Kevin Martinez
La REVUE du CAIUM
Published in
6 min readNov 16, 2023

--

Un soutien occidental risqué

Manifestants pro-palestinien et pro-israélien face à face. © Ted Eytan

Double discours international : les récents événements en Ukraine et au Moyen-Orient soulignent l’incohérence des réponses de l’Occident. Entre clivages diplomatiques, tensions sociales exacerbées et impératifs de sécurité, les contradictions des réponses occidentales à ces deux événements viennent avec certaines conséquences tranchantes à long terme dans un ordre international en pleine mutation.

L’ordre international basé sur les règles… pour certains

Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine en février 2022, la communauté internationale a rapidement réagi à coup de condamnations, de sanctions, et d’accusations sérieuses de violations du droit international, notamment l’Occident avec les États-Unis en chef de file. Ces accusations ne sont pas infondées. En effet, la Russie violait plusieurs principes fondamentaux du droit international humanitaire (DIH). Or, aujourd’hui avec la situation simultanée de la guerre en Ukraine et le conflit israélo-palestinien, les contradictions dans les réponses occidentales brillent par leur évidence, marquant de ce fait une intensification des fissures de l’ordre international basé sur les règles qui est promu par l’Occident.

Car si la Cour pénale internationale a pu émettre un mandat contre Vladimir Poutine pour des crimes de guerre, comment ne va-t-elle pas le faire pour Netanyahou qui a bombardé tout récemment le camp de réfugiés Jabalia, ou du siège illégal imposé à toute la population de Gaza ? À cela s’ajoute le rapport d’un expert des droits humains de l’ONU qui qualifie la situation des Palestiniens d’apartheid, ou encore les appels itératifs du Conseil de sécurité quant à l’illégalisation des colonies israéliennes et au respect des frontières établies le 4 juin 1967. Ces situations documentées devraient fournir assez de munitions pour prendre des mesures plus drastiques pour faire respecter le droit international, et ce, bien avant le 7 octobre 2023. Rappelons que parmi les cinq grands principes du DIH, les principes de distinction et de proportion indiquent clairement qu’une population entière ne peut être punie de façon indiscriminée et disproportionnée pour les actes d’un groupe au sein de celle-ci.

X (twitter.com)

De toute évidence, ces standards à double vitesse exposés à la vue du monde fragilisent profondément l’influence occidentale sur la scène internationale ainsi que son soft power. Si l’Occident n’a pas hésité à mobiliser le DIH contre l’invasion russe en Ukraine, elle est maintenant beaucoup plus mitigée et timide, alors que les preuves et les documentations ne manquent pas. Ce double discours nuit grandement à la légitimité du système international que l’Occident tente de maintenir et de défendre contre la montée des pays autoritaires, car pour plusieurs États du Sud, le droit international est surtout instrumentalisé par le bloc occidental quand bon lui semble pour asseoir sa puissance. Conséquemment, cela renforce davantage l’attrait que représentent les organisations qui cherchent à transformer l’ordre international, tels les BRICS+.

Les réactions internationales après l’attaque du 7 octobre. © Le Grand Continent

Accentuation des fissures occidentales

Les événements récents et la prise de position des dirigeants occidentaux ont contribué à exacerber des clivages sociaux pré-existants au sein de certaines sociétés occidentales. Ces tensions s’illustrent par les nombreuses manifestations des deux camps, une montée de la violence et des crimes de haine, tant envers la communauté musulmane qu’envers la communauté juive.

À Montréal, une synagogue a été victime d’une tentative d’incendie criminelle et des écoles juives ont été ciblées par des coups de feu à deux reprises, alors qu’à Chicago un propriétaire a poignardé une mère et son fils de 6 ans dû à leur confession musulmane selon les autorités. Or, cette polarisation n’est bénéfique que pour les groupes extrémistes qui s’alimentent de la haine causée par de tels événements, ce qui risque de rendre le climat social plus fragile et turbulent, alors qu’on se trouve déjà dans un contexte de polarisation de l’opinion publique.

Mais ces tensions se notent également au sein même de l’alliance occidentale. Alors que pour certains c’est une occasion qui prouve à nouveau (suite à la guerre en Ukraine) l’union entre les pays occidentaux, pour d’autres c’est plutôt remettre à l’ordre du jour un clivage au sein de la classe politique. En effet, lors d’un sommet d’urgence de l’UE, plusieurs dirigeants ont manifesté leur craintes et critiques envers la cheffe de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour ne pas avoir appelé l’État hébreu à respecter le droit international. Le Premier ministre irlandais critiquait récemment le manque d’équilibre en affirmant que la cheffe de l’UE « ne parlait pas au nom de l’Irlande ». Tout récemment d’ailleurs, la France a décidé d’accentuer sa pression en faisant appel à un cessez-le-feu, rompant ainsi l’approche de la « pause humanitaire » mise à l’avant par ses alliés, alors que des divergences se font également sentir au sein du Parti libéral du Canada de Justin Trudeau.

