Tech for Good : La responsabilité sociétale et environnementale des acteurs du numérique

Joy Schlienger
11 min readApr 28, 2022

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Rien qu’en France, plus de 500 000 personnes étaient salariées dans le secteur numérique en 2020 (sources BIPE et Numeum). Il faut également y ajouter les profils de free-lances et autres initiés aux nouvelles technologies.
Il s’agit donc d’un effectif considérable, capable d’avoir un impact majeur sur son écosystème et sur la société.

Impact — Photo de Jordan McDonald

La Tech : Un potentiel à maîtriser

Le secteur du numérique est confronté à diverses problématiques et externalités propres à son activité.
Parmi les plus notables, nous retrouvons :

  • Une empreinte carbone conséquente et croissante
    Le numérique représente 4% des émissions carbone mondiales et son empreinte croît d’environ 8% par an. Or il faudrait que ses émissions soient divisées par six d’ici 2050 pour maintenir une trajectoire compatible avec les Accords de Paris.
    Ces émissions sont dues à la fabrication et à l’usage des infrastructures de télécommunication, des data centers et des terminaux informatiques.
    Il est donc nécessaire d’appliquer des principes de sobriété numérique pour favoriser la durée de vie des équipements et des services, et réduire la consommation énergétique de l’ensemble de la chaîne.
  • Une inégalité d’accès et d’usage
    En France, 13 millions de personnes rencontrent des difficultés à accéder, utiliser ou comprendre les outils numériques.
    Cette fracture numérique traduit une forte inégalité aux raisons multiples.
    Les acteurs du numérique se doivent de les prendre en compte en proposant des outils accessibles et adaptés à l’ensemble des utilisateurs.
  • Un manque de représentativité au sein des métiers
    Des produits et services technologiques imaginés et conçus
    par un groupe social prédominant comportent inévitablement des biais. En France, seulement 23% des métiers du numérique sont occupés par des femmes. Ce manque de représentativité peut mener à une uniformisation ou une inadéquation des applications proposées sur le marché et donc à des besoins non adressés.
    Une plus grande diversité sociale et culturelle dans les effectifs est donc indispensable au développement d’applications représentatives.
  • Un accroissement des risques liés à la sécurité et à la protection des données personnelles
    Selon l’ANSSI, le nombre de cyberattaques a été multiplié par 4 sur l’année 2020. La progression du télétravail, le manque de sensibilisation des individus et le manque d’évaluation des risques dans certaines entreprises favorisent ces intrusions. Il est donc nécessaire de maîtriser l’exposition aux risques et de sécuriser davantage les données.

Il est donc primordial d’adresser ces enjeux pour pouvoir s’inscrire dans la résolution de problématiques plus larges. Les services numériques se doivent déjà de baser leurs standards sur des principes de sobriété, d’accessibilité, de sécurité et d’éthique. Une fois ces points maîtrisés, la technologie peut alors servir d’autres objectifs et notamment ceux de la Tech for Good.

Enjeux sociétaux et Tech for Good

Au-delà de la manière de concevoir, il est aussi important de questionner la finalité de son travail : Au service de quoi ai-je envie de mettre mes compétences ? Le mouvement Tech for Good fait justement référence à l’utilisation des technologies pour le bien commun. Il s’appuie sur les nouvelles technologies pour résoudre des enjeux sociétaux et environnementaux. Il englobe des initiatives numériques qui aident à atteindre les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU, tels que la lutte contre la faim et la pauvreté, l’égalité des sexes, une éducation de qualité, la bonne santé et le bien-être, la réduction des inégalités, la lutte contre les changements climatiques, …
Le secteur du numérique a une forte capacité d’impact sur ces sujets et peut contribuer à l’innovation de solutions concrètes et à la transformation de certains marchés.

Tech for good : Les acteurs

Dans le cadre de cette mobilisation pour le bien commun, tous les acteurs publics et privés du secteur numérique ont un pouvoir d’action. Tous sont concernés par les grands enjeux de notre époque et tous, à leur échelle, ont la possibilité de prendre part à leur résolution.

Les entreprises
La Tech for Good a sa place dans l’écosystème entrepreneurial, que ce soit à travers :

  • des start-up innovantes qui se développent sur ces thématiques,
  • des entreprises qui s’engagent et permettent à leurs collaborateurs de s’engager sur ces sujets,
  • des entreprises à mission ou à impact qui replacent l’impact sociétal au cœur de leur modèle.

