Loopsider — « Nous tablons sur le lancement d’un troisième média d’ici l’été »

Cap Digital
Cap Digital
Published in
12 min readJan 28, 2021

Loopsider, le média 100% vidéo et social média indépendant, engrange les succès d’audience et d’engagement en réussissant le tour de force d’être à l’équilibre financier. Data-driven journalism, brand content, nouveaux récits de l’actualité, médias conversationnels, lancement d’un nouveau média en 2021 etc. alors que Loopsider vient de souffler sa troisième bougie, nous avons voulu connaître les clés de son succès et les projets à venir. Entretien avec Giuseppe de Martino, son cofondateur et CEO.

Lancer un nouveau média dans un secteur marqué par la crise depuis plus de 10 ans, c’est une aventure périlleuse. Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer Loopsider ?

Giuseppe de Martino, CEO et cofondateur de Loopsider

Loopsider, c’est avant tout l’histoire de trois cofondateurs qui ont un passé commun dans les médias digitaux : Johan Hufnagel (ancien directeur de la rédaction de Libération et cofondateur de Slate.fr), Arnaud Maillard (ex directeur du numérique de Discovery & Eurosport) et moi-même Giuseppe de Martino (ancien Directeur Général de Dailymotion). Au tournant des années 2010, nous étions, tous les trois, très inspirés par les nouveaux formats éditoriaux vidéos & 100% social média proposés par des acteurs US comme NowThis ou AJ+. A tel point que nous avons initié des partenariats avec ces nouveaux entrants dans nos structures respectives. Et nous avons voulu aller plus loin lancer l’équivalent de ces médias en France. Mais nous nous sommes alors tous heurtés à un même obstacle : l’attachement historique — voire sociologique — de nos rédactions à un certain type d’écriture et de traitement de l’information qui ne nous permettait pas de nous diriger massivement vers la production de ces nouveaux contenus.

La data doit jouer un rôle majeur pour aider les journalistes à mieux identifier, traiter et distribuer ses contenus.

Au-delà de ces réflexions propres à l’écriture et la mise en récit de l’actualité, nous nourrissions également une seconde conviction, à savoir que la data devait jouer un rôle majeur pour aider les journalistes à mieux identifier, traiter et distribuer ses contenus.

Enfin, dans une sphère plus personnelle, nous observions à cette époque nos ados, qui se détournaient nettement des médias traditionnels. En les observant, on s’est rendu compte qu’il fallait aller à leur rencontre sur leurs territoires, les réseaux sociaux, et avec leur grammaire et leur langage pour leur livrer une information de qualité. En bref, nous voulions prouver que la jeune génération n’était pas condamnée à regarder des vidéos de chats et de skateboard ; que l’on pouvait les « tirer vers le haut » avec un traitement de l’actualité adapté aux nouveaux usages social média.

C’est sur ces deux constats et cette ambition que l’aventure Loopsider a vu le jour il y a trois ans maintenant, le 10 janvier 2018.

D’un point de vue économique, nous connaissions particulièrement bien l’impact de la crise sur la santé financière des médias. Notre pari a été dès le départ d’orienter le modèle économique de Loopsider sur le brand content qui présente le double avantage de parer à l’ad blocking, dont l’usage est largement répandu chez les 15–35 ans, sans avoir à nous tourner vers une offre sur abonnement, compliquée à commercialiser pour un média d’inspiration et d’engagement.

Avec 150 millions de vues réalisées chaque mois, vous réussissez à engager une audience jeune que l’on accuse généralement de se désintéresser de l’actualité. Comment expliquez-vous cet écart flagrant entre la perception et la réalité de vos succès d’audience ?

Il faut d’abord bien comprendre qu’à la différence des médias traditionnels, nous n’accordons pas une importance clé à l’audience. Ce que nous suivons de près en revanche, c’est le taux d’engagement ; à savoir, comment nos communautés votent, partagent et commentent nos contenus au point de créer des conversations sociales autour de thématiques clés. Et, sans surprises, nos taux d’engagement sont très bons : jusqu’à 10% pour Period (le média féministe et inclusif que nous avons lancé il y a un peu plus d’un an) et Loopsider sur Instagram, jusqu’à 2% pour Loopsider sur Facebook, à titre de comparaison, le taux d’engagement de la page Facebook de BFM ne doit pas dépasser les 0,1%.

