Bien rater sa Startup #5: You know nothing Jon Snonboarding

Castr
The story of Castr
Published in
12 min readOct 6, 2016

Une incroyable plongée dans l’univers merveilleux d’une Start-up qui a tout raté, aimablement racontée par son fondateur désespéré mais qui fait sa V2 et lâchera pas l’affaire, t’entends.

Wakeonboarding c’était mon jeu de mots de secours

Salut les campeurs. Voilà le topo : la semaine dernière j’ai fait un post un peu lourdingue sur le cynisme, les choix moraux en entreprise et les ‘boum boum t’es mort’ dans Paris, donc aujourd’hui je voulais revenir à une ambiance plus légère et vous parler de choses marrantes.

Sauf que, dans mon planning professionnel — écrit au rouge à lèvres sur le miroir de la salle de bains — il y a écrit : ‘Parler de l’infrastructure technique, ses implications sur les coûts de mise en prod et la scalabilité de la plate-forme’.

Pfff.

Déductions :

1 — Oui, le miroir de ma salle de bains est plutôt grand.
2 — Non, c’est le rouge à lèvres de ma coloc, merci quand même.
3 — Non, on va pas parler d’infra : j’ai essayé de faire le post, mais il y a beaucoup trop de choses à dire et de la matière pour plusieurs articles donc ce sera plus tard.
4 — Oui, cet article de remplacement est écrit à l’arrache trois heures avant d’être publié parce que je suis en galère.

On va parler d’ « Onboarding ». C’est quoi ?

Les femmes et les enfants d’abord.

Alors alors, l’onboarding, que l’on pourrait traduire par le ‘montage a bord’ (mais du coup on le fait pas parce que c’est pas français), est le processus qui permet à un nouvel utilisateur de s’inscrire à une application, de la paramétrer et d’en découvrir le fonctionnement.

En gros, c’est ce que vous voyez quand vous démarrez une appli pour la première fois.

Si vous avez fait un cours de marketing dans les dernières années, vous avez probablement entendu parler du concept d’Acquisition/Conversion/Rétention (ou Monétisation). On se penchera dessus plus longuement lorsqu’on parlera de la communication miteuse de Castr mais pour le moment retenez que ça se passe comme ça :

L’onboarding intervient à des étapes différentes selon le sujet étudié mais dans notre cas, la première version de Castr, il se déroule à peu près ici :

Votre mission, si vous l’acceptez

Voila la situation : un nouvel utilisateur a pris connaissance de l’existence de Castr, il est allé sur les stores télécharger l’application, et il la démarre pour la première fois.

La mission, c’est de :

  • L’inscrire : Lui faire entrer son mail et un mot de passe (ou passer par un social login Facebook ou Twitter)
  • Créer son profil : qu’il choisisse un nom d’utilisateur, une photo, au minimum
  • Lui expliquer le service : fonctionnement des posts, de la recherche, etc

Comme vous le savez, je suis un Startuper aguerri, et en conséquence lorsque le moment est venu de concevoir l’onboarding, je me suis super bien renseigné sur les internets pour savoir comment faire au mieux. Comme il suffit de taper ‘User’ et ‘Onboarding’ sur Google pour tomber directement sur le site référence en la matière, tout est allé très vite.

Useronboard.com, c’est un site tout bête et très cool ou un mec s’inscrit à tout un tas de services et d’applis en prenant des captures d’écran le long du chemin, afin de pouvoir commenter étape par étape ce qui lui semble clair ou confus, ennuyeux ou rigolo, etc. C’est très intéressant à lire — en tout cas pour les gros geeks dans mon genre — et ça apprend énormément de choses.

Tenez, allez voir celui d’Apple Music, c’est un bel échec.

Bref, après avoir regardé quelques dizaines d’exemples (tous, en fait), fait un certain nombre d’itérations et de réunions dont je vous épargne les péripéties, nous avons abouti à ce cheminement.

