L’entretien utilisateur ? Pourquoi ? Quand ? Comment ?

Méthodologie UX

Morgane Lecordonnier
Cheval de Troie

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#Introduction

Il n’y a pas de secret, la technique la plus simple pour comprendre, connaître l’avis et les besoins des utilisateurs, est encore de les faire parler d’eux.
La méthodologie dont je vais vous parler aujourd’hui s’appelle « l’entretien utilisateur » (ou « interview utilisateur »). Vous la connaissez sûrement mais je vais me faire une joie de vous donner mes propres petits trucs et astuces pour mener à bien cet exercice.

Pour ceux qui ne connaissent pas (ou qui ont besoin d’une petite piqûre de rappel) : qu’est-ce qu’un « entretien utilisateur » ?
Il s’agit simplement d’une des méthodes fondamentales d’UX Design. Elle consiste en un dialogue entre le concepteur d’un produit ou d’un service et un utilisateur potentiel. L’objectif de ceci est de collecter un maximum de données grâce à une suite de questions appelée « guide d’entretien » posée à l’interviewé.

Cette technique est l’une des plus utilisées dans notre métier pour plusieurs raisons. Premièrement, les UX Designers peuvent se servir de cette méthodologie aussi bien dans le cycle de conception que dans la phase d’exploration et les phases d’évaluation du système. Deuxièmement, lorsque l’on a compris les principes pour faire de bonnes interviews utilisateur, il est assez facile de comprendre comment faire des « Focus group », des questionnaires exploratoires et des tests utilisateurs. Et enfin, elle est assez simple à mettre en place.

#Préparation

Avant même de se lancer il est important de faire un point sur la manière de procéder et l’état d’esprit dans lequel il faut que nous, UX Designers (de génie), soyons.

Il est intéressant de savoir qu’il existe plusieurs types d’entretien (laddering, incidents critiques, instruction au sosie, etc.). Bien que tous soient basés sur « l’entretien non-directif » de Rogers (1942), certains aspects peuvent diverger (niveau de directivité, approche plus ou moins marketing, ergonomique, etc.). Je ne vais pas rentrer dans les détails de ces techniques et vous laisse le soin de faire quelques recherches supplémentaires puisque je préfère m’attarder ici sur le procédé de base (qui a largement fait ses preuves).

Primo, l’état d’esprit ! Cela paraitra sûrement logique à plus d’une personne mais, lorsque l’on fait un entretien il est capital d’être le moins directif possible. L’objectif étant de faire parler la personne de ses goûts, besoins, ressentis, etc., il est nécessaire de l’influencer le moins possible pour ne pas fausser les résultats.
Du coup, il y a trois choses à ne pas oublier tout au long de cet exercice (et pas que pendant l’entretien) :

  • Faire preuve d’empathie : l’interviewer doit faire preuve d’une grande capacité de compréhension et d’écoute à l’égard de la personne en face de lui.
  • Ne surtout pas juger : pour ne pas dérouter l’interviewé, l’UX Designer ne doit surtout pas juger ce qui lui est raconté, il doit faire preuve d’acceptation inconditionnelle.
  • Faire attention à être le plus non-directif possible : l’interviewer ne doit en aucun cas essayer d’infléchir, de modifier la pensée, le comportement ou les valeurs du participant.

A retenir
Il est normal de ne pas être réceptif aux mêmes choses que les personnes autour de nous. Ce sont nos différences qui nous définissent en tant que personne et nous caractérisent. C’est justement pour cela que notre métier d’UX Designer est si intéressant et important. À nous de les comprendre et d’agir au mieux pour satisfaire les attentes et besoins de nos clients et utilisateurs.

Ok, vous avez bien ces trois règles de conduite en tête ? Parfait, maintenant on peut réellement entrer dans le vif du sujet !

1. Définition des objectifs
La première chose lorsque l’on prépare une interview utilisateur est de bien définir ses objectifs au préalable. Les données que l’on veut collecter peuvent être différentes d’un projet à un autre et même varier simplement en fonction l’étape de conception du produit/service. Pourquoi faire ces recherches ? Y a-t-il des thématiques à aborder tout particulièrement ? Peut-on diviser ces thématiques ? etc.

Je ne saurais trop vous recommander de vous baser sur un ensemble de thématiques que vous diviserez en autant de sous-catégories que nécessaire pour vous permettre de créer vos questions.

2. Création du guide d’entretien
Le guide d’entretien (ou script) est la trame de questions sur laquelle vous allez vous reposer pendant l’entretien. Vous et votre équipe allez imaginer une suite de questions qui correspondent à vos objectifs. D’autre part vous allez devoir penser à vérifier si l’utilisation de supports, des éléments divers (comme des photos) peuvent apporter une aide à l’interviewé. À voir si cela peut l’aider à se projeter et à répondre aux questions.

Mon astuce
N’hésitez pas à poser des questions dont vous croyez connaitre la réponse ! Vous pourriez être surpris de découvrir des réponses très différentes de ce à quoi vous pensiez au début.

Pour ce qui est du nombre de questions à préparer, sachez qu’il n’y a pas de nombre idéal. En effet, en fonction du projet, les données à récolter et les points à aborder peuvent être complètement différents. Toutefois, commencer avec une base de 15 questions me semble être une bonne idée. N’oubliez pas que l’objectif est de faire parler de lui l’interviewé, il doit pouvoir prendre le temps de répondre comme il le souhaite sans que vous ayez besoin de l’interrompre. Donc inutile d’imaginer un trop grand nombre de questions.

3. Formulation des questions
Pour que l’entretien se passe au mieux, il est nécessaire de ne pas formuler des questions trop fermées. Il serait dommage d’obtenir de simples « oui » ou « non » à une question où vous attendiez une réponse complète et détaillée.

Vous devez également faire attention à formuler vos questions de manière à ce qu’elles soient faciles à comprendre. Elles doivent être accessibles et humaines.
De plus, vous devez faire en sorte que l’utilisateur potentiel ait envie de vous raconter le plus possible d’histoires et d’anecdotes. C’est souvent à partir de ces éléments que vous allez pouvoir récupérer le plus d’informations exploitables.

Mon astuce
Pour que l’entretien se passe au mieux, l’interviewé doit se sentir à l’aise. Adoptez donc une attitude naturelle et agréable tout en restant professionnel.
Le cadre dans lequel se passent les interviews compte également. Le lieu doit être propice à la discussion (pas de café/bar, de pièce trop fermée ou avec des vitres sans tain). Priorisez plutôt des salles de réunion lumineuses avec une décoration agréable (et non invasive) par exemple.

Il existe plusieurs types de questions qui peuvent être intéressantes. En voici quelques exemples : questions de séquence, demandant des exemples spécifiques, liées à une quantité, de comparaison sociale, de projection dans le futur (ou l’inverse), de vision utopique, d’opinion, d’association de mots, de complétion de phrase, de création de listes, etc.

4. Recrutement des participants
L’étape de sélection des participants est l’une des étapes les plus capitales et ce, pour une raison toute simple : si votre échantillon d’utilisateurs n’est pas suffisamment proche de votre cible idéale, les résultats pourraient être faussés. On ne choisit pas un échantillon de jeunes ados si le produit ou le service en cours de création s’adresse à de jeunes mamans (logique non ?).
Est-ce que cela veut dire qu’il ne faut interroger que des utilisateurs « cœur de cible » ? Je ne pense pas. