Les limites du parrainage privé
Précédemment dans La ruée vers l’autre…
(parce que c’est important)
Vidéo : Le Programme de Parrainage Privé des Réfugiés, qu’est-ce que c’est ?
Ligne du temps : Canada, la longue histoire d’une terre d’accueil
Le Parrainage Privé, un système qui inspire
L’idée du parrainage est de mobiliser des groupes privés pour parrainer des réfugiés. Parrainer ça signifie aider les réfugiés financièrement et dans leur intégration une fois que ceux-ci arrivent au Canada. Il y a un an, le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés invitait les pays du monde entier à s’inspirer du modèle canadien. Selon lui : “l’implication des citoyens eux-mêmes contribue à accroître le sentiment de solidarité au sein même de la terre d’accueil”. L’idée du Programme de Parrainage Privé des Réfugiés (PPPR) d’allier initiative privée et prise en charge par l’État a des airs de solution miracle. Pourtant, en y regardant de plus près, le PPPR montre des limites dont on ne peut faire abstraction.
Des ratés pour le parrainage privé
Des critères de sélection clairs mais un bureau des visas flou
Pour obtenir le titre de réfugié parrainé, un ressortissant étranger doit répondre aux critères de l’ONU sur les réfugiés.
En somme, un demandeur d’asile qui peut prétendre au statut de réfugié parrainé est une personne qui :
- se trouve hors de son pays d’origine ou de résidence habituelle
- refuse d’y retourner parce qu’elle craint avec raison d’y être persécutée (du fait de sa race ; sa religion ; ses opinions politiques ; sa nationalité ; son appartenance à un groupe social particulier, par exemple en raison de son orientation sexuelle ou parce qu’elle est une femme)
- ne peut envisager ni de retourner de façon sécuritaire dans son pays d’origine, ni de rester de façon permanente dans le pays d’asile où elle se trouve, ni avoir une offre de réinstallation d’un autre pays
- est visée par un parrainage collectif
Vient alors l’étape du visa. C’est à ce moment là que la partialité entre en jeu. Pour obtenir leur visa et l’accord du Québec, les demandeurs d’asile doivent montrer qu’ils pourraient potentiellement devenir auto-suffisants et s’établir avec succès au Canada dans une période de trois à cinq ans.
Des facteurs tels que l’éducation, la présence d’un réseau de soutien (famille ou sponsor) au Canada, l’expérience et les qualifications professionnelles, l’aptitude à apprendre ou parler l’anglais ou le français ainsi que d’autres tels que la débrouillardise sont pris en compte. *
*Notons toutefois que ces critères ne sont pas d’application pour les réfugiés qui entrent dans la catégorie « besoin urgent de protection » ou « vulnérable » (ex : les réfugiés syriens).
C’est ici que se pose la question de la discrimination. En effet, si on se concentre sur les critères d’obtention du visa (nécessaire pour déménager au Canada), on remarque qu’ils sont subjectifs.
Ne prenons que trois d’entre eux :
- L’éducation : mais qu’est ce que c’est qu’ “être éduqué” ? De Durkheim à Dufour en passant par le Gouvernement du Québec, nul ne semble s’accorder sur une définition…Mais alors comment juger de l’éducation d’une personne ?
Allons plus loin et mettons de côté le manque de clarté du terme : nombreux sont les réfugiés qui, faute de moyen ou de sécurité, n’ont jamais pu aller à l’école pour s’éduquer… L’attribution du visa se fait donc sur base de critères sur lesquels certains demandeurs d’asile n’ont aucun pouvoir. - L’aptitude à apprendre ou à parler l’anglais ou le français : pour évaluer la capacité de quelqu’un à parler une langue, il existe une échelle de niveaux standardisés. Cependant, en ce qui concerne l’aptitude à apprendre une langue, le flou règne. En général, elle est mesurée par le quotient intellectuel (QI). Du coup, on présume que le bureau des visas canadien a mis au point un test de QI spécifique (parce qu’aucune info n’est disponible sur la manière dont ces critères sont vérifiés). Mais le problème, c’est qu’un demandeur d’asile se trouve en général dans une situation précaire… Ou au moins de stress et de difficulté, parfois sévère. De ce fait, face au test il est probable qu’il ne soit pas en état de démontrer toutes ses capacités. Il ne faut non plus perdre de vue que la pertinence du QI est toujours questionnée et continue de faire polémique. Qu’on considère le QI verbal, le QI non verbal ou d’autres indicateurs, la validité de ces critères n’a toujours pas été attestée.
