fois une méthode de rattrapage économique et un moyen de diversifier l’économie locale. Voilà pourquoi bon nombre d’entre eux ont investi dans le tourisme en finançant une partie des coûts de construction d’hôtels et d’infrastructures liées au tourisme. Par exemple, la Guadeloupe a, à partir des années 50, investi en construisant des hôtels de luxe, mais aussi en formant du personnel, en octroyant des incitations financières et fiscales aux investisseurs hôteliers afin d’attirer des capitaux venant de la métropole (France), en investissant dans la mise à niveau des infrastructures portuaires et aéroportuaires et en investissant dans les gîtes, restaurants et structures d’animation. Certaines îles qui avaient d’abord considéré le développement industriel et pétrolier pour assurer leur développement économique telles que Trinidad, Aruba et Anguilla se sont même lancées dans le tourisme durant les années 80 et 90, alors qu’elles étaient confrontées à des crises économiques et ont cherché à diversifier leurs économies.

Le tourisme a remplacé la tradition sucrière des Caraïbes. Photo : Geo.fr

Ainsi à la fin des années 90, un grand nombre d’îles de cette région ayant massivement investi dans le secteur touristique ont connu une grande augmentation du nombre de visiteurs. Par exemple, le nombre de visiteurs en République Dominicaine est passé de 1,8 million à 2,9 millions entre 1992 et 2000. Depuis 2010, les chiffres sont encore plus importants : 20 millions de touristes ont visité la zone caribéenne alors que le chiffre a grimpé à 24 millions pour 2015. Ces importants flux de touristes ont notamment permis de dynamiser les économies locales, de créer des emplois (le tourisme représentant en 2019 27 % des emplois dans les Caraïbes) et d’assurer des revenus par habitant conséquents. Ainsi, le tourisme y a véritablement été porteur de développement. De surcroît, dans de nombreux pays des Caraïbes tels que la Jamaïque, les revenus du tourisme servent à payer l’importante dette publique de l’État. Pourtant, l’importance prépondérante que le tourisme a pris dans les économies des pays caribéens s’est avérée hautement problématique lorsque la crise de la Covid-19 a éclaté.

Nombre de touristes internationaux dans les Caraïbes par État en 2015. Photo : Idées d’Amérique.

Répercussions économiques de la pandémie

Les impacts de la première vague du virus sur les économies caribéennes ont été sentis très rapidement. Au niveau mondial, la période de janvier à mai 2020 a été caractérisée par une chute de 300 millions du nombre de touristes et des pertes de 320 millions de dollars américains, ce qui représente le triple des pertes engendrées par la crise économique mondiale de 2009. Pour les Caraïbes, les mois de janvier à juin 2020 ont été caractérisés par d’importantes chutes d’arrivées de touristes. À titre indicatif, la République Dominicaine a enregistré une baisse du nombre de touristes de 61 %, Sainte-Lucie a enregistré une baisse de 58.4 % et la Grenade, une baisse de 54.8 %. Le ralentissement de l’activité économique engendré par l’arrêt brutal du tourisme dans la région a amené la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) à prévoir une chute du PIB allant jusqu’à 9.1 %, accompagnée d’une augmentation du taux de chômage de 8,1 % à 13,5 % pour la région des Caraïbes et de l’Amérique latine. De même, on prévoyait aussi une augmentation du taux de pauvreté de 7 points de pourcentage (de 30,2 % à 37,2 %) et une augmentation du coefficient de Gini[1] allant de 1,1 % à 7,8 % pour les mêmes régions. Outre les problématiques économiques liées au tourisme, d’autres difficultés économiques se sont imposées. Par exemple, les Caraïbes dépendent de manière importante des importations et, alors que les chaînes de valeur ont été perturbées à l’échelle mondiale en raison de la pandémie, la livraison de denrées, de fournitures et d’équipements médicaux a été retardée dans la région.

Réponse aux difficultés économiques

Pour pallier aux difficultés économiques, mais aussi aux difficultés sanitaires, de nombreux pays ont dû emprunter des fonds. Si les Antilles françaises ont pu bénéficier, tout comme la France métropolitaine, de fonds provenant du gouvernement français, plusieurs États, comme Antigua et Barbuda, Belize, Dominique, Grenade et Sainte-Lucie, ont dû compter sur la Banque de développement des Caraïbes (BDC) pour recevoir des prêts équivalents à 66.7 millions de dollars américains afin d’offrir une réponse sanitaire, sociale et économique adéquate, alors que d’autres pays ont reçu des prêts de créanciers privés, de la Banque Mondiale ou du Fonds Monétaire International (FMI). Outre les réponses directes à la crise, les différentes îles des Caraïbes ont aussi bénéficié de fonds pour amorcer leur relance économique passant par la relance du tourisme. La relance du tourisme dès l’été 2020 a, en effet, nécessité des fonds, que ce soit pour le soutien aux entreprises du secteur touristique ou la mise en place de protocoles rigoureux pour assurer la sécurité des visiteurs et des populations locales.

