Diversité au sein des métiers du numérique : Impact et moyens d’action

Selon l’INSEE et Syntec Numérique, en France les 2/3 des métiers du numérique sont occupés par des hommes. Et ce chiffre grimpe jusqu’à 85% dans le domaine de la cybersécurité. Ces disproportions se retrouvent également dans le nombre de créations et de financements de start-up dirigées par des femmes.

Joy Schlienger
L’Actualité Tech — Blog CBTW
10 min readApr 15, 2021

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En fin d’article, vous pouvez retrouver un panorama d’associations et d’organismes qui agissent en faveur d’une meilleure inclusion des genres, sociale et culturelle au sein de l’écosystème numérique.

Diversité au sein des entreprises — Photo by Firmbee.com

De nombreuses femmes ont pourtant œuvré au développement du numérique. Leur rôle a même été capital dans le développement des logiciels, de la programmation et du Wi-Fi.
Ce fut Ada Lovelace qui conçut le premier langage informatique sur des ordinateurs mécaniques dès le début du 19e siècle. Hedy Lamarr mit au point un système de communication sur plusieurs fréquences, qui fut à l’origine du Wi-Fi et du Bluetooth. La mathématicienne Grace Hopper a également inventé le procédé de compilation et créé le langage de programmation commun COBOL, encore utilisé aujourd’hui. Et beaucoup d’autres femmes ont contribué à faire évoluer l’informatique.
D’ailleurs des années 1950 à 1990, la parité était observée dans ce secteur et un taux important de femmes faisait alors partie des effectifs.
Le secteur était toutefois assez genré puisqu’une majorité d’hommes travaillait sur l’aspect machine (hardware) et une majorité de femmes sur l’aspect logiciel (software), qui nécessitait aussi de bien connaître le matériel.

À cette époque il n’y avait pas de cours et de diplômes dédiés et la programmation s’apprenait en autodidacte. Ces métiers considérés comme répétitifs étaient donc peu reconnus et faiblement rémunérés, mais de fait facilement accessibles peu importe son genre, sa classe sociale ou son éducation.

Puis au fur et à mesure le logiciel a pris de plus en plus de valeur jusqu’à surpasser la valeur du matériel.
Et avec l’arrivée de la micro-informatique dans les années 1990, il y a eu une explosion de l’engouement autour de l’informatique et des nouvelles technologies. Mais ces nouveaux ordinateurs, au vu de leur prix, ont surtout été adoptés par les classes sociales les plus aisées.

Une inversion des représentations s’est alors opérée dans le monde de l’informatique. Alors qu’avant les métiers de programmation étaient perçus comme des rôles de secrétariat, associés au langage et à la planification, leur image a ensuite évolué. Désormais ces postes sont davantage associés à la logique et à une pensée rationnelle. Ces représentations sont complémentaires et font appel à des qualités pouvant se retrouver chez tout le monde. Mais ces qualités sont fortement stéréotypées et l’attrait de ces postes s’est donc adapté à l’ordre social.

Une multitude de formations se sont développées. Et la filière, mixte et plus inclusive à l’origine, s’est grandement élargie au profit d’une certaine catégorie de la population. Les profils des étudiants diplômés deviennent alors très similaires avec une majorité d’hommes blancs européens de classe sociale supérieure.
Et en exemple, aujourd’hui les étudiantes en sciences de l’informatique ne représentent plus qu’environ 10% des élèves.

L’impact de l’évolution de la diversité au sein des métiers du numérique

Le développement de l’usage du numérique impacte l’ensemble de notre société et de notre quotidien.
Or des produits et services imaginés, développés et maintenus par des équipes non représentatives de l’ensemble de la population, et malgré toute bonne volonté, comporteront nécessairement des biais et contribueront à un déséquilibre sociétal.
Un monde technologique dominé par un groupe social majoritaire ne peut pas répondre aux besoins et exigences de tous les utilisateurs et freine l’accessibilité des technologies.
Bien qu’on se préoccupe et inclut de plus en plus le besoin, l’expérience et le retour utilisateur dans la conception numérique, leur compréhension et développement passent nécessairement par le prisme des développeurs. Mais un vécu et une culture jamais expérimentés restent difficiles à appréhender et à retranscrire dans un usage.

