Comment intégrer les enjeux écologiques et sociaux à la pratique agile ?

La solution viendrait-elle de l‘événement Agile En Seine ? En tout cas plusieurs pistes y ont été abordées. Lors de cette édition 2022, un des thèmes les plus en vus a été la convergence de l’écologie et du social dans le Framework Scrum.

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9 min readNov 24, 2022

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Idées — by Aaron Burden

Développeur PHP Symfony, Scrum master et Product Owner de jour, Jérôme est également membre du RSE de Linkvalue, fresqueur, rédacteur d’articles sur le greenIT et participant d’une association sociale la nuit.
Son métier et ses engagements le mènent régulièrement face à une dissonance cognitive entre ses aspirations personnelles et sa vie professionnelle.
Dans sa réflexion pour concilier ses deux aspects, il a assisté aux deux journées de conférence proposés par Agile en Seine cette année.
Il revient sur trois talks qui ont notamment proposés des évolutions du framework Scrum pour prendre en compte ces thématiques sociales et environnementales.

Une adaptation du manifeste agile

Le constat de Gwénaëlle Hirrien est simple : Pourquoi ne pas proposer un nouveau manifeste agile prenant en compte les contraintes sociales et environnementales, qui sont plus que jamais sur le devant de la scène suite aux différents rapports du GIEC et à l’actualité ?

Pour rappel, le manifeste agile a été rédigé par des développeurs et des chefs de projet en réaction aux projets réalisés en cycle en V, également nommés waterfall, dans lesquels toutes les spécifications du projet sont écrites dans des bibles de centaines de pages, difficiles à lire et à maintenir.
Dans ces projets, chaque étape — conception, design, développement, test, intégration — se déroule l’une après l’autre, quand le travail de l’équipe précédente est fini.
Les rédacteurs du manifeste ont aussi constaté que la partie administrative prenait du temps sur le développement au lieu de se concentrer sur l’avancée du projet.

Le manifeste s’est alors construit autour de quatre bases :

  • Les individus et leurs interactions, en préférence aux processus et aux outils,
  • Des solutions opérationnelles, en préférence à une documentation exhaustive,
  • La collaboration avec les clients, en préférence aux négociations contractuelles,
  • La réponse au changement, en préférence au respect d’un plan.

(Noter la formulation : Il s’agit d’une priorisation d’une action sur l’autre et non d’un abandon des anciennes pratiques).

Le manifeste est complété par une douzaine de principes.
Ces grands préceptes ont ensuite inspiré différentes méthodologies de développement d’applications telles que Scrum, extreme programming, kanban, …

Ces derniers ont été pensés pour fluidifier le développement, mais certains acteurs du numérique regrettent aujourd’hui l’absence de prise en compte des sujets écologiques et sociaux dans leur formulation.

Gwénaëlle Hirrien propose donc un deuxième manifeste, nommé “green agile”, pour compléter celui déjà existant.
Ce manifeste complémentaire a pour objectif d’aider les différentes parties prenantes à s’en tenir aux contraintes suivantes :

  • Se concentrer sur l’humain et ses besoins versus l’exploitation des biais cognitifs. C’est-à-dire se concentrer sur le but de l’application, sans utiliser les dark pattern.
  • Développer des logiciels optimisés versus des applications énergivores. Cela signifie s’appuyer sur une démarche d’éco-conception.
  • Proposer de la valeur utile versus consommer et créer des marchés captifs. C’est-à-dire développer une application utile pour le monde et non forcer les utilisateurs à utiliser certaines fonctionnalités, et éviter tout ce qui est obsolescence programmée.
  • L’amour de l’existant et son adaptation versus la course à la croissance. Ce qui signifie utiliser le plus longtemps possible des applications qui soient utilisables sur le maximum d’appareil.

L’autrice ne fait que suggérer ce manifeste et vous pouvez la contacter pour lui soumettre d’autres idées. Mais ces quatre principes regroupent des concepts intéressants, qui couvrent une variété de sujets, aussi bien dans la réalisation que dans la conception.

Contrairement aux deux autres évolutions du framework Scrum, abordées ci-dessous, l’approche poussée par Gwénaëlle Hirrien sert de boussole face aux contraintes techniques, financières et temporelles des projets.