Les collectifs et associations
De nombreuses initiatives Tech for Good sont portées par des collectifs et des associations ou leur bénéficient (comme la plateforme HelloAsso). Le domaine de l’économie sociale et solidaire s’y appuie notamment pour élargir son impact.
Ces acteurs ont également un rôle de sensibilisation, de mise en réseau et de mise en avant des initiatives existantes.
C’est ainsi que de nombreuses conférences professionnelles intègrent dorénavant des catégories Tech for Good (CES, Viva Technology) ou se créent autour de ces sujets (Change Now).

Les individus
En tant que travailleur du numérique, vous pouvez avoir d’autres moteurs et ne pas avoir forcément le souhait de vous engager. Mais selon les lois fondamentales de Kevin Kranzberg : ‘La technologie en soi n’est ni bonne ni mauvaise, et elle n’est pas neutre non plus.’ C’est-à-dire que les technologies ont nécessairement un impact, mais la nature de celui-ci dépend de leur utilisation.
Vous êtes donc en partie responsable de l’impact généré par les produits et services numériques que vous concevez. Sans être forcément militant, il reste donc crucial de prendre conscience de l’impact de son travail pour prendre des décisions éclairées.
Et ensuite en tant que citoyen, chacun peut aussi s’engager en mettant à profit ses compétences numériques sur son temps personnel, mais aussi en favorisant des produits et services issus de la Tech for Good ou d’organismes partageant ces mêmes valeurs.

L’État et les collectivités
Les initiatives Tech for Good sont complémentaires à l’action de l’État, qui a la responsabilité d’agir face aux problématiques sociales et environnementales. Via la législation et sa politique d’investissement, l’État doit mettre en place des mesures pour une société plus durable et responsable, mais aussi favoriser l’émergence d’initiatives par des acteurs externes.

Les Objectifs de Développement Durable sont des objectifs communs et il est nécessaire que l’ensemble de ces acteurs travaillent en collaboration pour les atteindre. La responsabilité et la mise en mouvement ne reposent pas que sur l’un d’entre eux, et l’action de chacun est nécessaire.
Cette collaboration repose sur une intention partagée, un dialogue et une écoute mutuelle, l’utilisation d’outils collaboratifs et le partage de données et de licences en open source.

Les leviers d’impact

En tant qu’entreprise ou actif dans le monde la Tech, il y a un large champ d’actions réalisables pour avoir un impact positif à travers son activité numérique :