Ce manque de représentativité et ces biais induits peuvent notamment engendrer un renforcement des représentations sociales stéréotypées, un manque de variété dans les applications proposées avec des besoins non adressés et des services parfois inadaptés.
Par exemple, comme le souligne Isabelle Collet, informaticienne et enseignante-chercheuse, bien que les applications de santé soient devenues de plus en plus poussées, il a fallu du temps avant de voir apparaître des outils de monitoring des menstruations féminines, simplement car le besoin n’a pas tout de suite été détecté. Le domaine de l’intelligence artificielle est également fortement impacté par les biais statistiques (non-représentativité dans le jeu de données) et les biais structurels (qui reflètent les perceptions et les biais préexistants dans la société). Ainsi les moteurs de recherche associent souvent le mot ‘femme’ à des termes tels que ‘femme de ménage’ ou au champ lexical de la famille, la reconnaissance visuelle et vocale est moins performante ou carrément discriminatoire envers certaines catégories de population, etc.

Une plus grande diversité sociale et culturelle dans les métiers du numérique est donc indispensable pour développer des applications représentatives. Mais pour arriver à la création d’une technologie véritablement neutre et équitable, il est d’abord primordial de prendre conscience et de déconstruire les biais de notre société.

De plus, exclure une large partie de la population des métiers de la Tech c’est se priver de talents et de personnes à valeur ajoutée. La diversité de profils compétents permet un enrichissement collectif et favorise la circulation du savoir. D’ailleurs selon plusieurs études, la diversité en entreprise est aussi signe de créativité, performances économiques et bien-être des équipes accrus.

Leviers d’action pour favoriser un monde de la Tech plus inclusif

Le manque de diversité actuel n’est en aucun cas une fatalité puisque nous avons évoqué le fait qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Il est donc important de faire évoluer l’inclusion de ce secteur pour s’adapter aux préoccupations de notre époque.
Plusieurs leviers d’action doivent aujourd’hui être mis en œuvre pour travailler à ce rééquilibre :

  • Impulser des changements sociétaux
    Il ne suffit bien entendu pas seulement d’inclure plus de diversité dans les équipes pour tout résoudre, mais d’avoir une réelle conscience du problème et de vouloir y apporter des solutions.
    Au-delà des stéréotypes à déconstruire, il est nécessaire de s’attaquer à un changement plus profond des représentations sociales, culturelles, ethniques et de genre dans notre société. Ces représentations se retrouvent dans les manuels scolaires, les publicités, les rayons des magasins, les jeux proposés aux enfants, … Si ce système hiérarchique social n’évolue pas, il ne pourra pas y avoir de changements durables, car les efforts seront à renouveler sans cesse. En effet agir sur les individus est important, mais agir sur le système, bien que plus complexe, représente le véritable défi. Et cela doit passer par un questionnement et une évolution de nombreux pans de la société tels que la politique publique, l’enseignement et l’éducation, le monde de l’entreprise, le monde culturel, les pratiques commerciales, … En tant que professionnels (enseignant, recruteur, …) une formation à l’identification des biais paraît déjà une première étape nécessaire.
    Aujourd’hui on parle souvent d’autocensure, mais c’est surtout la censure sociale qui pousse à s’inscrire dans des schémas prédéfinis et dans le cas présenté à se tourner vers des domaines où ses compétences sont plus facilement reconnues.
  • Comprendre et appuyer les principes de neutralité et d’équité
    Il n’est pas question de féminiser ou d’adapter le numérique à de nouvelles tranches de population en leur réservant certaines spécialités ou en y apportant de nouvelles caractéristiques. Ni de présupposer que le monde numérique et un monde d’hommes et qu’il faut s’y adapter. L’informatique est un terrain neutre par essence et tous les types de postes ou de missions peuvent être ouverts à toutes et tous, y compris les postes à fort degré de technicité ou à haut niveau de responsabilité.
    Il ne s’agit pas non plus de soudain privilégier des personnes en position d’infériorité, mais simplement de rééquilibrer la compétition sur le marché. Jusque-là des personnes ont été discriminées sur la base de critères ne comprenant pas leurs compétences, au profit d’autres profils plus homogènes. Chercher à faciliter l’intégration de ces personnes aujourd’hui, c’est simplement rétablir les principes d’équité et d’accessibilité au mérite.
    Dans cette même logique, se désolidariser des comportements discriminants, ce n’est pas prendre une posture de dominant venant en aide à une personne inférieure, mais c’est prendre position sur des sujets sociétaux qui nous représentent.
  • Mettre la diversité en lumière
    Afin de changer les représentations actuelles et d’aider d’autres publics à s’investir dans les métiers du numérique, il est important de pouvoir mettre en avant des modèles positifs et représentatifs. Pour se projeter dans l’avenir dès l’enfance et tout au long de notre carrière il est important de pouvoir s’identifier et s’inspirer de personnes qui nous ressemblent.
    Mettre en avant des profils variés qui ont réussi et s’épanouissent dans ce domaine est donc primordial, que ce soit au sein des écoles, par le biais des médias, à travers des associations, lors de prises de paroles d’entreprises, … Il faut aussi que le parcours de ces modèles paraisse accessible pour que la comparaison soit facilitée. N’est pas Ada Lovelace qui veut, mais il n’est pas non plus nécessaire d’être exceptionnel pour travailler dans la Tech.
    Le mentorat a également un rôle à jouer, puisqu’il permet au mentor de nouer une relation de confiance avec la personne mentorée tout en lui partageant son expérience.
  • Favoriser la diversité
    Favoriser un meilleur équilibre parmi les profils formés et recrutés dans le numérique peut également passer par la mise en place de concours et de bourses dédiés à certains publics, voire par la mise en place de quotas réservés dans les formations ou les entreprises. Il ne s’agit pas de réserver des places à des personnes qui ne le mériteraient pas, mais au contraire de permettre à des personnes compétentes de pouvoir accéder à ces places. Il s’agit encore une fois d’une simple question d’équité.
    Il est également indispensable que l’environnement de travail soit en accord avec les valeurs de bienveillance et d’inclusion et que tous les élèves / collaborateurs sans exception puissent se sentir respectés, intégrés, reconnus et en sécurité. Et cela nécessite la mise en place d’une véritable politique interne pour ne pas s’appuyer que sur des présupposés.

