Bien rater sa Startup #2 : J’ai des grosses Cashburn

Castr
The story of Castr
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11 min readSep 14, 2016

Une incroyable plongée dans l’univers merveilleux d’une Start-up qui a tout raté, aimablement racontée par son fondateur désespéré mais qui ne lâchera pas l’affaire, t’entends.

Hello tout le monde. En premier lieu je tiens à m’excuser pour cette blague MINABLE en titre d’article. Elle n’est absolument pas validée par l’actionnariat de Castr et n’engage que mon piteux sens de l’humour.

Parler de pognon, passer pour un

Vous l’aurez compris, cette semaine, pour commencer à vous narrer cette belle aventure de l’échec, nous allons parler d’argent. Il faut dire que c’est un peu difficile de parler de fric dans notre beau pays, et particulièrement dans le petit monde des startups. Donner l’impression d’une entreprise aux finances solides est important pour convaincre les investisseurs de placer leur billes dans une boite, attirer des partenaires talentueux, rassurer ses clients… Mais je ne vais pas vous retenir si je vous raconte des craques, alors c’est parti pour la minute de vérité.

Il faut commencer par une petite histoire de tout ce fric.

On a donc fondé Castr avec nos petites économies, patiemment accumulées grâce a notre magnifique petit bébé qu’est la boite de production Yodog, ainsi que les dessous de matelas d’un peu de notre entourage. Ce qui représentait environ 50000 €. 5 briques, c’est bien mais pas fantastique, et je savais bien que nous ne serions pas allés bien loin avec ça.

Nous nous sommes donc mis à la recherche de fonds supplémentaires. N’ayant pas sous la main le numéro de Peter Thiel ou de Andreessen, on s’est tournés vers les seules personnes susceptible de lâcher de l’argent sur une simple idée, dans un marché ultra-concurrentiel, et sans aucun business plan : la famille, les amis, et nos clients privilégiés. C’est ce que l’on appelle de la « love money ». Traduire : pas beaucoup de fric mais c’est quand même très cool, merci.

Vu nos perspectives, et l’état embryonnaire de notre projet, je pensais que nous parviendrions à obtenir 10 ou 20 000 de plus.

Love Briques Lotus XXL

On a donc monté un petit dossier résumant le concept de Castr, la composition de l’équipe, un petit planning de production, etc. A cette étape, on avait même pas de prototype, pas même une capture d’écran de ce qu’allait être l’appli, rien. Et puis, surprise. Tout le monde est intéressé. En quelques semaines, 12 contacts nous donnent leur accord pour financer le projet. Au lieu de 10k€, on se retrouve donc avec 100 000 sous.

Très bien. Là on peut s’imaginer que nous nous sommes dits « mais qu’est-ce qu’on va faire de toute cette oseille ? », mais pas du tout. L’esprit du startuper est fait différemment de celui des pauvres mortels. Le startuper sait exactement ce qu’il va faire de son pognon. Il a déjà un calcul précis de la répartition de ses dépenses, entre ressources humaines, infrastructures, frais légaux, marge de sécurité, etc. Pour ajuster son capital en fonction des étapes de développement et de déploiement de son projet.

Laissez moi donc vous expliquer comment on a foutu tout ce fric par la fenêtre.

La science pourtant super simple du cashburn

Alors, ce que fait un startuper avisé — vous l’aurez compris, donc, pas moi -, c’est de déterminer ce que l’on appelle le « cashburn rate », à savoir le rythme auquel on va dépenser son argent. Le principe, c’est de faire en sorte de dépenser progressivement son argent de manière à avoir le temps :

  • De développer le projet
  • De le lancer
  • De générer de la croissance (des utilisateurs, par exemple)
  • De convaincre des investisseurs — des vrais, ce coup-ci — de financer la suite du projet
  • De faire la levée de fonds à proprement parler. Il faut compter 3 à 6 mois jusqu’à la signature.

Voila en gros ce que ça doit donner :

Neat.

Propre. Un rythme régulé, permettant d’avoir l’esprit tranquille le temps de donner vie au meilleur projet possible.

Mais ça c’est pour ceux qui ont fait des écoles de business, ou qui ont plusieurs neurones. Moi je me suis surtout dit : ‘De la balle, j’ai plein de fric’. Et donc je pouvais voir les choses en grand.

Rajouter des trucs dans l’appli — check.
Monter une grosse équipe — check.
Acheter des machines — check.
Payer des restos — check.
Prendre trois cabinets pour gérer le légal — triple check.
Des cartes de visite pour tout le monde, glossy 350g, même pour les devs qui sortent pas du bureau — 4000 x check.

“De la balle, j’ai plein de fric”— Un Startuper nul, 2014.