  • Sensibilisation et formation
    Le premier pas vers des technologies à impact positif est l’éveil aux enjeux sociaux et environnementaux. Il est important de se former techniquement à l’écoconception, à la sécurité et à l’accessibilité, mais il l’est tout autant de s’ouvrir et de se sensibiliser aux sujets sociétaux.
    Pour cela, outre la veille personnelle, il est intéressant de participer à des discussions et ateliers comme la Fresque du climat, la Fresque du numérique, atelier du Tech for Good Tour, … Puis d’échanger et de diffuser autour de soi sur ces réflexions.
  • Travail et contributions open source
    L’Open Source est une pratique de partage de ses éléments de travail (code source, méthodologie, données et résultats de recherches, …) pour permettre à d’autres de les réutiliser.
    Par exemple, la société Time for The Planet s’est fixée pour but de déployer 100 innovations pour lutter contre les gaz à effet de serre. Toutes ces innovations auront des licences open source. Ainsi d’autres entreprises pourront s’appuyer sur ces innovations, ce qui permettra de les améliorer, de les diffuser encore plus largement et qu’elles bénéficient à toute l’humanité et au bien commun.
  • Choix des clients et des projets
    Il est possible à la fois de se tourner vers des acteurs encore peu avancés sur ces sujets afin de les aider dans leur transformation. Ou aussi de se tourner vers des projets aux valeurs durables et responsables pour les aider à concrétiser un produit ou service et à démultiplier leur impact.
    Mais en effet, il ne faut pas laisser de secteurs de côté, car tous doivent être impliqués pour atteindre les Objectifs de Développement Durable. Il est donc important de sensibiliser et d’accompagner l’ensemble des clients dans cette direction. Mais il reste pertinent de définir des règles d’éthiques afin de choisir des projets ou clients soient déjà engagés, soit qui ont le potentiel ou la volonté de l’être, et de définir un objectif de part de chiffre d’affaires générée par des projets engagés sur la transition écologique et sociétale.
  • Choix des prestations et solutions
    En tant qu’acteur du numérique, il est aussi impactant d’arbitrer le choix de ses outils et prestations selon des critères environnementaux et sociaux.
    En choisissant des prestataires engagés, proposant des solutions durables et responsables, on agit également sur l’impact des technologies. Par exemple en se tournant vers des data centers écoresponsables, en soutenant des filières de réemploi ou encore en utilisant des outils libres.
  • Participation à des hackathons ou à des initiatives collectives
    Un hackathon rassemble des participants autour d’un projet commun et permet de favoriser l’innovation. Participer à ces sessions de travail collaboratif et d’intelligence collective permet d’aider à faire émerger de nouvelles solutions pour résoudre une problématique.
    Le hackathon Hack the Crisis avait par exemple pour but d’aider à la lutte contre la Covid-19 en passant d’une idée à un prototype en 48 heures.
    Et le hackathon annuel Call for Code, a pour objectif de faire émerger des projets open source utiles sur le plan social ou humanitaire.
  • Bénévolat
    De nombreuses associations recherchent également des compétences numériques pour les aider dans leurs missions ou dans leur développement. Les besoins sont variés et peuvent prendre la forme de mécénat de compétences, de mentorat, de développement d’applications, …
    La mise en relation peut se faire via des plateformes telles que Vendredi, des collectifs comme Latitudes ou en contact direct.
  • Développement d’initiatives
    Il est également possible de développer soi-même ou en groupe ses propres initiatives.
    Un groupe de Partners Linkvalue vient par exemple de lancer le projet “Reviewers du cœur”. Ils proposent des séances de revues de code sur différentes technologies. Une façon pour eux de partager leur expérience, d’aider et de faire progresser les futures ou jeunes développeuses et développeurs.
  • Engagement et partenariat
    Rejoindre et soutenir des initiatives peut aussi se faire sous la forme de signature de charte, souscription à un collectif, engagement dans des programmes de mesure, de mise en mouvement ou de labélisation, …

Les domaines d’applications de la Tech for Good

Les initiatives technologiques à impact positif peuvent être des initiatives isolées, portées par un individu ou une personne morale, ou être constituées de nouvelles offres et services d’entreprises ou organismes. Et leur portée peut être locale, nationale ou internationale. Dans tous les cas, elles peuvent s’inscrire dans l’ensemble des secteurs, que ce soit :

La santé (Health Tech)
Des initiatives pour faciliter la prévention, les diagnostics, l’accès aux soins, la recherche, …

  • Lors de la pandémie de Covid-19, Guillaume Rozier, ingénieur informatique spécialisé dans le traitement des données, a créé deux initiatives suivies par des millions d’utilisateurs : Vite ma dose, pour trouver un créneau de vaccination, et Covid tracker, pour suivre l’évolution de la situation sanitaire. Grâce aux données mise à disposition par le gouvernement, il a pu développer ces deux services en autonomie sur son temps personnel.
  • Yuka est une application qui scanne les produits alimentaires et cosmétiques pour informer l’utilisateur de l’impact du produit sur sa santé. Cela aide ainsi les consommateurs à faire des choix éclairés pour leur santé, mais incite aussi les industriels à proposer de produits plus sains.

L’économie circulaire
Des initiatives pour faciliter la récupération et la revalorisation de produits de consommation

  • Les applications Too Good To Go et Phenix permettent de lutter contre les invendus alimentaires en proposant des paniers à sauver à moindre coût via leurs applications.
  • Back Market propose la vente de produits technologiques reconditionnés et un service de reprise des produits. Ces deux offres permettent de limiter l’empreinte environnementale des terminaux numériques en allongeant leur durée de vie, en évitant l’achat de produits neufs et en favorisant la revalorisation des différents composants.