Ca à l’air long comme ça. En fait… c’est plutôt court. Et pour une fois — Woowoo — je ne vais pas vous dire « c’était nul ça marchait pas ». Parce que :

  • C’est, donc, dans les clous de l’industrie en nombre d’étapes.
  • Nos retours utilisateurs n’étaient pas mauvais (‘meh’)
  • De toute façon, on avait pas mis en place d’analytics qui nous auraient permis d’en savoir plus.

Était-ce du très bon onboarding pour autant, mon cher Bob ? Je ne pense pas. Mais pourquoi donc, mon cher Bob? Eh bien, pour pouvoir vous en dire plus, il est temps de vous parler de ce que l’on appelle les « Cohortes ».

1ère légion, 3ème cohorte, 2ème manipule, 3ème centurie

^ grosse référence mon bon Hotelterminus

En gros, la cohorte est une métrique qui permet d’examiner le comportement de types qui traversent un processus, quel qu’il soit. Ca marche pour l’inscription à une application, mais aussi pour la validation d’un panier sur un site e-commerce, ou le remplissage d’un formulaire d’estimation de bien immobilier — dans l’absolu, ça marche aussi pour une queue au Macdo.

Prenons un exemple. J’ai une procédure d’inscription à une appli en 5 étapes. Ma cohorte représente tous les utilisateurs qui se retrouvent au début de cette procédure. Ils sont là, ils sont chaud, ils sont 100%, personne n’est encore parti. Le but est de les emmener au bout des 5 étapes tout en récupérant les informations dont j’ai besoin.

Moi, de mon côté, j’ai des ennemis. Il ont cette tête là :

The Hateful Three (2015)

Si, durant mon inscription, mon utilisateur ne sait pas quoi répondre à une question, ou qu’il s’ennuie parce qu’il faut lire des trucs, ou qu’il commence à se demander ce qu’il fout là, il va appuyer sur ces petites saloperies pour aller faire autre chose de sa vie. Et à partir de ce moment-là, il est perdu, vraisemblablement pour toujours.

Et c’est inévitable. A chaque étape, forcément, je vais avoir un pourcentage de ma cohorte qui va se dire : « eh mais je te file pas mon mail moi c’est mort » où « bon ça fait 3 minutes que je suis là à remplir des formulaires j’en ai marre » et se tirer. Voila une courbe de cohorte standard, tendance bof :

Peut mieux faire.

Vous l’avez compris, le but du jeu est de perdre le moins de monde possible avant la fin. Voila quelques grands principes :

  • Evidemment, la courbe ne peut pas remonter, quand les types sont partis il sont partis.
  • Plus j’ai d’étapes, et plus j’ai de chances de perdre des utilisateurs en route.
  • Si une étape est compliquée, confuse, qu’elle demande un effort de la part de l’utilisateur, j’ai une chance de le perdre.
  • De manière générale, moins mon utilisateur garde en tête l’objectif de ce qu’il est en train de faire et plus la probabilité est grande qu’il se tire.

Bon je vous réinvente pas la roue, c’est un truc que tout bon UX designer ou Data Analyst connaît très bien et un point d’optimisation important pour un service en ligne, participant à ce grand tout qu’est le « growth hacking ».

Changer la forme ou la couleur d’un bouton, modifier quelques mots sur le paragraphe d’explication de l’appli ou changer un visuel d’exemple, tout ça a un impact important sur une cohorte, donc sur les inscriptions effectives, les ventes, et incidemment sur la croissance d’un business.

Much Better.

Bien des méthodes existent pour affiner ses étapes, notamment celle du A/B testing qui consiste à tester deux version d’un même cheminement pour déduire la version qui marche le mieux (le bouton en rouge ou le bouton en vert?). Les gros du secteur étudient extensivement et en permanence leurs propres plate-formes, il est d’ailleurs intéressant de voir que la plupart des boites disséquées dans useronboard.com ont depuis ajusté leur inscription pour s’adapter au comportement des utilisateurs.

C’est chiant ton truc on est pas venus faire un cours

BREF. C’est bien beau tout ça mais dans le cas de Castr ça nous sert à rien, parce qu’il manque un ingrédient important. Je vais l’appeler la « promesse de récompense ». Non plutôt « la patience ».

Non, la « motivation ». Oui allez, la motivation.

