J’ai refusé le polyamour

À la recherche de la relation singulière

Camille Rabier
Camille Rabier
8 min readOct 30, 2018

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Depuis mon installation à Montpellier, je m’intéresse à beaucoup de sujets qui sortent de ma zone de confort. Parmi ces sujets, il y a le concept de polyamour.

Raconté par ses adeptes, le polyamour est très intéressant. J’y ai aimé ses principes nobles de liberté et sa remise en cause du modèle traditionnel. Être ensemble n’entrave pas l’épanouissement de nouvelles relations.

Ce que j’en ai retenu :

  • Le polyamour n’est pas profitable qu’aux hommes, c’est une philosophie égalitaire.
  • Les polyamoureux ne sont pas automatiquement libertins. Certains peuvent être assexuels, d’autres s’impliquent énormément dans leurs nouvelles relations, ou encore ceux qui ne dissocient pas l’amour du sexe. Le polyamour n’est qu’un spectre, toutes les personnalités existent.
  • Les polyamoureux ne sont pas des individus dénués de jalousie. Poly ou non, nous avons tous notre propre sensibilité, nos propres ressentis. C’est ce que j’ai constaté lors de nombreuses discussions. La jalousie est un gros sujet qu’ils abordent très souvent, cela fait partie de leurs réflexions et de leurs principaux freins.
  • Tous les polyamoureux sont différents, certains respectent un contrat de “poly-fidélité”, d’autres sont poly mais actuellement célibataires, et d’autres sont mono-acceptants. Un polyamoureux ne ressemble à aucun autre, tous les cas de figure existent car la vie nous offre une multitude de formes et d’occasions d’aimer.
  • Les polyamoureux ne sont pas polyamoureux parce qu’ils ne sont pas “comblés”. Ils profitent simplement de leur liberté d’aimer.

Forcément, en allant à des réunions de discussion et en ouvrant mon cercle d’amis, j’ai finis par m’attacher à un garçon poly. Jusqu’à présent, je n’avais pas pour but de me chercher un nouvel amoureux, je sortais d’une relation compliquée et j’avais justement envie d’être seule.

Et puis…

C’est à une soirée que je repère que je lui plais. Et il faut dire que sa compagnie n’était pas moins désagréable. Je le savais poly, il me savait mono. A priori et malgré tous les avantages du polyamour, devenir poly ne m’intéressait pas. Je le laissais cependant s’approcher de moi tout doucement, jours après jours, semaines après semaines.

Ça bloque…

Père de trois enfants et en couple avec sa compagne depuis plus de 20 ans, sa situation familiale et sa philosophie poly ne m’ont pas permise de m’épanouir comme j’en ai l’habitude et comme il me plaît.

Notre énergie est très plaisante, nous allons ensemble à un festival hippie en Espagne et nous partons camper à la sauvage 1 fois par semaine dans les étangs camarguais. En l’espace de quelques mois, nous avons voyagé à Amsterdam, en Suisse, en Grèce… Mais malgré toutes ces activités folles, je ne suis pas moteur sentimentalement.

Quand il me disait “je t’aime” en premier, je freinais à fond les ballons. Je me sentais trop en insécurité pour être suffisamment à l’aise et heureuse.

Nous n’avions pas les mêmes bagages : lui à presque 40 ans avec déjà 3 années d’expérience poly et moi, complètement novice. Je n’y connaissais rien en polyamour, ni dans la théorie ni dans la pratique. Alors nous avons laissé passer ces quelques mois d’été pour tester, nous calibrer. Mais définitivement, c’était trop et il ne me ménageait pas.

J’ai 3 enfants, 1 femme avec qui je vis depuis 20 ans sous le même toit et une nouvelle amoureuse qui arrive. Tu seras la 3ème, cool non ?

Gé-ni-al…

Sentiment d’insécurité et colères

J’ai retenu de ces 3 mois d’été que le polyamour, qui promet de si belles valeurs sur papier, est incompatible avec mon fonctionnement, dans ma réalité.

La jalousie, la peur de l’abandon, mon épanouissement émotionnel, mon besoin de connexion, de disponibilité… tout était exacerbé et m’écorchait. Mes crises d’angoisses étaient violentes et nombreuses. J’avais un nœud constant dans le ventre. Mon sentiment de mal être beaucoup trop fort pour être ignoré.