Voila donc comment se sont passés nos 6 premiers mois :

Not so neat.

Ok, raté. Non seulement on a claqué beaucoup plus que ce que nous devions, mais le projet était largement moins avancé que prévu. Ça c’est la règle bien connue des 90%-90% que je viens d’inventer, mais on y reviendra une autre fois.

La, ça devient évident, je suis un amateur. Donc je ne tiens pas sérieusement mes comptes. Donc après avoir claqué presque cinquante mille balles en quelques mois, je ne me dis pas « il faut absolument arrêter les dépenses, sinon dans 3 mois c’est la fin, qu’est-ce que je vais dire à mes investisseurs ? ».

Non. Je me suis dit « Oooh mais ça va j’ai encore CENT MILLE BALLES je suis LARGE ».

Quel bouffon.

Avançons encore de 6 mois :

Sans surprise. A un moment, forcément, la réalité s’abat comme un gros coup de massue. L’argent est vraiment parti, il suffit d’un coup d’œil sur les dépenses pour comprendre qu’il a été claqué n’importe comment, aucune source de revenu n’est envisageable, même à moyen terme, c’est l’enfer.

Ça c’est le moment difficile. On se rend compte qu’on a agi comme un amateur, comme un môme en fait. Ça sous-entend aussi qu’on est pas le génial leader visionnaire que l’on s’était imaginé, parce que les leaders visionnaires géniaux ont peut-être la tête dans les étoiles, mais aussi les pieds sur terre, et que nous on est seulement en plein trip. Paf l’ego.

Mais c’est aussi difficile parce que maintenant il va falloir expliquer aux gens qui travaillent qu’ils vont devoir partir, et à ceux qui nous ont fait confiance qu’ils auraient peut-être pas dû.

Le même Startuper nul — 2015

On comprend aussi d’un coup tous ces entrepreneurs expérimentés qui disent « réussir c’est échouer », parce qu’ils ont tous fait cette connerie au début, ou une autre. Ben oui, c’est bon, vous aviez raison, leçon apprise. Malgré tout, quand un mec vient te dire ça, ça sonne surtout comme la demoiselle d’honneur qui tente de consoler la mariée en lui disant « oh, tu sais ce qu’on dit, mariage pluvieux, mariage heur-TA GUEULE PUTAIN »

A prévoir, donc, quelques semaines d’angoisse totale et de nuits passées à regarder la fissure du plafond. Mais à un moment il faut bien se reprendre, et donc on fait ce qu’il faut faire : on coupe les dépenses. Fini le fils prodigue, maintenant c’est cost-control psycho. « Bon alors, si on passe par Mapbox l’API est mortelle et on pourra personnaliser les cartes comme on le v– CA COÛTE COMBIEN?! »

J’ai donc remercié plusieurs développeurs, supprimé une bonne partie de l’infrastructure serveur dont nous disposions, expliqué aux cabinets d’avocats que nous allions réduire la voilure, et remplacé la bonne bouffe par des pizzas.

Voila donc la situation quelques mois plus tard.

Fiou.

Pas encore de faillite. C’était déjà ça.

Mais bon il y avait quand même de moins en moins de fric, et si on s’approchait du lancement, il fallait quand même trouver des fonds pour continuer. Impossible de trouver des VC sans avoir de résultats, et tous les amis étaient déjà essorés. Restait donc une source de revenus : l’équipe. Après plus d’un an à travailler ensemble, on avait une équipe compétente et complémentaire. Et dans notre sphère se trouvaient — se trouvent toujours — de très bons clients de Yodog (la boite de production), particulièrement dans des grandes agences de communication parisiennes.

Alors on a vendu nos compétences pour du développement. On a créé un petit site rapidement pour expliquer ce que l’on faisait, Castr Strike Team, et on a appelé tous nos clients pour leur dire que l’on était prêts à les accompagner sur leurs projets digitaux. C’est le bouquet : tu montes une Start-up pour changer le monde et tu finis par devenir une petite boite de web.

En général ça se solde par un abandon progressif des objectifs premiers du projet, par un désintérêt progressif de l’équipe qui se retrouve à faire des sites vitrines, puis par la fermeture pure et simple de la boite. Bref, on avait touché le fond.

Logiquement le message est assez clair. T’as joué, t’as perdu. C’est pas grave, c’est comme ça, tu t’arrêtes et tu recommence une boite. Et je fais tous ces articles pour expliquer les erreurs que l’on a commises afin que, peut-être, celui qui nous lira s’évitera ce genre de galères.