Son propos est très complet, avec une présentation des enjeux du numérique responsable simple et accessible. À visionner pour tous les agilistes intéressés par ce sujet :

Une intégration de la RSE au cœur des pratiques agiles

De son côté, Klee Group est convaincu que le Scrum et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ont une approche similaire. Ils considèrent que leur but consiste à apporter le plus de gains possibles aux utilisateurs avec le minimum d’efforts.

De fait, l’approche de Klee group se concentre sur le Scrum et propose de compléter chaque kanban avec un éco-score basé sur les impacts sociaux et environnementaux du ticket. L’entreprise ne parle alors plus d’User story, orientée vers l’utilisateur final, mais de Responsable citizen story.

Pour cela l’entreprise a déterminé quatre axes principaux à optimiser et monitorer :

  • La technologie : la taille des transferts, le stockage, la maintenance, souvent déjà mesurés dans les projets responsables,
  • L’architecture : monolithe, micro-services, modulaire,
  • L’organisation : prise en compte des à-côtés du projet comme la diminution des déplacements, l’utilisation d’outils déjà existants pour éviter d’en développer de nouveaux, …,
  • La conception : choix des KPI à surveiller, formation des parties prenantes et diffusion des KPI pendant les différentes itérations.

En plus du contenu de la fonctionnalité à développer, chaque kanban est donc associé à un diagramme araignée, comprenant 5 sommets donnant une note de 0 à 5 sur les items suivants :

  • Transfert : Pour la fonctionnalité décrite, quels sont les impacts du transfert de données ?
  • Parcours : Pour la fonctionnalité décrite, est-ce que le parcours est optimisé pour qu’il soit le plus rapide et court possible ?
  • Stockage : Est-ce que la fonctionnalité ne stocke que le minimum de données nécessaires à son fonctionnement ?
  • Compatibilité : Est-ce que la fonctionnalité est compatible avec le maximum d’appareils ?
  • Maintenance : Est-ce que la maintenance de la fonctionnalité est coûteuse ?

Ces 5 sommets sont ensuite pondérés pour établir un éco-score.

Les orateurs sont revenus sur la notion de maintenance et de Long Term Support release, à savoir la version mineure maintenue sur le long terme. Par exemple, Symfony s’engage à corriger les bugs sur 3 ans et à corriger les problèmes de sécurité sur 4 ans alors que les versions standards sont maintenues sur 8 mois :

De fait, une fonctionnalité sous Symfony demande donc une maintenance tous les 3 ans. Cette réflexion est — à ma connaissance — assez peu prise en compte dans la maintenance des projets, pour lesquels il y a tendance à produire une application sans prendre en compte l’après déploiement.

Pour en revenir à l’éco-score de Klee Groupe : L’avantage de ce scoring est de mettre en avant les inconvénients et gains apportés par le kanban au logiciel développé. Cela de la même façon que le gain métier permet de connaître les gains estimés pour les utilisateurs du logiciel. Pour rappel, la complexité est un indicateur de la difficulté à mettre en place le développement demandé.
À partir de ce score, le Product Owner peut donc prendre la décision, ou non, de réaliser le ticket.

Klee Group propose également d’utiliser une évolution du modèle classique des US “en tant que …, je veux … afin que …” par des RCS (Responsible Citizens Stories) en suffixant ces templates par “en veillant à ” (+contrainte écologique), “en se limitant à” (+ fonctionnalité la plus légère possible).

Les conférenciers ont aussi mis en avant la gouvernance et l’origine géographique des librairies utilisées, que peu de développeurs (et je parle par expérience) prennent en compte. Qui a déjà réellement donné de l’argent et/ou écrit des commits pour un projet public ? Qui regarde systématiquement l’origine du pays dans lequel un outil utilisé a été développé ?

Au final, l’approche de Klee Group complexifie la mise en place des kanbans. Néanmoins sa méthode chiffrée, prenant en compte la complexité du développement, ainsi que l’impact écologique et social permet d’obtenir un éco-score indiquant sa pertinence au niveau écologique et social. Il permet également de lancer une discussion sur les gains potentiels avec les parties prenantes.

Un agile engagé et responsable « by design »

La dernière proposition de l’évolution de l’Agilité se concentre à nouveau sur l’implémentation de Scrum.
Dans cette préconisation, le framework reste identique mais Clémence Bonnet y ajoute 2 surcouches :

Un mandat “RSE” de l’équipe

Ce mandat sert à l’équipe à se projeter dans une dynamique plus responsable.
L’atelier associé conseillé est “la carte postale du futur”. Lors de cet atelier tous les participants de l’équipe s’imaginent leur moi de fin de projet qui leur envoie un message pour raconter ce qui a réussi.

