Réduire son empreinte carbone avec l’éco-conception : Greenwashing ou changement de paradigme au sein des acteurs de l’industrie en France ?

Dans le sillage de BIC, qui a réussi le tour de force d’améliorer la longévité de son best seller, le stylo Cristal, tout en mettant en place une filière de recyclage dédiée, de nombreuses initiatives d’éco-conception voient le jour chez les fabricants de produits manufacturés.

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Design — By Hal Gatewood

En tant qu’UX designer, Je vous propose un tour d’horizon critique de cette pratique émergente dans l’industrie.
En même temps, quand on apprend qu’en moyenne les ventes augmentent de 18% après un projet d’éco-conception (sans parler du crédit moral), ça suscite l’intérêt.

Industrie, business et éco-conception

Mardi 18 octobre s’est déroulée l’édition 2022 de l’Éco Event Grand Est.
Une journée organisée par la CCI du Grand Est autour de la thématique de l’éco-conception, et divisée en 2 temps : Une matinée consacrée aux conférences, et des rendez-vous d’affaires entre prestataires et partenaires potentiels l’après-midi.
Le sujet de l’éco-conception étant porté par de nombreux collaborateurs au sein de l’entreprise, il nous a semblé pertinent, à moi et à deux autres membres de l’équipe, de suivre les échanges autour de ce sujet dans une optique de décloisonnement des pratiques et de prise d’inspiration. Le tout pour permettre à d’autres (designers ou non) de pouvoir se nourrir de retours d’expérience et faire avancer leurs projets de manière plus responsable.

L’objectif des conférences était de présenter, au travers de retours d’expérience concrets, la manière d’intégrer l’éco-conception au sein de son business afin de faire baisser son empreinte carbone.

Démarche appliquée ici essentiellement à la production industrielle. Il s’agit d’un univers éloigné du produit numérique, mais dont les bonnes pratiques en termes d’éco-conception peuvent s’appliquer de manière transverse. En effet, un produit qu’il soit industriel, artisanal ou numérique, a un impact à la fois environnemental, social et sociétal.
La réflexion autour de sa conception commence donc toujours par les mêmes questions : À qui est destiné ce produit ? Existe-t’il des alternatives ? Est-il souhaitable éthiquement ? Quelles sont les étapes clefs ? Comment se compose sa chaîne de valeur ?

La captation de l’événement.

Les festivités ont démarré avec une prise de parole en forme d’introduction par Jean-Paul Hasseler, Président de la CCI du Grand Est et Irene Weiss, Conseillère régionale.

Dès les premières minutes le décor était planté :

Il faut trouver “une harmonie entre croissance et écologie”

Et ce, grâce à différents moyens relevant de la pure incantation magique. Pêle-mêle les sempiternels appels à l’innovation et au découplage.

On comprend tout de suite où on met les pieds : Business as usual, maquillé avec un peu de RSE pour ‘faire vert’. C’était prévisible, mais déceptif.
L’éco-conception est une approche globale ambitieuse, elle mérite mieux que ça. Et c’est à cet instant que l’ADEME entre en scène.

Des exemples opérationnels mais pas de vision

Émilie Albisser s’installe au pupitre, c’est la coordinatrice du pôle économie circulaire et du plan de relance de l’ADEME pour le Grand Est. Du sérieux, du scientifique et du concret donc ! Elle présente les quatre scénarios de l’ADEME pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Puis questionne l’assemblée (en présentiel et distanciel) sur son scénario de prédilection, le numéro 3.
Dans celui-ci, c’est le développement technologique qui permet de répondre aux défis environnementaux, plutôt que les changements de comportements vers plus de sobriété. On s’en remet à la croyance, quasi religieuse, en l’innovation et dans le génie humain pour nous sortir de la panade. Ce n’est pas comme si le “progrès” technologique était en grande partie responsable de la situation cataclysmique dans laquelle se retrouvent tous les écosystèmes.
Bref. Son message est clair : Il faut agir maintenant ! Et même si elle n’est qu’un outil, la technologie n’est pas la solution à tout.
Elle évoque l’ère des produits légers (théorie chère au designer Thierry Kazazian), qui ne semble pas avoir été intégrée par tous (Les déclarations officielles du gouvernement lors du salon de l’auto 2022 sont assez éloignées de ces considérations). Et en résumé, elle questionne profondément le modèle de développement économique dans lequel nous sommes (toujours plus énergivore et gourmand en ressources avec tout ce que cela implique en terme de destruction et d’aliénation). Elle invite les acteurs à repenser l’existant et à intégrer une réflexion sur l’impact environnemental à chaque étape du cycle de vie d’un produit, et ce pour chaque partie prenante de la chaîne de valeurs. C’est argumenté, clair et pertinent.

Ça pourrait laisser présager d’une montée en puissance des interventions. Mais en fait non.