Bon, la motivation, c’est toutes les raisons qui font qu’un utilisateur a accepté de commencer notre procédure d’inscription : la récompense qu’il obtiendra en parvenant à la fin. Exemples :

  • Il y a tous mes potes sur ce site !
  • Je vais gagner du fric avec cette appli !
  • Toutes les infos dont j’ai besoin pour réparer ma caisse sont ici !
  • … je vais serrer ici c’est sûr.

Cette motivation, espérée en vue d’une récompense par l’utilisateur au terme de sa petite aventure, s’oppose à ce que nous appellerons l’effort. L’effort regroupe tout ce qui, au contraire, va donner envie à l’utilisateur de se tirer (liste non exhaustive hein):

  • L’incompréhension : ça veut dire quoi « what state do you live in » ? Paris c’est un state ?
  • La méfiance : pourquoi cette appli veut un accès à mes photos ?
  • La complexité : ya écrit quoi sur ce Captcha ? JxkI3 ou jxklE ?
  • L’ennui : 6 pages de tuto ? C’est MORT.
  • Le désintérêt: Elle me sert à quoi cette appli en fait?

Revenons à notre exemple. En arrivant sur notre procédure d’inscription, notre cohorte d’utilisateurs dispose d’une certaine ‘quantité’ de motivation, et n’a fourni que très peu d’effort (celui d’aller télécharger l’application sur les stores — oui, on en perd déjà pas mal à cette étape).

Voila le schema Motivation/Effort d’un utilisateur pris au hasard:

A chaque partie de l’inscription, la quantité d’effort de l’utilisateur va augmenter et sa motivation diminuer. Quand les deux courbes se rejoignent, c’est le breaking point, que l’on peut traduire assez fidèlement en français par « merci à plus bisou». L’utilisateur se tire.

Il était là, et pou-pouf il a disparu

Evidemment, une cohorte est composée d’un certain nombre d’utilisateurs, tous différents, dont les tolérances à l’ennui, à la complexité, la capacité de compréhension ainsi que les motivations diffèrent. Le breaking point de chacun sera donc différent, le but restant de le retarder au maximum.

Reste donc deux choses à faire : Minimiser l’effort en rendant l’inscription fluide et rapide, et maximiser la motivation en renforçant la promesse de récompense, et surtout en l’ayant construite avant par la communication.

Petite digression Service Public

Notez qu’il n’y a pas de notion de positif dans le concept de motivation, c’est simplement une quantification factuelle de votre détermination.

Lorsque vous remplissez votre déclaration d’impôts sur le site du gouvernement, votre motivation est maximale, parce que vous avez simplement pas le choix, vous êtes obligé de remplir ces formulaires à la con, sinon c’est 10% de majoration, boum.

C’est pour ça que le service public n’a pas besoin de minimiser l’effort à fournir, il sait que vous allez devoir vous farcir les 63 pages de ce bidule mal foutu, incompréhensible, qui marche pas sur mobile, qui plante une fois sur deux et qui, franchement, est visuellement DÉGUEULASSE PUTAIN RESPECTEZ VOUS.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA

(nan en vrai ils ont fait beaucoup d’efforts je suis juste un peu fâché)

Reprenons.

OK mais en vrai t’es toujours en train de le faire ton cours

Oui, roh, j’y arrive, c’est promis. Le problème que rencontrait Castr (v1), comme tout projet qui se lance, c’est que la motivation initiale était proche de zéro. Pourquoi :

  • La visibilité du service était quasi nulle (60 followers Twitter ouais ouais téma le Klout)
  • Comme il n’y avait pas d’utilisateurs, pas d’effet d’entraînement possible (‘eh t’as vu cette appli c’est cool’)
  • La masse critique étant loin d’être atteinte, l’intérêt du service était d’autant plus diminué.

Motivation au ras des pâquerettes + Effort à peu près dans les clous de l’industrie = probablement beaucoup d’utilisateurs perdus à l’inscription :

Alors que faire ?

Vous avez suivi, on refait Castr. C’est mieux, c’est plus marrant, tout ça, mais le problème reste le même : l’onboarding existe toujours et la motivation n’a pas changé — 222 followers c’est mieux mais c’est toujours pas Kim K.