De plus, ces cinq dernières années, pour répondre à des coupes budgétaires dans le domaine de l’immigration, le gouvernement a utilisé ce critère pour réduire le nombre de demandes d’asile (entre 2012 et 2013 le Canada a reçu deux fois moins de demandes). En effet, en augmentant la difficulté des tests, mais aussi en élevant le coût de l’application au statut de résident réfugié et en construisant plus de centres de détention pour les nouveaux arrivants, le gouvernement a compliqué l’entrée de réfugiés dans le pays.
- La débrouillardise : désigne l’aptitude à se débrouiller. Se débrouiller est synonyme de se tirer d’affaire par ses propres moyens et ce n’est donc pas un concept concret et facilement vérifiable. Mais survivre à la situation qu’ils affrontent là-bas, ne serait-ce pas de la débrouillardise pure et dure ? Telle est la question.
Des parrains qui préfèrent les catholiques
Au Québec, on peut observer que les groupes de parrainage sont majoritairement catholiques. Et ça pose un sérieux problème de discrimination. Parce que lorsqu’on confie au citoyen la sélection de son futur filleul, le contrôle qu’il est possible de faire sur ce choix est faible voire inexistant. L’arbitraire l’emporte et donc ça explique, par exemple, que la plupart des réfugiés syriens parrainés au Québec sont de confession chrétienne plutôt que musulmane.
On peut même aller plus loin : sur les dix organismes à but non lucratif qui parrainent des syriens au Québec (principalement localisés à Montréal), il s’agit majoritairement d’églises ou d’institutions aux valeurs chrétiennes. En effet, l’Association éducative transculturelle de Sherbrooke est la seule organisation (hors mosquée) qui se revendique d’obédience musulmane. Et c’est un risque qu’elle prend. Car les associations qui revendiquent qu’elles cherchent à parrainer des réfugiés musulmans, sont parfois victimes d’actes xénophobes. C’est le cas de la mosquée Dorval.
Arrive alors le risque de prosélytisme
Le prosélytisme consiste à essayer de faire adopter sa religion à des personnes d’obédience différente en leur faisant des promesses et des offres pas toujours très honnêtes.
Au Canada, il a été rendu public qu’un groupe d’églises évangéliques ont référé aux réfugiés qu’elles parrainaient, des sites internet dont l’objectif est de convertir des musulmans aux christianisme. Donc certaines églises profiteraient de la vulnérabilité des réfugiés qu’elles parrainent pour les faire changer de confession…
Problèmes de francisation et risque de communautarisation
A cause de délais trop importants pour que les réfugiés puissent s’inscrire, il y a des personnes qui, au bout de trois ou quatre mois de vie au Canada, n’ont toujours pas accès aux écoles de francisation. L’intégration est alors ralentie et, étant privés des allocations destinées à quiconque est inscrit aux programmes de francisation, certains réfugiés sont plongés dans des situations économiques très précaires. Et ce n’est pas la seule conséquence.
Faute de savoir s’exprimer correctement en français et parce qu’il est difficile de trouver des interprètes (pour les visites médicales par exemple), plusieurs réfugiés ont évoqué les problèmes grandissants de santé ou pour comprendre les documents qu’on leur envoie.
Pour ces raisons, plusieurs familles de réfugiés syriens (au moins 10 %) ont décidé de quitter le Québec pour le Canada anglophone (souvent Ottawa). Lorsqu’ils déménagent ainsi, les réfugiés ne partent pas dans l’inconnu. Ils rejoignent souvent des membres de leur famille ou des amis et se regroupent dans les mêmes quartiers pour pouvoir mutuellement s’apporter écoute et soutien. Se pose alors le problème de communautarisation.
A Ottawa par exemple, Trevella Park ou « Little Syria » accueille près de 400 réfugiés syriens. Une sorte de quartier/banlieue au sein de laquelle les réfugiés se complaisent et vivent loin de la culture canadienne.
Des parrains rémunérés par les réfugiés
Le 21 avril dernier, La Presse révélait que « selon une étude du Gouvernement, une poignée de réfugiés syriens auraient payé leurs parrains pour venir au Canada ». Annonce qui pose la question du sens même du PPPR. Evidemment ce n’est pas la majorité des réfugiés qui ont agi de la sorte… Comment est-ce possible que des parrains acceptent ce genre de rémunération ? Cela signifie que les motivations de ces derniers ne sont clairement pas les bonnes. Du coup, dans quelle mesure vont ils réellement veiller à la bonne intégration de leur(s) filleul(s) ?
Tant de pistes de réflexion et de questions qui nous guident dans notre recherche. A très vite !