Notre rôle est de créer des histoires fortes et engageantes qui offrent à nos audiences des possibilités d’interagir entre elles et à nos annonceurs, la possibilité de rejoindre ces objets conversationnels.

En ce sens, Loopsider n’est pas un « robinet d’images », notre rôle est de créer des histoires fortes et engageantes qui offrent à nos audiences des possibilités d’interagir entre elles et à nos annonceurs, la possibilité de rejoindre ces objets conversationnels. C’est, je crois, la raison pour laquelle les jeunes (et les moins jeunes) adhèrent à notre offre éditoriale. Une offre qui leur donne toute leur place en tant qu’acteur de l’actualité et de la façon dont elle se traite.

Capture de la page A propos du Site de Loopsider

Que ce soit sur Loopsider ou Period, vous assumez une tonalité engagée, voire militante. Cette écriture journalistique est-elle la clé pour fidéliser et engager vos communautés de lecteurs ?

En créant Loopsider, nous avons eu envie de montrer à nos publics qu’ils sont, à leur échelle, capables de changer le monde autour d’eux. Que nous sommes tous des acteurs du changement. Et c’est vrai que cette notion d’inspiration et d’engagement se traduit par un côté militant, notamment sur des sujets phares comme l’environnement ou les discriminations. En tant que média conversationnel et face à un intérêt et un engagement aussi fort de la part de nos audiences, on estime que notre devoir est de ne pas rester les bras ballants face aux grands défis de notre époque. En ce sens, oui, on assume une certaine forme de militantisme. On sait en tout cas que nous avons cette capacité à créer une forte empathie qui pousse à réagir, et c’est là-dessus que nous capitalisons.

Publication d’une vidéo de Loopsider sur le compte Twitter du média.

Mais attention, Loopsider n’a aucune envie de se positionner sur des sujets très « politiciens » comme les élections par exemple. On préfère laisser ça aux médias traditionnels. Vu la faiblesse des débats politiques actuels, il est difficile de trouver des angles différenciants et l’analyse de la data nous a prouvé qu’il y a une lassitude de la part du public sur ces sujets teintés de clivages politiques assez médiocres. Pour autant, on sait qu’on ne pourra pas faire abstraction d’échéances électorales majeures comme les prochaines élections présidentielles. Pour les couvrir au mieux et en gardant notre tonalité, on s’attachera à apporter de l’air frais aux débats traditionnels en traitant des programmes ou prises de paroles des candidats via des angles inédits et sur des thématiques fortes comme l’accès au travail, l’éducation, la santé ou l’environnement.

Financièrement parlant, vous êtes aujourd’hui l’un des rares médias pureplayer indépendant à l’équilibre. Comment avez-vous réussi ce tour de force en moins de trois ans ?

Là encore, la data joue un rôle central. Son analyse et son traitement nous ont permis de fluidifier, d’optimiser et de minimiser nos coûts de production. Mais la maîtrise de nos coûts passe aussi par une approche que nous avons voulu la plus frugale possible : par exemple, les versions hispanophones et anglophones de Loopsider sont gérées intégralement depuis Paris, nous avons fait le choix de ne pas ouvrir de bureaux à l’étranger pour limiter nos dépenses. Notre choix d’orienter notre business model sur le contenu de marque et de nous concentrer sur un format vidéo et une diffusion 100% social média a également été payant. Aujourd’hui, 27 millions de Français se connectent chaque jour à Facebook et y consomment majoritairement des vidéos. Notre modèle, aussi bien business qu’éditorial, nous a permis de prendre un avantage conséquent par rapport à une large partie de la concurrence ; et ceux, tout en restant indépendants.

Notre approche du brand content ne fonctionne que si le terreau du partenariat avec nos annonceurs est fertile.

