Blockchain : que cache cette révolution annoncée ?
Cap Digital réunissait il y a quelques jours des experts et fondateurs d’entreprises utilisant la blockchain, dans le cadre d’un échange avec un acteur du secteur de la mobilité. L’équipe en a profité pour les questionner sur les cas d’usage actuels de la blockchain et sur le futur de cette techno qui fait tant parler d’elle.
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Antoine Yeretzian — Blockchain Partner
Pour le co-fondateur de Blockchain Partner, Antoine Yeretzian, on ne peut pas vraiment décorréler blockchain et crypto-monnaies, ne serait-ce que pour financer le développement de nouvelles applications de la blockchain, de nouvelles formes de smart contracts, etc…
Cap Digital : Vous vous présentez comme les “leaders français de la transformation blockchain”, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
Antoine Yeretzian : Notre objectif est d’accompagner les entreprises qui veulent entrer dans le monde de la blockchain. Car c’est une certitude, les protocoles décentralisés vont succéder rapidement à TCP/IP pour le développement applicatifs. Il faut désormais penser la transition à entreprendre la plus intelligente possible, tant techniquement qu’humainement. Il faut former les entreprises sur ce que ces protocoles changeront dans l’économie des plateformes.
C.D. : Quel impact la blockchain peut-elle avoir sur l’organisation et les process de grandes organisations ?
A.Y. : L’exemple le plus représentatif de la transformation par la blockchain est le milieu de la banque. Dans un fonctionnement centralisé, le tiers de confiance réunit les informations et porte la responsabilité de les vérifier, il est garant de leur validité et en paie les coûts financiers. En passant à un système totalement décentralisé, on éclate ces responsabilités. C’est le premier pas vers un système protocolaire fondé sur la blockchain : chacun des acteurs impliqués devient responsable des informations transmises, le tiers de confiance devient quant à lui un garant pour chaque rôle. Sa fonction évolue et se rapproche de celle d’un animateur d’écosystème.
La grande question pour l’avenir de la blockchain réside dans la gouvernance.
C.D. : quels défis vous préparez-vous à relever pour réussir à accompagner vos clients dans leur transformation par la blockchain ?
A.Y. : La grande question pour l’avenir de la blockchain réside dans la gouvernance. Sur les projets actuels, il existe bien sûr encore des verrous technologiques, que l’on lèvera relativement rapidement. Mais le questionnement autour de l’humain et de la politique à appliquer à la blockchain sera plus complexe et plus lent à se mettre en place. Ce sera aussi le plus intéressant ! C’est là que Blockchain Partner trouve sa mission : préparer humainement et technologiquement les entreprises à ces paradigmes. On ne peut pas s’impliquer dans l’écosystème de la blockchain sans la connaitre et en comprendre les enjeux.
Jean-Michel Pailhon — Ledger
Pour Jean-Michel Pailhon, VP Corporate & Development Strategy chez Ledger, la blockchain est encore “une technologie en recherche de problèmes à résoudre”.
Cap Digital : Réputée inviolable, la blockchain fait pourtant face à des enjeux de sécurité, comment est-ce possible ?
Jean-Michel Pailhon : En s’attaquant aux enjeux de sécurisation des systèmes, la blockchain a trouvé sa légitimité. Dans les implémentations de la blockchain, la fragilité réside non pas dans le réseau de nœuds lui-même, mais dans l’accès aux nœuds, aux points d’entrée et de sortie, c’est-à-dire aux moments et aux situations dans lesquels les individus entrent des informations, ou les récupèrent. Pour répondre à cette problématique, Ledger développe une solution qui permet de vérifier les informations entrantes et sortantes de la blockchain. Il s’agit d’une clé numérique sécurisée (nano S, un wallet hardware compatible avec plusieurs crypto-monnaies), qui permet d’utiliser ses données, sans les divulguer. Une pratique qui reviendrait métaphoriquement à utiliser quelque chose qui est en sécurité dans un coffre-fort, sans avoir à l’ouvrir. Le caractère distinctif de cette technologie est donc un OS propriétaire sécurisé, qui peut être implanté sur plusieurs hardwares sécurisés.
Nous n’avons pas encore mesuré la profondeur des effets de la technologie blockchain dans tous les domaines.
C.D. : Comment répondez-vous aux enjeux de gouvernance de vos clients grands comptes ?
J-M. P. : La technologie développée par Ledger a suscité des demandes de la part d’industriels, pour réaliser une solution dédiée : un système de gouvernance digitalisé. Aujourd’hui si une clé est détenue par une seule personne, il n’y a qu’un seul décisionnaire pour valider la transaction à réaliser sur la blockchain. La gouvernance digitalisée proposée par Ledger intègre plusieurs clés (donc plusieurs décisionnaires) dans la validation d’une transaction. Une chaîne de validation en somme, modulable, qui permet de transmettre la demande au serveur, lequel envoie la demande de validation au bon nombre de personnes impliquées.
C.D. : Quels autres cas d’usage anticipez-vous pour cette nouvelle “gouvernance digitalisée” ?
J-M. P. : Ledger projette également d’appliquer sa technologie dans le domaine de la supply chain. Dans ce cas, il s’agit du même fonctionnement, avec une utilisation différente, de l’assurance des transactions, qui peut s’avérer particulièrement pratique pour la traçabilité des processus. Il est même envisageable d’imaginer une application dans des environnements de Smart City, avec l’exemple de voitures qui pourraient, imaginons, se connecter via des clés numériques sécurisées à des points de contacts de vérification, pour prévenir les potentielles cyberattaques.
Finalement, nous n’avons pas encore mesuré la profondeur des effets de la technologie blockchain dans tous les domaines. Les entreprises et institutions commencent seulement à être en mesure de prendre part à l’évolution des modèles internes vers la blockchain.