Représentant.es de la Banque de développement des Caraïbes en réunion pendant la première vague de la pandémie du Covid-19. Photo : Organisation panaméricaine de la santé.

Dilemme lors de la reprise du tourisme

Alors que le tourisme repartait à la hausse, les pays des Caraïbes ont été confrontés à un dilemme: faut-il, au nom de la reprise économique, accueillir plus de touristes au risque d’exposer la population à la Covid-19 ? En effet, dès la reprise des activités touristiques à l’été 2020, la crainte d’une recrudescence des cas de Covid-19 dans des États caribéens était bien présente, crainte justifiée par le fait que tous les pays des Caraïbes, sauf la Barbade, ont connu une hausse des cas durant l’été. Les Bahamas, qui ont ouvert leurs frontières aux touristes américains à partir de juillet, ont dû les fermer jusqu’en août, car les cas de Covid-19 dans le pays ont grimpé pendant la saison estivale. Le dilemme s’imposant aux autorités de ces États économiquement vulnérables était donc celui d’une ouverture au tourisme pouvant avoir des répercussions sur la progression du virus dans la région ou d’une fermeture au tourisme qui empêcherait une telle situation, mais aurait de lourdes répercussions sur l’économie déjà fragilisée depuis le début de la crise. La majorité des pays ont choisi l’option de rouvrir leurs portes aux touristes. Toutefois, si le tourisme a pu reprendre dès l’été, le nombre de visiteurs est resté nettement moins élevé qu’avant la crise du Covid-19. Par exemple, au mois d’août en Barbade, on dénombrait 90 % moins de touristes qu’à l’habitude. Cette situation a inquiété de nombreux États, d’autant plus que certains ont imposé des restrictions sur les voyages dans les Caraïbes comme le Canada, qui a annoncé en février l’annulation de tous les vols vers les Caraïbes et le Mexique. La France, quant à elle, a obligé ses ressortissants à avoir un motif impérieux pour se rendre aux Antilles causant de nombreuses annulations de voyage prévus pour les vacances scolaires en France dans les territoires d’Outre-Mer tels que la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Martin. Pour certains pays, ces nouvelles restrictions inquiètent, car cela signifie qu’ils devront emprunter davantage et donc s’endetter davantage. La Banque mondiale estime ainsi que la dette publique du Bahamas pourrait atteindre 85 % du PIB d’ici l’été 2021.

Piétons portant le masque sanitaire à San Juan, Porto Rico. Photo: Agence France-Presse.

Innovations pour le futur

Si la pandémie de la Covid-19 a véritablement ravagé l’industrie touristique des Caraïbes et que la reprise des activités dès l’été 2020 n’a pas été à la hauteur des chiffres des années précédentes, nombreux sont ceux qui en ont profité pour imaginer, pour le futur, une différente forme de tourisme dans les îles caribéennes. Par exemple, des responsables du Programme des Nations Unies pour le développement affirment que la crise de la Covid-19 nous force à repenser le tourisme pour favoriser éventuellement un modèle touristique en harmonie avec la nature, le secteur touristique produisant plus de 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et pouvant entraîner une dégradation des écosystèmes et une perte de la biodiversité. D’autres considèrent que le tourisme dans les Caraïbes devrait intégrer davantage les cultures et les cuisines locales plutôt que de s’arrêter aux hôtels tout inclus et croisières se limitant aux paysages tropicaux sans se soucier de la richesse de l’histoire de la région et de sa diversité culturelle. Une chose est certaine, la crise changera forcément le fonctionnement du secteur touristique dans les Caraïbes, que ce soit quant à son importance qui pourrait diminuer en raison de la situation économique créée par la crise, ou que ce soit par les innovations futures dans le domaine.

Une martiniquaise en tenue traditionnelle lors des festivités du dimanche gras, une grande célébration en Martinique marquant le début du carême. Photo : Aalborg Carnival.

[1] Le coefficient de Gini représente une mesure de l’inégalité dans la distribution des revenus. C’est un nombre variant entre 0 et 100, où 0 représente l’égalité parfaite, soit un revenu identique pour tous les membres du groupe et où 100 représente l’inégalité parfaite soit le revenu détenu par un seul membre du groupe.

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