L’inclusion (Tech for Inclusiveness)
Des initiatives sociales et solidaires pour réduire les inégalités, qu’elles soient liées aux situations de handicaps, à la pauvreté, …

  • Reconnect est une plateforme de stockage et de partage de documents qui facilite les démarches d’accompagnement social des personnes vulnérables. Le coffre-fort numérique proposé permet de conserver des copies numériques de documents administratifs, de notes, de contacts utiles, … Et de le mettre en lien avec les organismes dont on est bénéficiaire.
  • L’application Be My Eyes permet de mettre en relation des personnes non ou mal voyantes avec des personnes voyantes, pour leur fournir une assistance visuelle et les aider dans certaines situations : se repérer dans un lieu, lire une information, cuisiner, décrire et aider à choisir un vêtement, …

Mobilisation solidaire exceptionnelle
Au-delà des enjeux sociaux et environnementaux identifiés, les acteurs du numérique ont également la capacité de se rassembler pour des besoins exceptionnels et imprévus comme lors de catastrophes naturelles, d’accidents de grandes ampleurs, de situation de guerre, …
C’est le cas de l’offensive russe en Ukraine, qui a généré une forte mobilisation de la communauté Tech pour aider les Ukrainiens déplacés dans d’autres pays ou restés sur place. Des dizaines d’initiatives ont vu le jour parfois en quelques jours ou semaines : Développement de la plateforme WeUkraine pour recenser toutes les initiatives citoyennes et humanitaires à destination de l’Ukraine, développement de la plateforme EU4U pour mettre en relation personnes déplacées et familles d’accueil ou EmployUkraine qui met en relation des profils ukrainiens et des entreprises pour trouver un emploi.
Et aussi, le mouvement #TechforUkraine qui fédère les entreprises qui souhaitent apporter leur aide via des dons, mais aussi par exemple via le renforcement en sécurité de systèmes informatiques.

Dans cette liste non exhaustive, on retrouve également :

  • Les FinTechs qui promeuvent la finance éthique et à impact.
  • Les ClimateTechs au service de la protection de l’environnement avec des technologies pour réduire ou capter les émissions carbones, favoriser la transition vers des déplacements moins carbonés, améliorer le traitement des déchets, …
  • L’EdTech qui favorise l’accès à l’éducation et le développement de nouveaux modes d’apprentissage innovants.
  • La FoodTech qui regroupe les initiatives technologiques sur l’ensemble de la chaîne alimentaire, de la production à la consommation. Elle s’axe sur l’accès, la qualité et la durabilité de l’alimentation.
  • La CivicTech qui favorise la participation citoyenne au processus démocratique.

Limites de la Tech for Good

  • Attention au techno solutionnisme !
    Les technologies n’ont bien évidemment pas vocation à tout résoudre et génèrent elles aussi certaines externalités négatives. Malgré tout elles ont un rôle à jouer pour faire émerger de nouvelles opportunités et faciliter la transition. Et par technologie, on peut entendre low tech, qui questionne les impacts et aborde la technologie à travers son utilité, son accessibilité et sa durabilité.
  • La mise en mouvement de l’ensemble des acteurs est nécessaire.
    Les actions Tech for Good des entreprises et organismes ne doivent par exemple pas remplacer l’action publique, ou inversement attendre d’être contraintes par la législation. Chacun doit assumer sa responsabilité et faire sa part pour avancer de concert.
    Et l’inertie de certains ne doit tout de même pas servir d’excuse à l’inaction.
  • Limite de moyens
    La conception, le développement et le déploiement d’initiatives Tech for Good peuvent être chronophages et nécessiter des moyens matériels et financiers importants. S’il est tout à fait possible d’agir individuellement ou à petite échelle, on peut à un moment se retrouver contraint par ces limites pour faire avancer un projet ou pour lui permettre de changer d’échelle.
    D’où, encore une fois, la nécessité de collaborer avec différents acteurs pour bénéficier de synergie et s’appuyer sur les moyens d’action de chacun.
  • Tech For Good washing
    La Tech for Good peut être vue comme une opportunité commerciale par des acteurs à la recherche de profit. Et malheureusement, c’est d’ailleurs souvent le bilan financier qui est valorisé par des investisseurs plutôt que l’impact.
    La mesure de l’impact est cependant un indicateur majeur pour évaluer la pertinence et l’authenticité d’une initiative qui se dit à impact positif.

Des articles sur le numérique inclusif et responsable et des sujets de développement web et mobile, de data science, de conception produit et d’organisation du travail sont régulièrement publiés sur le compte Medium de Positive Thinking Company. N’hésitez donc pas à le suivre pour être notifié des prochaines publications et réaliser votre veille professionnelle.

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