Reste l’effort. Si l’on ne peut pas affecter la motivation, en tout cas pas au début, il reste la possibilité de simplifier drastiquement l’inscription. Voilà le nouvel onboarding:

Eh ouais.

Plus d’inscription, plus d’effort ! Il suffit de lancer l’appli, et boum on peut parler. Onboarding = 2" = Fin du game.

Bon ok, je triche. En fait on déporte.

L’utilisateur n’a effectivement plus besoin de s’inscrire pour interagir sur le service. Mais par la suite, il va pouvoir « sauvegarder son compte » (comprendre ‘s’inscrire’) dans sa page profil. Quand à l’explication du service, elle se fait dans le corps des conversations avec un bot qui va détailler progressivement le fonctionnement de l’appli sans obliger l’utilisateur à passer par 8 pages de tuto.

L’avantage de la pratique, c’est qu’elle déplace le poids de l’effort à fournir jusqu’au moment où la motivation sera suffisante pour l’assumer, puisque c’est le premier concerné, l’utilisateur, qui décide du moment de l’inscription.

Par la suite, la procédure reste assez conventionnelle :

Ca s’améliore encore cela dit.

VOILA. PFOU.

En fait c’était pas du tout un article pondu en trois heures à l’arrache, c’est finalement le plus long que j’ai fait jusqu’à maintenant, et à me relire ça me semble encore plus chiant que ce que je devais raconter à la base sur l’infrastructure.

Mais pour les joyeux drilles qui m’ont suivi jusqu’ici, je sais que ma théorie est pourrie d’inexactitudes et de lieux communs, alors n’hésitez pas à donner votre avis un peu plus bas qu’on fasse un concours de vannes.

En attendant, on peut enfin passer au divertissement. Cette semaine, Bruges.

♩ ♫ L’instant cultuuure ♫ ♪

In Bruges, pour être précis — “Bon baisers de Bruges”, en français, mais rendez vous service, regardez le en Anglais, si non vous allez rater l’accent irlandais génial de Colin -, sorti en 2008 et premier long-métrage de Martin McDonagh, qui écrivait précédemment des pièces de théâtre.

C’est une précision importante car le film est justement construit comme une pièce, avec un nombre limité de personnage et un unique décor, montré sous tous ses angles, Bruges. Il raconte les errements d’un jeune tueur à gages — non, vous savez quoi, pitcher le film reviendrait à le gâcher, alors je vais me contenter de vous dire que:

  • Le casting est incroyable, avec notamment Colin Farell (le héros de Total Recall version nulle), Brendan Gleeson (le pote de Braveheart) et Ralph Fiennes (le type qui a perdu son nez dans Harry Potter) qui sont tous superbement exploités.
  • Le scénario est spectaculairement précis, on se rend compte à la fin du film que l’ensemble est parfaitement circulaire, que rien n’est manquant ou superflu, que le revoir serait comme le voir une première fois.
  • Bruges, c’est classe. Mais au delà, placer le film au cœur de cette ville et en faire un personnage à part entière lui donne un caractère qui le différencie entre mille. Fockin’ Bruges.
  • C’est beau putain. C’est beau visuellement, formellement, symboliquement. C’est triste, c’est marrant, c’est mélancolique, c’est joyeux, c’est ce genre de film qui arrive à marier quinze émotions différentes au cours d’une même scène sans jamais devenir confus — très très rare.
  • Qu’est-ce que c’est que cette affiche de merde ? “Shoot First. Sightsee Later.” Mais vous avez REGARDÉ LE FILM avant de faire le poster ?

Et pour ma part, je réalise que la critique cinéma est un exercice vachement difficile, surtout dans le cas d’un film que l’on a vraiment apprécié, qui est plus intelligent qu’on ne le sera jamais, et qui mériterait plus qu’une liste à la con pour exprimer ses nombreuses subtilités, par opposition à une curiosité dont il suffit de raconter la particularité pour faire la blague.

A la semaine prochaine

Cheers

Barth Picq

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