Ce choix fort permet aussi aux parties prenantes de mieux accepter la prise en compte des nouveaux enjeux des équipes, au-delà de la réalisation du projet.

Un monitoring fort afin de valider si les actions entreprises sont utiles

Ce dernier point n’est pas étonnant, mais motive les PO / PM et l’équipe de développement à choisir des données à suivre afin de mesurer les évolutions des impacts du projet.

Par ailleurs, en plus d’un poker planning habituel, l’oratrice évoque le rajout d’un impact poker dans lequel tous les membres de l’équipe (donc pas seulement les développeurs) donnent leur avis sur le kanban.
Cet avis est :

  • Soit neutre — le kanban n’apporte rien de bien ou mal,
  • Soit favorable — le kanban est plutôt bon côté social et/ou écologique,
  • Soit défavorable — car trop coûteux en ressources ou car le kanban porte un dark pattern de conception par exemple.

Le but de ce poker est de lancer une discussion. Ainsi, si un kanban est vu comme défavorable, les participants discutent pour améliorer le ticket afin qu’il soit accepté par tout le monde.
Par exemple, au lieu d’avoir une vidéo 4K en lecture automatique lors du scroll, le PO peut accepter de changer la vidéo en 480px en lecture manuelle, ce qui diminue l’impact écologique du ticket.

À noter que Clémence Bonnet et son entreprise Suricats consulting développent un jeu de cartes spécifiques pour réaliser un tel rituel. Il résume les axes à prendre en compte avant de donner un vote sur une fonctionnalité.

Pour finir, la rétrospective est aussi le moment où l’équipe prend du recul par rapport au sprint, afin de valider si le mandat choisi est suivi ou au contraire mis de côté en regardant les KPI d’impact (et non de productivité).
Le scrum master doit maintenant prendre en compte cette nouvelle contrainte. Il a pour mission en particulier de creuser les causes racines des problèmes rencontrés si l’écart des KPI est trop important par rapport au mandat initial. Il peut ainsi proposer d’améliorer les capacités de l’équipe avec des formations greenIT, de remettre en cause le mandat initial (car trop difficile à tenir), de sensibiliser l’écosystème du projet dont les parties prenantes qui ne comprennent pas les enjeux et les contraintes que l’équipe s’impose… Bien sûr, le Scrum master continue également d’améliorer le fonctionnement de l’équipe pour qu’il soit le plus optimal possible.

La différence avec l’approche précédente menée par Klee Group est la ritualisation de la RSE au niveau des réunions portées par le framework Scrum et l’absence d’éco-scoring remplacé par une donnée à 3 valeurs (neutre, favorable, défavorable).

Plus d’informations sur la méthode avec un premier visuel de cartes : https://www.suricats-consulting.com/framework-methode-agile-engage/

De l’envie et du challenge

Au final, que retenir de ces trois conférences ?

Pour commencer que les équipes ont intégré que le framework Scrum est ouvert, ce qui permet de modifier les rituels pour qu’ils collent aux attentes non prises en compte par les premiers rédacteurs.

Ensuite, que je n’étais pas seul face à mes envies de relier mes aspirations quotidiennes avec ma vie de développeur et chef de projet.

Cependant, le plus compliqué reste à faire : Comment motiver les sponsors à croire en ce projet, plus coûteux en temps et donc en argent, et à prendre en compte les approches présentées ? Comment sensibiliser les parties prenantes à ces problématiques afin qu’elles acceptent les délais, voire le refus, de développement de certaines fonctionnalités ? Car n’oublions pas que le développement le plus écologique, social et sans défaut est celui non réalisé.
Et comment éviter les pièges du green ou du social washing si le business model de base est mauvais pour la Terre ?

La réflexion continue !
Mais dans tous les cas on salue l’envie des organisateurs d’Agile en Seine de mettre en avant ces sujets importants pour beaucoup de développeurs et PO. En revanche, pour être jusqu’au-boutiste, on peut émettre un bémol sur la démarche écoresponsable de l’événement à travers les sacs de goodies distribués et remplis de produits inutiles, ainsi que les flyers des partenaires, alors que ces derniers pouvaient récupérer facilement nos données personnelles. Les entreprises qui proposaient des conférences ont en effet pu nous recontacter après le salon afin de nous envoyer leurs slides.
Un petit effort sur ce sujet et ce serait l’événement parfait !

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