Quand je raconte mes inquiétudes sur notre couple à d’autres poly, ceux-ci me font comprendre — et lui compris, que c’est moi qui me bloque toute seule. Je ne me sens pas comprise, je le vis mal. Je suis en rejet.

J’ai pris l’habitude de prendre mes distances face aux critiques des non-poly envers les poly. Je ne supporte plus non plus les critiques faites par les polyamoureux à mon égard.

Les monos ne savent pas aimer. Ce sont forcément des gens qui n’ont pas guéris de leurs blessures d’enfance et qui ont besoin de “posséder” leur amoureuses.eux pour se sentir en sécurité.

Les monos n’arrivent pas à s’engager. Ils passent d’une relation à une autre. Il y a même une expression pour ça : “les monos en série”.

Pire encore, la communauté Instagram des polyamoureux parle de la monogamie comme toxique, supposant leur modèle comme plus “sain”.

Les critiques m’agaçent et à ce stade, je ne comprends plus. J’aimais le principe du polyamour pour son décloisonnement vis à vis d‘une pensée unique et ses valeurs de bienveillance/tolérance.

En plus de me retrouver avec un second cloisonnement, je suis sidérée par ce manque de bienveillance que beaucoup clament. Et puis…. les étiquettes me fatiguent… Je ne me sens ni polyamoureuse ni monoamoureuse.

Dans cette communauté polyamoureuse, on m’a soufflé que c’était à moi de m’adapter dans cette relation et que ma façon d’aimer était inadaptée (en plus des critiques citées plus haut). Bonjour la bienveillance.

Les polyamoureux conquis ont souvent un argumentaire tout prêt : la recherche de l’amour inconditionnel, la multiplication de l’amour comme celui qu’on donne à plusieurs enfants. Ce ne sont pas ces éléments qui m’ont fait apprécier cette philosophie au départ et je les trouve personnellement standardisés, inadaptés la plupart du temps dans la réalité de chacun.

C’est OK d’aimer comme on le souhaite pour soi. C’est aussi OK de ne pas vouloir d’une relation (quelle qu’elle soit) car elle ne correspond pas tout à fait à nos aspirations profondes. Est ce que cela veut dire pour autant que les valeurs de liberté, d’autonomie, de partage ne sont pas les miennes ? Non, elles sont simplement mises à un autre endroit dans ma vie.

Quelle est finalement la grande différence dans la réalité entre “monoamoureux” et “polyamoureux” (berk berk ces étiquettes) ? C’est le choix de se mettre en couple en divisant son temps de disponibilité dans sa vie sentimentale, sur les plan émotionnels et sexuels. Rien de plus. Dans les grandes lignes, c’est du partage de temps.

D’ailleurs, les poly ont inventé un mot dans leur jargon pour caractériser le manque de temps dans leur agenda amoureux : la “poly-saturation”.

Pour ma part, je ne veux pas m’éparpiller dans mes relations. J’aime au contraire les histoires d’amour où je me sens très concentrée dans ma vie amoureuse. C’est une valeur que j’apprécie chez moi. Si c’est également le cas pour toi, c’est OK.

Partager son énergie à 90% pour Paul-Emile et 10% pour Pierre-Jacques ou 60% et 40%, peu importe, ce n’est pas mon truc. Quand ma relation se passe bien, je suis entière et je me sens comblée. Nul besoin ou envie de m’ouvrir à d’autres partenaires.
CQFD : je n‘insinue pas que les poly ne sont pas comblés. Je parle ici de mon cas personnel.

Puisqu’avoir plusieurs amoureux n’est pas mon truc, alors je peux affirmer que je veux juste être avec quelqu’un avec qui cela est réciproque.

J’ai cette forte croyance que l’on peut sûrement aimer beaucoup de monde, mais on ne peut se mettre en couple avec n’importe qui.

L’amour, être amoureux, le désir, l’attachement, se mettre en relation… sont cinq choses différentes. Si le sujet t’interpelle, je te recommande fortement les vidéos de Gaëlle Lasne sur sa chaîne Youtube “Viens on sème”. Elle explique ces notions très très bien. ⬇⬇

Et quand bien même, la relation devient plus routinière, et même si l’amour est toujours là mais que nous évoluons dans des directions différentes, se séparer est également une expérience qui peut être saine ou même nécessaire quand on s’écoute.

