Un Liban partagé, des réfugiés oubliés

Natassia Ephrem
La REVUE du CAIUM
Published in
7 min readSep 3, 2018
Des réfugiés syriens à la frontière avec le Liban. Source: Hassan Abdallah (RFI) http://www.rfi.fr/moyen-orient/20141004-liban-hrw-denonce-agressions-contre-refugies-syriens

Une enfance brisée par les zones de guerre et les conflits incessants: voici la réalité à laquelle plusieurs enfants et familles sont confrontés. Au cours de la dernière décennie, le nombre d’enfants dont la vie a été perturbée par la guerre, l’oppression, la terreur et d’autres formes de conflits a considérablement augmenté [a]. En fait, l’apport médiatique présente une scène internationale imprégnée d’un profond désordre, ou l’on voit un grand nombre de pays déstabilisés par des attaques intarissables. On compte parmi ceux-ci le cas du conflit syrien qui, depuis 2011, aurait déplacé plus de 12 millions de personnes vers les pays voisins tels que le Liban, la Turquie, la Jordanie, l’Irak et l’Égypte [b]. À cet égard, plusieurs chercheurs s’attardent aux effets engendrés par une telle vague de migration, plus précisément au cas du Liban. Face à l’effort demandé à un pays qui n’a pas encore fini de panser les blessures des conflits qui ont ensanglanté le territoire libanais depuis le dernier quart du XXe siècle, comment la fermeture de l’Europe aux migrants, y compris les réfugiés, relève d’un choix raisonnable et juste[c] ? En ce sens, le cadre de cet article vise à établir, le plus justement possible, comment l’état du Liban actuel est problématique à l’arrivée des réfugiés. D’après les recherches empiriques employées à l’étude de cette question, nous jugeons pertinent de limiter le champ de cette analyse à deux critères spécifiques, soit d’une part, la faible croissance économique au Liban et d’autre part, son instabilité politique et culturelle.

Avant de débuter, il est important de mentionner que depuis 1932, aucun recensement de la population libanaise n’a pu être organisé pour des raisons politiques [d]. Ceci ne permet donc pas une analyse fine des migrations forcées. Aussi, cette analyse ne suggère en aucun cas que les réfugiés ne devraient pas demander l’asile politique au Liban. Tout pays se doit d’accueillir une personne qui tente de fuir son pays pour échapper à une guerre, car tel que le rappel Amnistie internationale : Être réfugié n’est pas un choix [e]. Voyons toutefois, comment à travers le temps et l’histoire, les réfugiés vivent un dur séjour en territoire libanais.

Difficile à quantifier, la présence étrangère au Liban a toujours été́ très forte dans l’agglomération de Beyrouth, où les vagues de migrations furent des périodes marquantes à travers l’histoire [f]. Les migrations arméniennes résultent du génocide arménien par les Turcs lors de la Première Guerre mondiale, les migrations palestiniennes sont justifiées par la création d’Israël, avec l’éviction des Palestiniens en 1948, et déjà à partir de 1958 il y a de l’émigration syrienne vers le Liban, mais depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie de 2011, une troisième vague d’émigrés syriens fuient les combats et les persécutions pour s’installer au Liban [f].

La faible croissance économique du Liban n’est pas sans effets sur les réfugiés. En effet, la croissance économique libanaise s’est effondrée de 8 % entre 2008 et 2010, puis à 0 % en 2012 [g]. Autrement dit, la précarité économique du pays nuit en grande partie à l’établissement des réfugiés en régions prospères et à des coûts élevés tant pour les réfugiés que pour les citoyens locaux. Ceci a pour effet de concentrer les réfugiés syriens dans certaines des régions les plus pauvres du pays, où l’expansion soudaine du bassin de main-d’œuvre fait baisser les salaires à la fois des Libanais et des réfugiés, où les services d’éducation et de santé étant déjà insuffisants deviennent pires et où la réalité des logements surchargés mène les migrants à s’installer dans des bidonvilles insalubres [g]. Bref, la fragilité de la condition économique du Liban vient inévitablement encombrer le séjour des réfugiés .

Aussi, l’afflux massif de tout ces déplacés intervient dans un contexte socio-économique déjà très difficile. Le Liban doit faire face à la crise économique mondiale, facteur qui indique la situation économique du Liban comme étant plus proche de celle de la Grèce que de celle de l’Allemagne [j]. Les données révèlent entre autres que le peu de possibilités d’emplois rend la situation des réfugiés encore plus inadaptée qu’elle ne l’est déjà. Ils s’en remettent à des mesures désespérées, où plusieurs subviennent à leurs besoins par la prostitution, le mariage précoce, la mendicité ou l’acceptation d’un salaire de misère [h].

Sur le plan des affaires publiques, le Liban connaît une vie politique très instable. Pour être en mesure de comprendre adéquatement cette réalité, il est nécessaire de prendre en considération le facteur multiethnique du Liban. Les données statistiques évaluent à 30% la population libanaise étrangère et à 40% à Beyrouth, puisque la guerre de 1975 se traduit par l’exil de plus de 847 000 personnes jusqu’en 1990 [i]. Cet exil du peuple libanais fragmente l’identité nationale et conduit le Liban à accepter la variété ethnique, religieuse et culturelle. Durant la guerre civile, les références religieuses furent exploitées par les autorités et les ressources symboliques manipulées pour des fins stratégiques[j]. Se saisissant des grands emblèmes religieux, il était facile pour les chefs de milice d’exacerber la fonction émotionnelle de la religion et ainsi réussir, à certains moments de la guerre, à transformer un conflit politique en un conflit religieux[j]. C’est face à cette versatilité que les principaux leaders d’opinions sont très rarement en accord quant aux choix des procédés gouvernementaux que l’État doit entailler, face à l’arrivée des réfugiés. Chaque groupe désire agir dans l’intérêt de sa communauté d’abord, ce qui cause un positionnement ambivalent des acteurs publics sur la question des réfugiés (institutions, leaders, personnalités religieuses, etc.) tout autant que celui des citoyens ordinaires [i]. Bref, ces opinions partagées autour de la question des réfugiés retardent la mise en place de plans effectifs et efficaces en vue d’aider de manière pleine et entière les réfugiés.