Nous avons aujourd’hui 60+ annonceurs qui travaillent avec nous, dont Coca-Cola, Amazon, Veolia, Carrefour, Bpifrance ou Tinder par exemple. Tous nos contenus sont produits main dans la main avec nos partenaires et nous nous appuyons sur l’expérience et l’expertise des annonceurs pour créer des histoires impactantes. Nous venons par exemple de travailler avec Coca-Cola qui investit massivement dans des lieux délaissés pour recréer du lien social et des échanges au cœur des quartiers. Nous sommes alors allés à la rencontre des gérants de bistros et de supérettes soutenus par Coca-Cola pour leur donner la parole et réaliser des portraits forts qui intéressent tout le monde et qui cartonnent ! Pour Carrefour, nous avons tenu à montrer l’envers du décor des drives, qui sont sur-sollicités depuis le début de la crise. Là aussi, on part d’un sujet concernant pour raconter des histoires fortes. C’est en quelque sorte notre marque de fabrique et, dans l’absolu, les vidéos que nous réalisons avec nos partenaires pourraient être diffusées sans leurs logos car elles s’inscrivent pleinement dans l’ADN de Loopsider. Les chiffres le prouvent : nous enregistrons en moyenne les mêmes scores d’engagement sur ces vidéos que sur celles « 100% éditoriales ».

Exemple de vidéo Brand Content réalisée par Loopsider en partenariat avec Véolia.

Bien sûr, une telle approche du brand content, bien éloigné des publi-reportages traditionnels, ne fonctionne que si le terreau du partenariat avec nos annonceurs est fertile. C’est une condition exigeante et il nous arrive de refuser des collaborations. Hors de question de cautionner des histoires qui ne correspondent pas à la réalité ! Chaque vidéo publiée engage notre crédibilité vis-à-vis de nos publics mais aussi la crédibilité de nos journalistes.

Sur la trentaine de membres de l’équipe Loopsider, on trouve pas moins de six data-scientist. Pourquoi, l’analyse et le traitement de la donnée sont-ils à ce point centraux au sein de votre rédaction ?

Nos data scientist interviennent sur l’intégralité de la chaine de valeur de notre média : la curation, la production et la distribution. Depuis le lancement, nous avons produit 8 000 vidéos. C’est une mine de données incroyable pour nos experts en data science : chaque vidéo est analysée et décortiquée pour améliorer les performances des suivantes. Formats, images, types de plan, sémantiques etc., chaque dimension d’une vidéo est analysée pour nous permettre d’améliorer constamment notre capacité à maintenir l’attention du public et à générer de la conversation sociale. Nous faisons également beaucoup de diffusion en AB testing avec 5 à 10 tests par publication pour mesurer quelle version d’une vidéo suscite le plus d’engagement. Tout ce travail est également piloté par nos data scientists. Notre équipe data a également développé un outil interne de suivi des performances de nos campagnes. Ce qui nous permet de fournir à nos partenaires des bilans de campagne très poussés, qui vont bien au-delà des indicateurs classiques fournis par les plateformes.

Encore plus en amont, sur le volet curation, nos datas scientists ont développés pas moins de 20 000 sondes qui scrollent en permanence le web pour nous aider à remonter les sujets et actus qui éveillent l’intérêt de nos communautés. Ces « trending topics » sont analysés chaque jour en conférence de rédaction et nous aident à sélectionner les sujets que nous allons traiter dans les 24 heures.

Enfin, nos data scientists sont constamment à l’affut des changements du mode de fonctionnement des algorithmes des plateformes social media pour nous aider à toujours mieux toucher nos publics. Actuellement, ils mènent par exemple un gros travail pour tenter « d’ouvrir la boite noire » de l’algo de TikTok, où nous venons de nous lancer.

De nombreux Français vous ont découverts en novembre 2020, lorsque vous avez publié la vidéo de Michel Zecler, roué de coups par des fonctionnaires de police. Quelques semaines plus tard, Brut réalise une interview exclusive du Président de la République. Loin de son étiquette « infotainment », votre génération de nouveaux médias pureplayer vidéo n’est-elle finalement pas en train de disrupter les médias « traditionnels » sur deux terrains où on ne les attendait pas : la politique et l’investigation ?

C’est vrai que cette affaire a donné un coup de projecteur important à Loopsider. Mais là encore, le fait que cette vidéo ait été publiée par nos soins n’est pas du au hasard. Depuis plusieurs mois, nous sommes très actifs sur les sujets de violences policières. Cette présence renforcée nous a permis de nous créer un solide réseau, une communauté active et donc, une légitimité certaine sur le sujet. L’avocate de Michel Zecler l’a bien compris. Elle a saisi notre capacité à générer des conversations sociales autour de nos contenus et c’est pourquoi, elle s’est tournée vers Loopsider lorsqu’il s’est s’agi de diffuser cette vidéo.

