Coup d’oeil sur la situation économique des festivals

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8 min readSep 27, 2018

— Cet article fait partie du dossier de veille sur l’innovation dans le milieu des Festivals. Retrouvez l’édito et les autres interviews ici.

Pour comprendre le point de vue de ceux qui innovent au service des festivals, il faut remettre les initiatives dans le contexte actuel : en France, on compte environ 2 500 festivals, dont 1 800 de musiques actuelles. Ces événements sont en pleine transformation, c’est l’occasion, dans ce dossier, de faire le point sur leur modèle économique et les nouveaux acteurs du milieu.

Etat de l’économie actuelle des festivals

Avant toute chose, il faut noter qu’en France, les festivals sont majoritairement créés et organisés par de petites structures (des associations ou des collectivités principalement). Financièrement, ces événements reposent donc sur une aide de l’Etat et/ou des collectivités en question. Les subventions sont un moyen majeur pour la survie des festivals, comme l’explique le directeur de Marsatac (festival de musique électronique à Marseille) dans une interview pour La Tribune.

© Ministère de la Culture | Panorama des festivals, carte interactive destinée à identifier et recenser tous les festivals, dont le nombre est estimé entre 8 et 10.000. Le site en identifie environ 2.000, avec pour ambition de parvenir à 3–4.000 d’ici quelques mois

Ces dernières années pourtant, on observe un système économique des festivals en pleine mutation, avec l’arrivée sur le marché européen de grands groupes internationaux dont la place est toujours plus conséquente dans l’offre d’événements, notamment pendant la période estivale. Parmi eux, on compte le plus grand groupe du secteur : Live Nation, environ 30 000 concerts par an à son actif, leader de la billetterie. Après quelques rachats de festivals comme le Main Square Festival d’Arras, le groupe a importé quelques événements majeurs comme le Lollapalooza. Ce type d’événements comprend généralement plusieurs têtes d’affiche : des artistes dont les cachets augmentent considérablement. Si les plus grands groupes peuvent payer plus cher les plus grands artistes, les festivals français déjà conséquents ont, eux, beaucoup plus de difficultés.

Ces dernières années pourtant, on observe un système économique des festivals en pleine mutation, avec l’arrivée sur le marché européen de grands groupes internationaux

Pour ce qui concerne les festivals de taille moyenne, voire petits festivals, ces artistes sont totalement hors d’atteinte, et les cachets sont relativement stables. C’est une tendance qui concerne les producteurs de festivals de grande envergure.

L’argent, nerf de la guerre

Dernier critère qui alourdit la charge financière des festivals : les frais de sécurité. Toujours plus conséquents, ils sont très inégaux selon les festivals, étant donné que la variation se fait en fonction de la capacité, de la localisation, du type de public… En exprimant le souhait que chaque festival gère lui-même les coûts de la mobilisation d’effectifs pour garantir la sécurité des festivaliers, le Ministère de l’Intérieur instaurerait une inégalité non négligeable entre les territoires et collectivités qui participent financièrement à la manifestation.

Si les recettes des festivals proviennent de la vente de billets, des recettes sur place ou encore de différents sponsors, les producteurs restent toujours dépendants des subventions publiques. Les stratégies d’acquisitions actuelles par des multinationales et sponsoring sont souvent des tactiques d’anticipation, de la part des des producteurs, des potentielles baisses de subventions publiques. Une mission ministérielle devrait d’ailleurs être mise en place pour étudier et autoriser ou non les rachats des festivals par les grands groupes, à l’exemple de Live Nation ou AEG.

Si les recettes des festivals proviennent de la vente de billets, des recettes sur place ou encore de différents sponsors, les producteurs restent toujours dépendants des subventions publiques.

D’autre part, l’industrialisation est mal appréhendée par les élus locaux qui n’ont pas adapté leurs aides : 600 000 € de subvention sont versés à chaque édition de Rock en Seine qui appartient désormais à Mathieu Pigasse (à la tête des Nouvelles Editions Indépendantes) et la multinationale AEG. Le festival a été développé par des subventions, en a-t-il toujours besoin actuellement ?

Quelle place et quel rôle pour les institutions ?

De manière générale, les institutions, engagées dans le développement de l’attractivité du territoire, se tournent naturellement vers les manifestations comme les festivals, qui peuvent amener de l’activité dans des endroits du territoire habituellement peu occupés. C’est d’ailleurs ce que nous explique Nathan Sarfati : les parcs et jardins départementaux ont tout intérêt à aider au développement de telles initiatives.

Pour mieux comprendre les mutations de ces événements, la Ministre de la Culture Françoise Nyssen a nommé en début d’année Serge Kancel comme référent permanent et transversal pour les festivals. Son rôle : définir le terme festival et identifier les axes d’actions à développer sur le long terme. C’est à la fin de cet été que sa première synthèse a été publiée. Deux résultats à prendre en compte :

En effet, si on remarque que les grands groupes ont tendance à se tourner vers les manifestations européennes, et notamment françaises, c’est parce que les producteurs de festivals sont ouverts à l’intégration d’un nouveau modèle. La compétition est toujours plus active entre les différents festivals. La France ayant une activité forte, face aux subventions toujours plus réduites, il s’agit d’anticiper le manque de budget en trouvant de nouveaux moyens de financement (via des sponsors, des partenariats avec d’autres entités). Cependant, les festivals sont de manière générale très peu rentables (voire perdent de l’argent), alors pourquoi un tel engouement de la part de telles multinationales ? Pour Angelo Gopee, directeur général de Live nation France, il s’agit de réfléchir à plus grande échelle : les artistes développés par l’entreprise tentaculaire ont besoin de se produire ; les festivals et producteurs ont besoin de collaborer, grâce à de potentiels Etats Généraux de la culture.