Il faut souligner qu’une plus grande mixité dans la Tech, et dans la société en général, n’est pas uniquement l’affaire des minorités, mais l’affaire de tous : grand public, pouvoirs publics, entreprises, comités RSE, associations, instances représentatives, …

De nombreuses initiatives sont aujourd’hui portées par des représentants sectoriels, des mouvements organisés et des associations.
Que vous souhaitiez suivre leur actualité, bénéficier de leurs efforts, participer à leurs activités ou vous appuyer sur leurs actions pour nouer des partenariats, je vous partage une liste non-exhaustive de quelques acteurs agissant en faveur de l’inclusion dans le secteur numérique :

  • Cyberelles, Girlz in Web, Duchesses France, Women in Tech, 50inTech, Paris Women in Machine Learning & Data Science… sont des réseaux de partage et d’entraide qui réunissent et mettent en avant des femmes de la Tech et mettent en place des actions pour construire une industrie numérique plus inclusive.
  • Syntec Numérique est une organisation professionnelle de l’écosystème numérique français. Après avoir lancé le programme Femmes@Numériques, elle a participé à la création de la fondation éponyme afin de faire connaître et de promouvoir les métiers du numérique auprès des femmes. La fondation LDidital partage ces mêmes objectifs à travers la sensibilisation des jeunes, l’accompagnement de transition professionnel et la valorisation de la mixité en entreprise.
  • Le collectif Sista a pour ambition de rétablir plus d’égalités entre femmes et hommes dans le cadre de financement d’entreprises, en soutenant notamment les femmes entrepreneurs afin de diversifier les équipes dirigeantes.
  • DesCodeuses s’engage pour l’inclusion des femmes issues de quartiers populaires. L’association forme ces femmes au numérique pour les ouvrir à de nouvelles opportunités d’emploi.
  • Diversidays est une association qui vise à ‘rétablir l’égalité des chances dans les carrières et l’entrepreneuriat dans le numérique’.
  • La fondation Simplon promeut un numérique inclusif, tourné vers les publics et les territoires les plus défavorisés, à travers l’insertion et l’emploi, la lutte contre la fracture numérique, la promotion des femmes dans les métiers de la Tech.
  • Techfugees est une organisation qui œuvre ‘à la reconquête de l’autonomie des personnes déplacées à travers des innovations numériques faites avec, pour et par elles’.
  • QueerJS et lesbiansWHOtech sont des communautés tech ayant vocation à offrir des espaces de parole bienveillants pour les métiers du numérique membres de la communauté LGBTQ+.
  • La French Tech est un mouvement qui réunit l’ensemble de l’écosystème des start-up françaises. Il a permis l’émergence de différents projets en faveur de l’inclusion dans le numérique tel que le lancement d’une Commission Diversité sur l’antenne de Lyon-St Étienne.

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