Une planète à crédit

et l’inversion de la rareté : vers un bouleversement des rapports nord-sud.

Fanny Gonzalez
La REVUE du CAIUM
7 min readSep 4, 2017

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Crédit photo : NASA via Unsplash

Souvent stratégiques, les ressources naturelles constituent la pierre angulaire sur laquelle est basé le système économique mondial. La grande diversité et les fortes inégalités, qui résultent de la répartition des ressources, alimentent les tensions et les conflits, tant internes qu’externes. Bien qu’il s’agisse d’une constante historique, les changements climatiques accentuent ce phénomène. Toute politique étrangère et sécuritaire doit tenir compte de cette nouvelle réalité qui laisse pressentir l’achèvement de ce modèle économique d’un point de vue environnemental.

Aujourd’hui, les ressources énergiques fossiles et agricoles font l’objet d’états d’urgence récurrents qui ont pour corollaire la flambée des prix. Cette inflation est due à l’intégration des externalités négatives dans le coût des matières premières et engendre par un effet de ricochet l’envolée des prix pour bien d’autres produits de substitution.

Disparition progressive du plus grand lac d’eau douce de Chine, Poyang ou Po Yang Hu, situé dans la province de JiangxCrédit : Chine magazine

Ainsi, une catastrophe écologique, une sécheresse ou une inondation peuvent transformer les cultures agricoles en véritable objet de spéculation. Les exemples ne manquent pas : le riz sur le marché international, dont les exportations proviennent principalement de Thaïlande et du Vietnam, a atteint un niveau record en 2008 passant à 24 cents USD par livre contre 11 cents USD en moyenne. Il en va de même pour le soja qui a connu sa plus grosse inflation en trente-quatre ans après un pic atteint, en octobre 2012, à près de 18 USD le boisseau contre 10 USD en moyenne.

Au Sud

Avec l’esclavagisme et la colonisation, la saturation de l’espace carbone par les pays industrialisés constitue une autre grande injustice de l’histoire de nos sociétés (Severino, 2011). En quelque sorte, les pays d’Asie, ceux d’Amérique latine et d’Afrique, arrivent à la table de la prospérité au moment où elle se vide. Alors que les populations des pays émergents ne sont qu’en infime partie responsable du changement climatique, les ravages de celui-ci s’abattent avec davantage de force sur les pays du Sud.

Empreinte écologique par personne, en 2010 — Crédit : Nicolas Alexandre

Dès lors, après le passage du Tsunami de 2004 en Indonésie, on dénombrait 270 000 morts et un coût global de 50 000 millions de dollars (Frecon, 2015). Une étude de l’OCDE montre que le capital naturel de l’Asie du Sud-Est constitue 20 % de la richesse de la région, contre seulement 2 % dans les pays riches. Le modèle de croissance asiatique repose essentiellement sur l’exploitation des matières premières, de ses littoraux et de ses ports. Et c’est ce même capital qui est détruit un peu plus chaque jour sous les pluies acides, les inondations et la sécheresse.

Indonesia’s Sumatra island, Tsunami, 2004Crédit : Choo Youn-Kong

De même, la forte croissance démographique a continué à alimenter la hausse des besoins alimentaires. Ainsi, la transition alimentaire amorcée par les classes moyennes a accru la demande de viande et d’oléagineux. Enfin, la dégradation environnementale s’appuie également sur les choix de localisation des industries polluantes qui tient aux différences de politique environnementale. En exploitant leur environnement pour survivre, les pays en développement épuisent les ressources naturelles sur lesquelles repose le développement économique.

Le défi est de taille : la terre va-t-elle pouvoir alimenter toute cette population alors que les ressources de terre arable sont presque épuisées par l’érosion, la hausse du niveau de la mer et la culture intensive ?

Au Nord

Les pays du nord ne sont pas non plus épargnés. Il n’y a qu’à constater les dégâts des récentes inondations liées aux violentes tempêtes qui se sont abattues dans le centre des États-Unis. Évidemment, on ne peut pas demander aux pays industrialisés de se « dé-développer ».

Tempête Harvey : le Texas sous les eauxCrédit : Reuters

Toutefois, un autre modèle de développement basé sur une consommation plus responsable permettrait de réduire l’empreinte écologique des populations occidentales. Parmi les recommandations adressées aux populations, on note l’importance de privilégier les énergies renouvelables, manger moins de viandes, consommer plus de produits locaux et opter pour les transports en commun.

