Bien rater sa startup #7: Je suis pas un ricain.

Castr
The story of Castr
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9 min readOct 26, 2016

Une incroyable plongée dans l’univers merveilleux d’une Start-up qui a tout raté, aimablement racontée par son fondateur désespéré mais qui fait sa V2 et lâchera pas l’affaire, t’entends. Pour retrouver les épisodes précédents, voyez ici.

Sacrilège et détourage de merde

Salut les emus. Encore une fois on était censés parler de technique cette semaine, mais finalement le sujet est toujours rébarbatif et il n’y a pas de raison que ça change alors je vais continuer de gagner du temps en racontant n’importe quoi d’autre. Aujourd’hui, chauvinisme.

“De toute façon, les startups, c’est un truc de ricains.”

Ouais, on le sait tous, au fond de nous. Nous autres petits français ne sommes pas trop culturellement adaptés pour ce genre de game. C’est vrai, on sait monter des boites, on construit des TGV, on a fait la révolution et tout, mais globalement ce truc de la bande de geekos qui bosse dans le garage de ses parents sur une invention géniale et devient Microsoft ou Apple 15 ans plus tard on ne fait pas trop — c’est peut-être parce qu’on a moins de garages qu’eux.

Alors évidemment, le monde évolue, et les jeunes entrepreneurs français d’aujourd’hui n’ont plus grand chose à voir avec l’arrière-garde de l’ingénierie française et du management à la papa, mais malgré tout nos bons médias ont quand même décidé d’appeler le quartier des startups parisiennes « Silicon Sentier », ce qui, déjà, sonne très con, n’a pas de sens parce qu’on ne fait pas de wafers à Bonne Nouvelle et surtout montre bien que l’on visualise toujours notre créativité entrepreneuriale à l’aune de celle des états-unis. Il y a de meilleures façons de faire briller l’exception culturelle française.

Du coup, quand on voit les résultats, c’est pas top. Considérez donc ce schéma parfaitement sourcé nous détaillant la provenance des ‘licornes’ mondiales (les boites avec plus d’un milliard de valo, je sais que vous êtes au courant, c’est pour expliquer à ma mère qui m’a dit qu’elle adorait mes articles mais qu’elle comprenait rien, elle est chou).

Source AFP — Reuters — Bob Woodward

Et je relance d’un petit graphique de l’investissement du capital-risque dans les startup en Europe, que vous sentiez bien que malgré les efforts de France Digitale, de la French Tech, du Numa, de Xavier Niel, de la BPI, d’Axelle Lemaire, de The Family, de 42, de l’HETIC et de maman qui continue de croire en moi alors que j’ai rien réussi de cool, nous ne sommes pas encore devenu l’El Dorado de la startup qui tue.

Bien vu, je suis un feignant

Je pourrais disserter longuement des raisons qui nous amènent à cette situation, mais ce ne serait pas très utile, d’une part parce qu’il y a des gens qui font ça bien mieux que moi mais surtout parce que du point de vue d’un entrepreneur qui se lance, ça n’a pas vraiment d’intérêt.

Eh oui, si vous lancez une startup on va probablement vous répéter quinze fois que Paris ce n’est pas le meilleur endroit, et que de toute façon si ça marche vous devrez déménager à SF, et gna gna gna. Mais vous vous en foutrez, parce que c’est ici et maintenant que vous allez lancer votre business, pas dans 6 mois à l’autre bout du monde. Ou à l’inverse vous aurez prévu de partir — dans notre cas, on avait simplement pas les moyens.

Bon ben si tu peux pas faire ton truc aux states, fais le au moins marcher là bas.

Mais voilà, la réalité, c’est que si je veux faire marcher un service comme Castr, il faut commencer par le faire marcher aux états-unis, pas vrai ? Vous avez déjà installé une appli de réseau sociale suédoise ? Turque ? Thaïlandaise ? Ouais, pareil.

Donc, la base, c’est de développer sa plate-forme en Anglais. Bon, c’est pas bien compliqué, de toute façon le code est déjà en Anglais (à moins de bosser sur Excel), et dans la plupart des cas il n’y a pas tant de texte que ça dans une appli, il suffit de traduire ‘Login’, ‘Share’, deux trois autres boutons et hop, le tour est joué.

Mais non, rien n’est joué.

La problématique qui se pose avec cette domination des états-unis dans le modèle économique ET culturel des startups, c’est qu’il ne suffit pas du tout d’avoir un service anglophone pour être compatible avec le système. Il faut avoir un service américain. Il faut être ricain.

ricain

C’est à dire que le produit en lui-même doit servir tout un ensemble de règles invisibles qui le rendent acceptable par le marché américain. Des règles d’user experience, des règles de format, des codes de langage, un certain nombre de problématiques légales, etc.

Un exemple trivial-mais-important est celui de l’absence de nudité imposée par Apple sur l’appstore.

D’ailleurs c’est un beau foutage de gueule : quand on soumet une application le service fait passer un petit questionnaire pour déterminer les limites d’âge et les mises en garde qui s’afficheront sur le store. Et a un moment il te dit : « est-ce que l’application permet de voir de la ‘mild nudity’, oui/non ? » — comprendre : des boobs.

Si tu réponds oui, il te laisse finir le questionnaire, et seulement à la fin il te dit « Ah ouais mais zut, tu vois nous on a eu le Mayflower, les protestants et tout alors du coup pour ton appli c’est mort, tu peux pas la publier. » MAIS POURQUOI TU ME POSE LA QUESTION ALORS ? Tu peux pas juste me dire ‘pas de boobs’ et hop ?