Mais là, non, je ne suis toujours pas d’accord. C’est vrai que ça ne sert probablement à rien de s’acharner sur un projet qui ne marche pas, et qu’il est beaucoup plus rentable de passer au projet suivant. Mais dans notre cas, ce n’était pas le projet qui avait échoué mais juste notre capital qui était épuisé. Hors de question d’abandonner avant d’avoir VRAIMENT raté. Donc on a cherché les projets.

Coup de bol, nos clients sont cools. Ils nous ont fait confiance et nous ont commissionné quelques boulots, plutôt intéressants, et surtout qui nous ont laissé assez de temps pour ne pas perdre de vue nos objectifs.

Voila donc ou l’on s’est retrouvés :

Vous savez quoi ? Ça fait un an maintenant que l’on tient avec 10 balles. Et c’est pas grave, parce que l’on peut continuer notre petite aventure. Continuer à faire plein d’autres conneries. Résumons donc la leçon de la semaine, pour ceux qui ne lisent que la fin des articles.

A retenir cette semaine — Ouvrez vos cahiers

  • Avoir plein de pognon ne veut pas dire qu’on a plein de pognon. En fait l’astuce est toute bête : il suffit de diviser son capital de départ par le temps que l’on veut tenir. Dans mon cas ça aurait donné, disons : 150 000 € / 24 mois, soit 6250€/mois. Ça à l’air pas trop mal, mais non. Il faut compter les charges si on embauche, les frais de communication au lancement, prévoir les inévitables retards de production, etc. Donc ma recommandation c’est de baisser encore ce chiffre de 30%, pour être sûr. On arrive donc à 4000 €/mois, et là, évidemment, impossible de flamber.
  • La plupart, la grande majorité des dépenses, sont évitables. Mais attention, il y a un piège : ce qui ne vous coûte pas d’argent vous coûtera du temps. Prendre un serveur chez Amazon, c’est fiable, instantané, mais coûteux. Monter son serveur peut être quasiment gratuit, mais il vous faudra du temps — pas forcément le vôtre — et il faudra le maintenir. A vous de faire la balance entre ce que vous allez payer en argent et ce que vous allez payer avec votre temps.
  • Ne vous alarmez pas de la quantité d’argent dont vous disposez au départ, ce n’est pas le facteur déterminant. Certaines boites commencent leur projet avec un million d’euros, d’autres avec un garage et du Coca Light. Ce qui compte, c’est le rapport entre ce que vous avez et ce que vous devez faire pour avoir votre produit (dans sa forme la plus simple, MVP). Si vous partez avec trois balles mais que vous devez tomber un énorme morceau de technologie avant de lancer, repensez votre stratégie : un produit plus simple, un prototype ? Utiliser des technologies existantes ? Si vous avez 750 000 € (l’amorçage moyen en France) et que votre projet est très simple, n’en profitez pas pour flamber, mais augmentez légèrement vos ambitions.

Voila, c’est tout pour aujourd’hui. Comme promis, l’instant culture, avec un film que j’ai regardé en pensant que ça allait être un petit drame tranquille et qui a fini par m’empêcher de dormir.

L’instant culture

Before the Devil Knows Your Dead, donc — « 7h58 ce samedi-là » pour les francophones. Un film de Sydney Lumet, dont vous avez peut-être vu 12 hommes en colère ou Une après-midi de chien. Sauf que la c’est Sydney sur le tard, à 83 ans, son dernier film avant sa mort en 2011. C’est donc une œuvre beaucoup plus lente et composée que le reste de sa filmo.

C’est l’histoire d’un braquage raté — à 7h58 ce samedi-là — qui va de fil en aiguille détruire les repères, la famille et la vie de ses instigateurs, deux frères en manque d’argent (à tous les coups c’est des Startupers). La puissance du film repose d’ailleurs sur eux, et ils sont incroyablement interprétés, par Phillip Seymour Hoffmann en aîné flegmatique et manipulateur bien qu’opiomane, et Ethan Hawke en benjamin influençable et farouche, représenté ci-dessous jouant de la trompette.

Le film repose sur une construction temporelle et spatiale particulière, commençant par le braquage, remontant progressivement dans le temps — avec des transitions très très kitsch — pour suivre les mobiles de chacun des personnages, avant de repartir vers le futur en découvrir les désastreuses conséquences. Et on sent particulièrement l’expérience de Sydney Lumet qui prend tout son temps pour construire des protagoniste avant de les envoyer, de la plus terrible manière, à la fosse. Enfin, c’est mortel, quoi.

A la semaine pro.

Cheers

Barth Picq

N’oubliez pas, on s’est bien ratés mais on n’arrête pas pour autant. Retrouvez les infos de Castr et suivez nos sur le site ou les réseaux sociaux. Cette semaine on relance le site de Castr. Ça se passe là:

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