La crise environnementale : une question sociale globale

La raréfaction de la nature bouleverse donc progressivement les rapports entre le Nord et le Sud et ébranle le système dans son ensemble. Alors que certains se sont retrouvés dans l’impossibilité de s’approvisionner sur les marchés internationaux suite aux crises alimentaires, d’autres se sont lancés dans une politique de captation des ressources par l’achat de terres agricoles étrangères signe d’une rareté toujours plus croissante (Severino, 2011). Bien sûr, ces pratiques posent une question éthique de premier ordre et interrogent sur les relations entre souverainetés nationale et propriété agricole.

Évolution de l’empreinte écologique mondiale, de 1961 à 2050 (en milliards d’hectares globaux) Crédit : Nicolas Alexandre

En 2017, l’humanité a consommé la totalité de ses ressources le 2 aout. Ainsi, le « jour du dépassement mondial » se rapproche un peu plus chaque année ce qui nous conduit à vivre à crédit. Un des derniers rapports du GIEC (2014) évoque un scénario tendanciel qui nous conduirait dès 2100 à une température moyenne du globe plus élevée de 3,7 à 4,8 °C par rapport au XIXe siècle, soit un triplement de la vitesse du réchauffement du XXe siècle. En prenant la France pour exemple, si la population mondiale consommait au même rythme que celle-ci, il nous faudrait trois planètes pour subvenir à nos besoins. À l’inverse, en suivant le modèle de l’Inde, la moitié des ressources naturelles actuelles suffiraient à notre consommation.

Il est donc évident que la terre habitable et cultivable en deviendra d’autant plus précieuse et disputée au cours des prochaines décennies. Et, quand le prix du baril aura triplé et que tout le schéma de production sera remis en cause, qu’adviendra-t-il des centaines de millions d’hommes et de femmes employés tout au long de la chaine économique ? Mais, au-delà des enjeux économiques, la crise environnementale qui s’intensifie fait partie intégrante d’une question sociale plus globale.

Les conséquences de la dégradation environnementale pose un problème immédiat et génère de nombreux défis sociaux démographiques dont parmi eux des mouvements de populations qui seront amenés à s’intensifier au cours des prochaines années.

Sillages : documentaire sur les migrants climatiques au Bangladesh — Crédit : Letendre, Sophie. Rochon-Gruselle, Émilie et Clément Rodrigue.

Si, aujourd’hui, les phénomènes migratoires de masses ne relèvent plus de la politique-fiction, qu’arrivera-t-il le jour où nous serons confrontés à des vagues de « réfugiés climatiques », alors que les États ont tant de mal à se concerter et à mener des politiques communes concernant la question des réfugiés syriens, irakiens ou encore libyens, qui fuient la guerre ?

Suite aux aléas géopolitiques, aux incidents météorologiques et la nouvelle rareté de l’eau, de l’air, et de l’espace, nous entrons à grande vitesse dans un monde différent où les matières premières sont l’objet de toutes les attentions. Notre usage excessif des différentes formes de la vie a fini par créer ses propres raretés. Les limites du marché comme régulateur, organisateur et garant apparaissent, dès lors, très clairement. Si rien n’est fait avant 2030 pour renforcer les efforts d’atténuation déjà déployés aujourd’hui, le GIEC estime qu’il deviendra alors extrêmement difficile d’atteindre des niveaux d’émissions relativement bas à long terme et que cela réduira la palette de solutions pouvant assurer un maintien du réchauffement au-dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
Il est urgent de prendre conscience que les ressources naturelles sont notre monnaie principale.

Face à ce verrou malthusien qui bientôt se refermera sur l’humanité, les seules issues semblent être la recherche, l’innovation et la coopération mondiale.

Sources

GIEC, 2015, Changements climatiques 2014 : l’atténuation du changement climatique, “Résumé à l’intention des décideurs”, Suisse : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 40 p.

Severino, J-M., et al., 2011, Le grand basculement, Paris : Ed. Odile Jacob, 300 p.

Frecon, É., et al., 2015, Asie de l’Est et du Sud-Est : De l’émergence à la puissance, Paris : Ellipses Édition, 135 p.

Ascher, F., 2005, Le mangeur hypermoderne, Paris : Éditions Odile Jacob, 330 p.

Universalis, 2017, Simon Kuznets, consultation sur internet (http://www.universalis.fr/encyclopedie/simon-kuznets/) le 6 juin 2017.

Juvin, H., 2008, Produire le monde : Pour une croissance écologique, Paris : Éditions Gallimard.

Boursorama, juin 2017, Cours des matières premières, consultation sur internet : (http://www.boursorama.com/bourse/matieres-premieres/) le 4 juin 2017.

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Fanny Gonzalez
La REVUE du CAIUM

Étudiante en science politique. Vice présidente au Comité des Affaires Internationales de l'Université de Montréal. Engagée en faveur d'actions humanitaires.