Trump-Poutine, quel avenir pour l’Ukraine?

Edouard Pontoizeau
La REVUE du CAIUM
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5 min readJan 31, 2017

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Il est de nos jours difficile de comprendre les tenants et les aboutissants d’un enjeu, entre autres s’il s’agit d’un conflit autant surmédiatisé que sous-médiatisé. Est-ce parce que nous sommes à l’ère de l’information en continu et en simultanée que nous pouvons prétendre connaître davantage la situation dans une zone de combat, les acteurs réels et leurs intentions, ainsi que leurs actions ?

Nous pouvons nous focaliser sur un conflit relativement peu médiatisé ces derniers mois et sur lequel un intérêt particulier semble se dessiner pour certaines puissances régionales. Le conflit en Ukraine opposant séparatistes prorusses et nationalistes ukrainiens a vu l’émergence d’une zone grise entre l’Empire russe et l’Union européenne. Ayant été éclipsée par un autre théâtre de guerre, bien plus impressionnant et internationalisé qu’est la Syrie et l’Irak, l’Ukraine fut un point pourtant essentiel des tensions diplomatiques internationales. L’Union européenne a en effet décidé d’adopter des mesures diplomatiques contraignantes à l’égard du Kremlin dès mars 2014, ceci en réponse d’une part à l’annexion illégale de la Crimée (très médiatisée), et d’autre part à la volonté affichée du Kremlin de déstabiliser l’Ukraine. Par la suite, des sanctions d’ordre économique ont été appliquées, que ce soit dans les relations bilatérales des banques européennes (BERD et BEI) ou bien les relations commerciales, davantage en lien avec les désaccords généraux entre le Maître du Kremlin et François Hollande sur les différents théâtres de guerre.

Outre-Atlantique, les relations avec Moscou furent tout aussi tendues. En effet, le Canada fut diplomatiquement un des pays les plus investis dans la cause ukrainienne, de la même manière que l’administration Obama n’hésita pas à taper du poing sur la table concernant la facilitation des transferts d’armes et de moyens logistiques aux rebelles prorusses.

Ainsi, le premier acte d’une pièce de théâtre aux allures tragiques, cyniques et absurdes, laissant jouer ainsi des hommes de main du KGB contre des administrateurs de département français, semble laisser un goût amer sur la scène internationale. L’impuissance face à l’annexion de la Crimée, la fuite des Juifs d’Ukraine à nouveau persécutés et la résurgence de réseaux mafieux plus puissants que des États, ceci sous les yeux humides de centaines de millions de gens ne comprenant pas ce déchainement de violence et cette renaissance de l’anarchie. Il est difficile de ne pas voir là un malaise dans la civilisation pour reprendre Freud et le regain de cynisme.

Ce même cynisme porte les groupes criminels à se partager les restants d’un État en lambeau et faisant régner une loi auxquels Kiev et Moscou doivent s’accommoder.

Un enchaînement d’événements semble se dessiner en synopsis du second acte de cette décennie. L’intronisation de Donald Trump à la Maison-Blanche, estimant qu’il fallait laisser la Russie se mêler de ses affaires, caractérise une modification des rapports entre les Occidentaux et la Russie, ainsi qu’une perspective nouvelle de la résolution de ce conflit.

Donald Trump, bien que relativement flou sur ses positions concernant la Russie (certaines possibilités de coopération au Moyen-Orient, ou du moins de laisser-faire auraient déjà été envisagées par l’équipe de Trump), semble se tourner vers une posture davantage isolationniste et tend ainsi à se défaire du dossier ukrainien, et réduire la teneur du rapport de force qui s’opère entre les différentes forces présentes en Ukraine.

Qu’en est-il pour l’Ukraine ?

«Le plus gros perdant de cette nuit [8 novembre] est l’Ukraine. Ukrainiens, votre seule chance est d’être vraiment sérieux sur le plan des réformes et de garder le soutien des Européens», a tweeté Michael McFaul suite aux résultats des élections, ancien ambassadeur des États-Unis.

Les ambitions tsaristes ne semblent ainsi pas se déteindre avec l’arrivée de Trump … bien au contraire. La Russie aurait-elle vu les derniers nuages de l’interventionnisme américain, du moins en Europe, contemplant aujourd’hui, à visage découvert, les percées qu’elle pourrait encore se permettre en Ukraine. Cette percée se situerait surtout dans la région industrielle très convoitée du Donbass, riche de par ces ressources naturelles et ces infrastructures encore très compétitives.

Il n’est pas surprenant que cet oblast, fief du multimilliardaire et nationaliste ukrainien Rinat Akhmetov soit très contesté par les milices prorusses, en plus de l’importante minorité russophone qui y demeure. Le retrait des États-Unis sur le dossier ukrainien (et européen en général) pousse les Européens à atténuer eux aussi leur animosité et devenir davantage enclins à devoir négocier et trouver une solution à un conflit remettant en cause l’histoire et l’unité même de l’Ukraine.

Crédit photo : Affairs Today

Ce facteur essentiel de la résolution du conflit repose sur les enjeux sécuritaires liés à la déflagration de l’Ukraine et la crainte de voir une nouvelle prolifération d’armes venues des anciens fourneaux soviétiques d’Europe de l’Est (comme ce fut le cas en Ex-Yougoslavie).

La guerre n’oppose pas tout à fait deux armées régulières, ni uniquement des groupes locaux constituants des protos-états contrairement à ce que certains peuvent imaginer. La spécificité de ce conflit est qu’il est hybride, dans le sens où il s’agit bien d’une guerre de proxy opposant plusieurs États sur un territoire donné (tentant de défendre leurs intérêts) par le biais du gouvernement légitime en place (Kiev) et des groupes rebelles, milices ou mercenaires combattant pour Moscou ou pour le plus offrant. En effet, il n’est pas rare que des mercenaires occidentaux ou même russophones aient rejoint les rangs de Kiev.

Les mafias russes et ukrainiennes ont, elles aussi, un rôle important à jouer. Certaines mafias affiliées aux réseaux russes (notamment la Kazanskaia et les Bratva de Moscou) semblent se positionner pour Moscou et bousculer les rapports de forces du conflit vers une criminalisation de l’ensemble de la société des Oblasts de l’Est. Certaines mafias ou groupes mafieux ont quant à eux décidé de relever le défi du nationalisme, tantôt par intérêt (la peur de perde des parts de marché au profit des réseaux criminels russes), tantôt ethnique et idéologique (les groupes criminels se référant souvent à leur groupe ethnique), et parfois, il arrive que des clans décident de ne pas prendre parti au conflit et continuer à faire des affaires malgré l’instabilité politique et économique.

L’Union européenne semble vouloir une solution européenne et ne plus s’attendre à un quelconque soutien de l’administration Trump. Elle peut exercer une pression contre le Kremlin et l’isoler un peu plus diplomatiquement et économiquement, mais ne plus davantage fermer les frontières commerciales d’une CEI ayant démontré sa capacité à intéresser les investisseurs étrangers dans l’objectif de conquérir ce marché plus dynamique que jamais..

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Edouard Pontoizeau
La REVUE du CAIUM

M. Sc. Science politique — Université de Montréal.