Tous les autres scoops et sujets d’investigation que nous avons pu traiter ont suivi le même schéma : c’est parce que nous nous sommes construit une légitimité sur un sujet (violence policière, discrimination, maltraitance animale par exemple), que notre public nous remonte des informations exclusives. Pour autant, nous restons un petit média et n’avons pas forcément les moyens de développer à court terme une cellule de journalisme d’investigation « lourde », avec une présence à l’autre bout du monde par exemple. On reste cependant à l’affut des sujets qui nous sont remontés et nos journalistes font un énorme travail pour nous permettre de publier des infos exclusives qui font bouger les lignes.

Quelles sont vos perspectives structurantes pour 2021 ? Envisagez-vous de vous lancer à la conquête de nouveaux pays ou de proposer de nouvelles marques dans le sillage de Period ?

Clairement, notre objectif cette année et de poursuivre notre croissance en restant financièrement dans le positif. Nous tablons sur le lancement d’un troisième média d’ici l’été, dont la thématique sera là aussi, portée par les insights de nos data scientist. Car j’insiste, la data ne ment pas pour saisir ce que souhaitent nos publics. Santé, environnement, green society seront sûrement quelques-uns des marqueurs forts de cette nouvelle offre éditoriale mais rien n’est encore tranché. Ce qui est sûr en revanche, c’est que le lancement de ce nouveau média sera l’un de nos grands chantiers 2021 et qu’il s’accompagnera du recrutement d’une équipe ad-hoc.

Nous lancerons un troisième média d’ici l’été 2021. Santé, environnement, green society seront sûrement quelques-uns des marqueurs forts de cette nouvelle offre éditoriale mais rien n’est encore tranché.

En parallèle, nous poursuivrons le développement de Loopsider et de Period, avec une stratégie de conquête Facebook pour Period, où nous avons encore de belles opportunités de progression.

Et puisque nous sommes avant tout une plateforme technologique au service des journalistes, nous allons continuer à développer nos solutions technos innovantes, aussi bien en interne que via des partenariats. Cap Digital saura nous apporter une aide précieuse et bienvenue sur ces enjeux.

Capture de la page A propos du Site de Loopsider

Un mot d’actu pour conclure : quel regard portez-vous sur la fermeture des comptes de Donald Trump sur toutes les grandes plateformes social media ?

Je tiens à d’abord à rappeler à quel point ces grandes plateformes ont massivement amplifié l’accès au divertissement, à la culture et à l’information. Je crois qu’on ne met pas assez en avant l’impact positif de ces géants qui ont su à bien des égards embellir nos vies. Plus précisément, ces clôtures en série du compte de Donald Trump nous rappellent que les règles des plateformes font lois sur leurs espaces. Mais je pense aussi qu’on n’explique pas assez que, aussi emblématiques soient-elles, ces décisions ne viennent pas de nulle part. Elles reposent sur de très nombreuses réclamations issues de leurs utilisateurs. Et c’est bien en examinant ces réclamations à l’aune des déclarations récentes de Donald Trump, que ces plateformes ont décidé de fermer les comptes personnels du Président des Etats-Unis. Et c’est une bonne chose. Il est important de rappeler et de montrer que tout n’est pas permis sur les réseaux sociaux. Pour aller plus loin, je pense que pour qu’une régulation soit possible, le législateur se doit d’avancer en concertation avec les plateformes. Les gouvernements ne peuvent pas tout imposer.

Pour aller plus loin

— Le site de Loopsider : http://loopsider.com/fr

— Et surtout sur Facebook https://www.facebook.com/Loopsider

— L’offre de brand content : http://loopsider.com/fr/corporate#services

— Period sur Instagram : https://www.instagram.com/period.studio/?hl=en

Une question ?

Contactez l’équipe Loopsider : contact(a)loopsider.com

--

--

Cap Digital
Cap Digital

Premier collectif européen d’innovateurs du numérique 💡🚀🌳 Nos actions Retail > @NSE_PICOM 🛍 Organisateur @Futuresfestival 🤖