Les différents intervenants qui se sont succédés, malgré leur évidente bonne foi et volonté sincère de faire mieux se sont heurtés au mur du réel, sans jamais chercher à repenser le système ou tout du moins à le questionner.
Par exemple, CEO de Dot-Drops, Julien Ehret nous présente son produit : Une valise qui se veut éco-conçue. Sur quels critères a-t-elle été éco-conçue ? Son design ne change pas, ce qui garantit une production des pièces, et donc une réparabilité optimale. Car selon une de leurs études, actuellement 84% des possesseurs de valise la jettent plutôt que de la faire réparer lorsqu’une roue casse. La réparabilité est renforcée par un engagement de facilité à changer une pièce avec un outil simple, et donc une manipulation à la portée de chacun.
Mais en revanche, dès que la question de la production desdites valises est évoquée, on tombe de haut : Elles sont produites en Chine. Alors oui, chez un prestataire soit-disant exemplaire (sur des standards chinois ou européens ?). Mais il est évident que ce facteur transport dans la chaîne de valeur n’est pas en cohérence avec une démarche globale d’éco-conception. Bien sûr, pour des raisons de coûts, la Chine reste imbattable pour produire ce genre de produit, et qu’en l’état une alternative économique crédible en Europe, pour ne pas parler de la France, semble relever de la science-fiction.

C’est justement à ce moment de l’échange qu’une réelle prise de hauteur aurait été souhaitable. On aurait dû entendre des voix s’élever pour en appeler à la responsabilité et à la stratégie des industries et des politiques !
Il n’est pas normal que pour un entrepreneur français qui produit un objet destiné à une certaine catégorie de consommateurs (check prix valise), la seule solution économiquement viable soit de produire à 15 000 km de là, puis de faire transporter cette marchandise sur des super tankers.

Sans parler de démocratiser l’accès à des produits durables et vertueux. Là encore on ne s’adresse qu’à une minorité de privilégiés.
‘Mais on n’y peut rien, c’est comme ça.’ : C’est en majeure partie ce qu’il va ressortir des autres prises de paroles. De l’envie, des idées, mais cantonnées au cadre et limites attendues de l’économie libérale mondialisée.

Des idées, de l’envie mais aucune ambition

Le reste des interventions est du même acabit. Avec les cosmétiques et produits d’hygiène présentés par Sodipro, dont l’approche est intéressante bien qu’attendue. À savoir le recours au solide, au pastillage et au rechargeable. À partir de composants certes bio sourcés, mais questionnables (De la noix de coco ? Peut-être pour faire de l’éco- coconception à la rigueur).
Globalement des techniques en rupture avec les grands acteurs du marché, mais déjà maintes fois déployées, que cela soit dans votre magasin de vrac de quartier ou dans de multiples campagnes de crowdfunding :

Dont la promesse est de révolutionner le monde des cosmétiques ou des produits d’hygiène. La réalité est cependant connue de tous : Ces produits sont massivement achetés auprès de grands groupes et auprès de la grande distribution, dans des contenants en plastiques jetables. Ce sont les rapports d’échelle qui sont ici désespérants.

La grande distribution est la cliente principale d’une autre structure intervenante : NORA. Celle-ci conçoit des supports de communication visuelle et de signalétique. Et là aussi, malgré une belle volonté et des envies de bien faire évidentes (mention spéciale au don des chutes de découpage de PLV aux écoles), on se fracasse sur le mur de la triste réalité. Réalité où, quand on est un acheteur issu de la grande distribution, on considère qu’un objet éco-conçu, économe en ressources et donc moins cher a une qualité perçue bien moindre. L’éco-conception impliquerait donc une baisse de la valeur des objets ? Le chemin est encore long.

On peut néanmoins louer la démarche d’acteurs conseil comme MAOBI ou AMULIS qui ont initié une transformation en profondeur chez leurs clients (plutôt des profils PME). Une transformation qui porte autour de la responsabilité et de l’intégration de l’idéation dans la conception de produit. La démarche design comme solution ? Voilà qui est (enfin) intéressant !
Cette approche de design thinking, qui de par son essence même questionne tous les aspects de la conception produit, a l’avantage d’être assez économe en ressources, de faire appel à l’intelligence collective et de facilement s’intégrer dans une démarche globale d’éco-conception. Néanmoins toutes ces considérations se doivent d’être approchées avec de la hauteur et de commencer avec la question essentielle que tout projet éco-conçu doit aborder en priorité : En a-t-on vraiment besoin ?
Et au-delà, la destruction d’écosystème inhérente à toute activité économique se justifie-t-elle par le plaisir pécuniaire qu’une minorité arrivera à en retirer ?

Photo by Edward Howell

Quoi qu’il en soit, si vous envisagez d’intégrer une démarche éco-conçue dans vos projets (numériques ou non), gardez en tête que l’écoconception vise à intégrer des aspects environnementaux dans la conception et le développement de produits.

Et que même avec la meilleure volonté du monde, toute production à un impact. Oui, même ces quelques lignes sont hébergées quelque part et demandent de l’énergie et des ressources pour pouvoir être lues…

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