Entre grands groupes et modèle traditionnel, les festivals français sont en pleine mutation économique. Mais ce n’est pas le seul sujet qui nous occupe aujourd’hui pour comprendre comment ces nouveautés impactent la proposition faite aux festivaliers, qui tend à l’homogénéisation.

Un risque de standardisation

Au milieu de ces nouveaux ajustements, les programmations des festivals ne tendraient-elles pas à se ressembler ?

Si l’on prend en compte le fait que les grands groupes sont également producteurs des artistes programmés aux festivals, la diversité de programmation en est évidemment réduite. D’autant plus que les partenariats avec d’autres festivals amènent également à la programmation de ces artistes. En plus d’un manque de diversité de proposition au public, la dépendance de l’artiste lui-même à l’entité, de la production au live, est plus poussée. La programmation d’artistes de grande envergure pour assurer un nombre minimal de places aurait pour effet d’uniformiser les affiches de festival.

Pour les programmateurs eux-mêmes, la question se pose : doivent-ils programmer de grands noms pour garantir la vente des entrées ou appliquer une politique de découverte ? Pourtant, la découverte est une valeur intrinsèque à l’expérience du festival. En entrant dans une logique de rentabilité, l’utilisation d’outils pour savoir quels artistes sont le plus susceptibles d’attirer du public (grâce à de la veille ciblée, l’utilisation de data d’une année à l’autre…), les festivals de moyenne et grande envergure doivent trouver un juste milieu.

Données recueillies par le Parisien, S. Mermilliod & V. Alexandre

Cette homogénéisation est d’ores et déjà visible. Le Parisien a relevé le nombre d’artistes apparaissant plusieurs fois sur les affiches des festivals, posant la question très factuelle de la diversité de programmation. L’évolution est flagrante : la concentration autour de quelques têtes d’affiches est toujours plus importante.

L’expérience du festival ne se résume pas à la seule programmation, mais également à de nombreuses activités annexes, le sentiment d’appartenance à une communauté… Pour Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS et membre du CEPEL, les festivals pourraient être considérés comme une matérialisation de la politique culturelle. Il faut donc penser l’événementialisation de ce type de politique et la relation à entretenir avec les géants industriels qui s’intègrent sur le marché.

Après la prise de conscience, l’action

Cette prise de conscience a donné lieu à quelques initiatives de la part de producteurs de festivals. En France, plusieurs événements permettent aux professionnels d’échanger. On compte notamment le MaMA, le MIDEMLe C/O cherche à reproduire ce modèle pour valoriser la scène musicale locale et mettre en avant les artistes émergents de toutes nationalités. Autre exemple marquant : Garocamp, le rendez-vous professionnel créé par le festival Garorock. Il existe une multitude d’événements destinés aux professionnels de la musique, proposant des ateliers, conférences et concerts, dans l’objectif de mutualiser les efforts de chacun.

Nos équipes étant régulièrement à ces événements, nous avons eu tout le loisir d’observer les différents sujets abordés et les préoccupations premières. C’est le festivalier qui est au cœur des discussions, la promesse d’une expérience unique, au-delà de la programmation. L’objectif est de rayonner via sa communauté.

L’importance de créer du lien avec sa communauté

Il est évident que pour les festivals, se différencier les uns des autres est primordial. La programmation joue certes un rôle, mais à la vue de quelques études, force est de constater que les goûts musicaux des publics des festivals ne sont pas segmentés, et ne se concentrent pas sur un genre musical unique. D’autant plus que les publics des festivals se renouvellent lors de chaque édition, les communautés sont différentes d’une année à l’autre. C’est environ 40% de nouveau public chaque année en moyenne pour les grands festivals. La programmation n’est visiblement pas le seul critère d’achat d’un pass pour un festival !

En plus des artistes présents, c’est la qualité du temps sur place qui prime chez le public. Les producteurs sont dans une phase de transformation numérique ; les nouvelles technologies, l’innovation sont parties prenantes de l’expérience du festivalier, nouveau cœur de la bataille pour acquérir et conserver le public. Par exemple, première étape, certains festivals travaillent à améliorer leur connexion WiFi. Les festivals, dont la promesse est d’offrir un moment hors du temps et du quotidien des festivaliers, se connectent de plus en plus et nécessitent une stratégie toujours plus parfaite pour améliorer la compréhension de leur public, comme nous l’explique Marc Gonnet, et pour permettre l’échange, la fluidité entre individus. Le festival connecté devient un point majeur de la différenciation entre événements, bien souvent organisés à la même période.

A la vue de ce rapide état des lieux, un constat s’impose : les festivals doivent anticiper les changements financiers, assurer une sécurité économique pour garantir les prochaines éditions. Pour ce faire, c’est la promesse d’une expérience unique qui fait la différence. L’innovation est en pole position pour répondre à ces besoins, en proposant de nouveaux moyens pour comprendre le public et en définir des actions à mener. C’est ce que nous exposent tous nos intervenants dans ce dossier.

Dossier de veille Festival

— Cet article fait partie du dossier de veille sur l’innovation dans le milieu des Festivals. Retrouvez l’édito et les autres interviews ici.

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