Source: Bayard https://www.bayard-jeunesse.com/actualites/crise-des-migrants-des-documents-pour-comprendre-lactualite/

Par ses migrations forcées, les sociétés du Liban sont face à une réalité qui ravive sans cesse l’histoire du passé, reliée plus particulièrement « aux guerres religieuses »[k]. Déjà en 1975, il y a division de la classe politique libanaise autour de la question de la présence des réfugiés palestiniens. Cette division se forme entre le Mouvement National, étant une coalition de gauche qui réclame le droit pour un Libanais musulman d’accéder à la présidence de la République et les Phalanges, soit le parti de droite nationaliste qui vise à protéger les intérêts des chrétiens en conservant le confessionnalisme [l]. À première vue, la guerre civile au Liban semble n’être qu’un amas de revendications politiques qui reflètent les intérêts de chaque communauté religieuse. Or, la division de Beyrouth entre Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest est une scission qui symbolise le déchirement à la fois politique et religieux des Libanais [l]. Les partis politiques prennent position selon leurs affiliations à certaines communautés et divers groupes, ce qui alimente la continuation de querelles entre les concitoyens et les réfugiés. C’est pourquoi l’établissement des réfugiés au Liban est un sujet délicat : il rappelle les plaies du passé. Tel que l’histoire l’indique, le Liban est déjà à la base morcelé sur le plan religieux, instable et fragile sur le plan politique ; tout cela mène inévitablement à créer de grandes tensions entre les réfugiés et les citoyens civils [l].

Tous ces facteurs illustrent la réalité d’une défaillance chronique de l’État libanais. Sa faible croissance économique et sa complexité de l’appareil politique causent des coûts élevés autant pour les réfugiés que pour les citoyens. Il faut tout de même rester optimiste en l’humanité, car dans tout ce désordre voici une réponse morale digne d’être retenue :

« L’assistance gouvernementale reste très limitée et constitue même un sujet de controverse puisqu’en réalité, l’aide aux réfugiés est fournie essentiellement par la société civile soit surtout des personnes qui ont ouvert leurs maisons ou par les municipalités des villages qui ont ouvert leurs institutions pour recevoir les réfugiés [k] ». Donc, malgré les déficiences d’un État, il n’est jamais trop tard pour un peuple de contrecarrer une décision qui ne reflète pas le bon sens humanitaire.

Natassia Ephrem est étudiante au baccalauréat en science politique à l’Université de Montréal. Elle détient également un diplôme en psychologie de l’UdeM.

Bibliographie

[a] Helene Berman. (2001). Children and War : Current understandings and future directions. Public Health Nursing, Vol. 18 (№4) : 243–252

[b] Selcuk Srin et Lauren Rogers-Sirin. (2015). The educational and mental health needs of syrian refugee children. Migration Policy Institute, Washington DC : 1–27

[c] Geisser, V. (2013). La question des réfugiés syriens au Liban : le réveil des fantômes du passé. Confluences Méditerranée, 87,(4), 67–84. doi:10.3917/come.087.0067.

[d] Laurent Drapeau et Lama Kabbanji. (2017). Étudier les migrations de Syrie au Liban propositions méthodologiques. CEPED. Université Paris Descartes Institut de Recherche pour le Développement : 3–21

[e] Amnistie Internationale. (2018). Réfugiés ce n’est pas un choix [en ligne] http://refugies.amnistie.ca

[f] Eric Verdeil et André Bourgey. (2015). La géographie du Liban entre guerres et mondialisation. HAL Archives et découvertes [en ligne] https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01145786/document

[g] Balanche, F. (2013). Éditorial. La crise syrienne révèle les faiblesses du Liban. Maghreb — Machrek, 218,(4), 5–8. doi:10.3917/machr.218.0005.

[h] Loveless, J. (2013). Crisis in Lebanon: camps for Syrian refugees? Forced Migration Review, (43), 66–68.

[i] Chadi Khneyzer, Myriam Donsimoni. (2015). Provoquer le Conte-exode pour déclencher le développement local : Étude de cas du Caza Akkar au Liban. HAL Archives et découvertes. Montpellier, France. [en ligne] https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01348025/document

[j] Kanafani-Zahar, A. (2000). Liban, mémoires de guerre, désirs de paix. La pensée de midi, 3,(3), 75–84. https://www.cairn.info/revue-la-pensee-de-midi-2000-3-page-75.htm.

[k] Vincent Geisser. (2013). La question des réfugiés syriens au Liban : le réveil des fantômes du passé. CAIRN Confluences Méditerranée. 2013/4 (N. 87), p.67–84. DOI 10.3917/come.087.0067

[l] El Boujemi, M. (2016). La guerre civile libanaise : conflit civil ou guerre par procuration ? 1970–1982. Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, 43,(1), 147–158. https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin-2016-1-page- 147.htm.

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