Ok, je râle pour rien. Le truc à retenir, c’est que cette hégémonie de la Silicon Valley sur les startup a amené une sorte de lissage de la façon dont est conçu tout ce que l’on voit passer sur nos réseaux. Je ne dis pas ça de manière négative, c’est simplement un constat : aujourd’hui, un créateur d’appli, de produit ou de jeu se retrouve inconsciemment contraint par ce cadre invisible, et il est difficile de parvenir à en sortir.

On est tombés dans le panneau. We fell in the sign.

Donc : quand nous avons créé notre produit, pensé pour un marché mondial, nous l’avons en réalité créé pour un marché américain, en espérant que, par extension, le reste du monde l’adopterait. Le problème c’est que, pour ma part, je n’y connais rien au marché américain. Je n’ai jamais mis les pieds à Los Angeles ni à San Francisco, et j’aime beaucoup trop mon jambon-beurre et mon pinard pour me mettre efficacement dans la peau d’un redneck.

Alors ça a donné une appli qui, franchement, n’avait rien de particulièrement raté dans sa forme, mais rien de réussi non plus. En tout cas aucune spécificité, un truc qui l’aurait différencié des autres et qui aurait permis à un utilisateur de se dire « tiens ce machin est vraiment spécial je n’ai jamais vu ça avant » — Notez que l’on parle principalement de langage, de la façon dont Castr s’adressait à ses utilisateurs, et pas de design ou d’UX.

En fait, sans s’en rendre compte, on a fait Twitter.

Ouais c’est la loose

Ok mais du coup

Je vous ai suffisamment parlé de nos déboires économiques et techniques pour que vous ayez maintenant compris que nous ne sommes ni des ingénieurs, ni des managers. Alors maintenant nous assumons ce rôle.

Castr 2 n’est pas fait pour changer le monde et réinventer les codes de la communication et être le réseau du futur et je sais pas quel autre bullshit ils inventeront le jour ou ils en parleront dans l’Express. Castr 2 est fait pour faire marrer les gens qui vont l’utiliser, et nous faire marrer avec.

Castr 2 est fait pour qu’on l’aime. Nous. Nous et les gens autour de nous. Et leurs potes à eux. Et ensuite, ON VERRA BIEN.

J’ai fait une vidéo avec des cœurs mais shhhht — c’est pour plus tard.

Bon on fait quand même une version anglaise hein, on est pas des bêtes. Allez, zou, architecture.

L’Instant culture vous est présenté par Corbu

Alors, la Fièvre d’Urbicande. C’est une BD de Francois Schuiten et Benoit Peeters, publiée en 1985 dans le cadre d’un cycle nommé « Les cités obscures » et dont la thématique commune est l’architecture. Ces deux mecs savent d’ailleurs très bien de quoi ils parlent, puisqu’ils sont notamment responsables de la station de métro la plus cool de Paris : Arts & Métiers sur la ligne 11. Je vous en mets une photo si vous n’avez jamais lu Jules Verne.

Voila. La BD parle d’une ville, Urbicande, et de son ‘urbatecte’, Eugène Robick — c’est un architecte/urbaniste mais dit de manière cool. Son obsession est de remettre de l’ordre dans une ville qu’il considère comme mal organisée et dissolue, en bulldozant la moitié de la ville pour y reconstruire de beaux bâtiments brutalistes bien organisés en lignes et en colonnes. Il est l’exécutant de la vision militariste et autoritaire porté par les dirigeants de sa cité, et cela lui va très bien puisqu’il est aussi rigide en privé que son œuvre l’est publiquement.

Son travail progresse d’ailleurs très bien et la rive sud de la ville est pratiquement terminée. Ne restera que la rive nord, espace encore désorganisé, dissolu, carrément anarchique, dirait-il, et il pourra considérer son grand œuvre comme achevé.

Et puis, un jour, se retrouve dans son bureau un étrange cube ramené d’on ne sait où par un assistant, dont je vais m’épargner la laborieuse description en vous mettant une photo.

Or il se trouve que ce cube croît. Il grandit, se multiplie, devient, selon les termes d’Eugène lui-même, un réseau, parfaitement équilibré.

Las ! Son ami, xxx, venu discuter avec lui de la reconstruction future de la rive nord, joue avec le cube et le repose en diagonale, sur la tranche d’un livre. Le magnifique réseau croit donc en diagonale. D’abord dans son bureau, puis son immeuble, son quartier, avant de coloniser toute la ville, permettant a la population de passer librement de la rive nord à la rive sud, mettant à bas toutes la hiérarchie sociale imposée par ces grandes stratégies urbanistiques. Et avec les hiérarchies sociales s’écrouleront les principes moraux du bon Eugène Robick, qui se retrouvera comme un con devant tant de liberté nouvelle.

Et il drague une meuf aussi

Bon, si vous n’avez rien compris, ce n’est pas grave, vous en découvrirez d’autant plus en lisant ce bijou.

Dans les années 1920, Le Corbusier avait conçu un plan directeur nommé « Plan Voisin » pour le centre de Paris. Je vous passe les détails mais en gros la logique c’était de raser tous les arrondissements à un chiffre de la rive droite et de mettre des barres d’immeubles rangées dans des avenues orthogonales à la place.

OMG

Ce truc, c’était Urbicande. Et cette bande dessinée est fascinante parce qu’elle est un exemple très concret, visuel et précis de l’impact que cet urbanisme aurait eu sur nos modes de vie — beaucoup plus pour moi que les innombrables ouvrages théoriques qui se penchent sur la question dans la mesure ou cet impact est raconté à travers une histoire humaine et non pas une approche académique ou statistique.

Et en plus, formellement, ce noir & blanc tramé, quelle classe.

La fièvre d’Urbicande, 22€, chez Casterman

Cheers
Barth

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