Laurent Lafaye — Dawex
Laurent Lafaye, co-fondateur de Dawex, propose aux entreprises une place de marché d’achat / vente de données sécurisée via la blockchain. La clé du système : les smart contracts, ces programmes accessibles et vérifiables par toutes les parties prenantes.
Cap Digital : Vous utilisez la blockchain pour garantir intégrité et authenticité des transactions à vos clients, concrètement, comment cela fonctionne ?
Laurent Lafaye : Dawex se positionne comme un tiers de confiance, en étant l’assureur de la sécurité de la transaction sur le système de blockchain. Les smart contracts ont pour fonction de protéger l’intégrité des contrats de licence entre les vendeurs et acheteurs sur la place de marché. Les utilisateurs sont donc face à un système infalsifiable, sur lequel les échanges se font en toute confidentialité. L’objectif de Dawex : une double assurance, d’abord grâce à la transparence de la blockchain, puis grâce à l’utilisation de smart contracts, qui assurent automatiquement l’application de règles prédéfinies.
On préfère un tiers de confiance qui soit neutre à une grande société privée qui aurait des intérêts économiques à préserver dans les transactions.
C.D. : En quoi est-ce plus intéressant pour vos clients d’avoir recours à la blockchain plutôt qu’aux acteurs traditionnels sur ces enjeux de confiance ?
L.L : Les places de marché qui utilisent la blockchain suivent évidemment de très près les évolutions technologiques : l’objectif est de s’assurer de la meilleure utilisation des dispositifs développés pour en tirer le meilleur profit (diminuer les coûts, accélérer les processus). De manière générale, on préfère un tiers de confiance qui soit neutre à une grande société privée qui aurait des intérêts économiques à préserver dans les transactions. Le fait d’utiliser un système décentralisé appuyé sur la blockchain rend les transactions indépendantes et plus sécurisées et assure une confiance accrue dans le système.
Dawex fonctionne en fait par l’apposition d’une signature numérique dans la blockchain : une activité très concrète, assez éloignée des débats actuels et des polémiques autour du concept. Il est simplement question ici de donner accès la blockchain, comme vecteur de confiance, pour réaliser des transactions.
Max-Pol Le Brun — Morpheo
Max-Pol Le Brun, ingénieur-chercheur à Polytechnique, nous parle du projet Morpheo, une plateforme open-source destinée à améliorer les diagnostics médicaux automatiques et prédictifs, grâce au machine learning.
Cap Digital : Si vous deviez pitcher le projet Morpheo en une minute, ça donnerait …?
Max-Pol Le Brun : Morpheo propose aux cliniciens et aux médecins du sommeil un outil d’apprentissage qui détecte automatiquement les pathologies liées au sommeil. Cette plateforme est développée par un consortium qui réunit l’université Paris-Descartes, l’Hôpital Hôtel Dieu, l’école Polytechnique et la start-up Rythm et est née suite à un appel à projet R&D labellisée par Cap Digital (PIA — Plan d’investissement d’avenir). Elle permet de garantir la propriété et la confidentialité, la transparence de l’apprentissage et la traçabilité des données, ainsi qu’une juste rétribution des données et des modèles. Une collaboration profitable pour tous : les données fournies par l’Hôtel Dieu sont anonymisées et traitées par les professionnels (Rythm) qui ont besoin de « nourrir » leurs algorithmes et les universitaires en profitent pour améliorer leur expertise sur des pathologies.
C.D. : Qu’est-ce que la blockchain apporte à cette plateforme ?
M-P.L.B. : La blockchain permet de mettre en commun ces données, de façon complètement sécurisée. La plateforme utilise le smart contract, qui applique des conditions prédéfinies à chaque transaction. Ce smart contract permet également de rétribuer équitablement chacun des acteurs qui a contribué à l’élaboration du projet : les fournisseurs de données, les acteurs du développement de l’algorithme. Ce système incite les chercheurs à se lancer dans ce type de projet, qui promet une juste reconnaissance de leurs travaux.
La blockchain permet de tracer — sur un parcours infalsifiable — le trajet des médicaments et de remonter si besoin toute la chaîne de leur production.
C.D. : En quoi la blockchain peut être utile pour les projets utilisant des données de santé, par essence, particulièrement sensibles ?
M-P.L.B. : Aujourd’hui, il y a énormément de données de santé produites par nombre d’entités (hôpitaux, cliniques, laboratoires, industries pharmaceutiques etc.), notamment dans la production de médicaments. La blockchain permet de tracer - sur un parcours infalsifiable - le trajet des médicaments et de remonter si besoin toute la chaîne de leur production : de la recherche à la distribution. Elle permet aussi la transparence des essais cliniques, qui sont obligatoires et particulièrement onéreux. Le fait d’apporter une certaine transparence dans cette économie, peut avoir un impact positif sur l’obtention de financements et la confiance des acteurs.
Finalement, la blockchain appliquée ici a également un rôle positif pour avancer dans le sens de l’interopérabilité entre les acteurs de la santé, du milieu médical. C’est l’un des problèmes phares du secteur, qui peine à faire sa transformation numérique. Actuellement, il y a des systèmes informatiques différents, parfois même au sein d’un seul hôpital. Tout est compliqué pour transmettre des informations d’un acteur à l’autre. La blockchain ne résout pas ce problème puisqu’elle ne permet pas de stocker les données, mais elle va dans le bon sens ! Il faut voir son évolution dans les 5 à 10 ans ; le nombre d’outils de machine learning et Big Data va s’accentuer et donner accès à plus de valorisation de données et la confidentialité des échanges.