L’après polyamour

Revenons à mon histoire personnelle. C’est avec cette analyse et crises après crises que nous avons abordé l’avenir. J’étais beaucoup trop radicale pour lui et nous n’étions pas heureux dans cette configuration. Moi j’étais en sur-adaptation, mes émotions et angoisses pétaient dans tous les sens.

J’ai attendu en tassant ce que je ressentais au plus profond de moi, à mettre le couvercle tant bien que mal (spoiler : c’est nul et ça ne marche pas) jusqu’à ce que j’implose... Et j’ai finis par le tromper.

C’était la preuve ultime que tout mon être n’était pas aligné, que j’avais beau essayé de calmer mes idées noires, de ne pas paraître trop chiante. Bah non, ça ne pouvait plus continuer.

Quand nous sommes deux individus avec des convictions aussi fortes, clivantes et avec tellement de rancœur, il n’y a pas 36 choix possibles. De mon côté, j’avais choisis : j’arrêtais la relation polyamoureuse. Ou plutôt “poly-acceptante” car c’est ce qu’il me demandait, d’accepter cette configuration. À lui de voir ce qu’il souhaitait faire. Accepter une rupture définitive ou trouver un compromis s’il avait envie de rester avec moi.

Les conversations étaient longues, beaucoup de larmes ont été versées de part et d’autre. Et c’est après 2 semaines de vacances ensemble, qu’on a décidé de maintenir, qu’il a pu lui aussi se positionner. Il a choisi notre relation au dépend de ses convictions, au dépend de sa configuration familiale. Un acte d’amour très lourd de sens.

À l’heure où je vous écris ces lignes, nous ne sommes plus : l’été est fini, la routine familiale s’est enclenchée et il est en train de terminer ses travaux dans son petit studio.

Nouvelles peurs et frustrations

Pourtant, nous n’avons pas encore trouvé notre équilibre. L’incompatibilité et l’incompréhension ont laissé place à la peur et à la culpabilité.

Tourner le dos à ses convictions n’a pas été anodin pour lui. Il avait l’impression de régresser en redevenant “monoamoureux”. Et il n’a pas non plus été aidé : beaucoup de ses amis — polyamoureux pour la plupart, n’ont pas été très bienveillants vis à vis de son choix. Ils ne comprenaient pas et l’ont jugé. Il a donc eu du mal à assumer publiquement sa décision.

De mon côté, je suis inquiète et sous pression. Ne va-t-il pas regretter son polyamour ? Certains me disent que le problème va se reposer plus tard. Ce n’est que reculer pour mieux sauter. Aïe, une épée de Damoclès supplémentaire.

Pour autant, et malgré mon expérience traumatique, je suis consciente de ma responsabilité et des actes de violences psychologiques commises.

Je sais aussi qu’une relation comprend la responsabilité à 100% de chacun des protagonistes. Je travaille également pour ne pas prendre une culpabilité qui ne m’appartient pas.

Cette expérience nous a beaucoup interrogés sur nos besoins individuels et fondamentaux. Je suis heureuse que cela ait pu ouvrir la voie sur une ouverture vers chacun même dans un contexte d’exclusivité. À mon sens, ce n’est pas incompatible, au contraire ! Mais ça c’est ma croyance personnelle ;)

J’ai été très touchée par des messages qu’on m’a envoyés, suite à cet article que j’ai pris soin d’éditer quelques années après. Des personnes chez qui mon parcours a interpellé et qui se sont retrouvées dans une situation quasi-similaire. Des personnes très souvent en détresse, peu comprises et qui ne se retrouvent pas plus dans Cosmopolitan & Co vantant les mérites fantasmagoriques du polyamour.

Je travaille encore sur mon orgueil vis à vis des membres de la communauté polyamoureuses, c’est un parcours long de libération de la parole, de libération émotionnelle et d’acceptation. Et qui requiert encore du temps, je le sais.

Et pitié !!!!!! Arrêtons avec ces étiquettes de m*rde.

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