Continuation d’un cycle vicieux meurtrier

S’il y a bien une leçon que Washington peut donner à son allié stratégique, c’est qu’une riposte démesurée peut avoir des conséquences très graves et coûteuses à long terme, d’où cette référence implicite à la guerre contre la terreur qu’a mené Washington suite au 9/11 : « Le choc, la douleur, la rage — une rage dévorante. Je le comprends, et beaucoup d’Américains le comprennent. […] Mais je vous mets en garde : vous ressentez cette rage, mais ne vous laissez pas consumer par elle. » Or, la réponse du Tsahal a déjà fait plus de 11.000 morts du côté palestinien et les négociations d’une libération des otages et d’un cessez-le-feu ne semblent avancées que piteusement.

Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, il pourrait pourtant s’avérer contre-productif de s’attaquer au Hamas avec une riposte militaire aussi puissante et meurtrière. En effet, un facteur souvent oublié dans la création d’idéologies extrémistes, qui peuvent mener à la naissance de groupes armés, est la vengeance. Le nombre élevé de civils tués ou blessés alimentent la colère et la haine sociale, ce qui crée un terreau fertile à la propagation d’idéologies extrémistes, et ce, tant du côté palestinien avec les groupes djihadistes qu’avec les groupes d’extrême-droite en Israël.

Bombarder Gaza et neutraliser le Hamas peut paraître une solution envisageable et gagnante à court terme pour Tel-Aviv qui cherche à rassurer le sentiment de sécurité chez ses citoyens. Néanmoins, elle compromet tant la sécurité d’Israël que des pays occidentaux à long terme, risquant de stimuler l’apparition de groupes armés se nourrissant de cette colère sociale qui dépasse les frontières, contribuant ainsi à un cycle vicieux interminable.

Pour aller plus loin…

Dumont, Gérard-François. « Israël, Territoires palestiniens : quels scénarios géopolitiques possibles ? Entre guerre et utopie », Les Analyses de Population & Avenir, vol. 47, no. 5, 2023, pp. 1–36.

France Inter. « Dominique de Villepin : “La légitime défense n’est pas un droit à une vengeance indiscriminée” », Radio France, 12 octobre 2023 https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-12-octobre-2023-8744437

Jacinto, Leela. « La guerre Israël-Hamas révélatrice des fractures au sein du monde occidental », France 24, octobre 2023. https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231019-la-guerre-isra%C3%ABl-hamas-r%C3%A9v%C3%A9latrice-des-fractures-au-sein-du-monde-occidental

Prévost, Hugo. « Le conflit israélo-palestinien fait apparaître des divergences au PLC », Radio-Canada, 18 octobre 2023. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2019108/israel-hamas-plc-housefather-zuberi

Rousseau, Daphnée. « L’armée israélienne affirme être “au coeur” de la ville de Gaza », Le Devoir, Montréal, novembre 2023. https://www.ledevoir.com/monde/moyen-orient/801447/israel-exclut-tout-cessez-feu-bande-gaza

Taneja, K. « Hamas is now what Al-Qaeda became after 9/11 », Observer Research Foundation, Inde, 2023. https://policycommons.net/artifacts/5031761/hamas-is-now-what-al-qaeda-became-after-911/5797046/

United Nations Humans Rights Office of the High Commissioner. « Israel’s 55-year occupation of Palestinian Territory is apartheid — UN human rights expert », United Nations Press Release, 2022. https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/03/israels-55-year-occupation-palestinian-territory-apartheid-un-human-rights

United Nations Security Council. « Israel’s Settlements Have No Legal Validity, Constitute Flagrant Violation of International Law, Security Council Reaffirms », United Nations, December 2016. https://press.un.org/en/2016/sc12657.doc.htm

Vieira, Sandrine. « Nouveaux appels à un cessez-le-feu dans la bande de Gaza », Le Devoir, Montréal, novembre 2023. https://www.ledevoir.com/politique/canada/801475/nouveaux-appels-cessez-feu-bande-gaza

--

--

Kevin Martinez
La REVUE du CAIUM

Candidat à la maîtrise en Affaires publiques et internationales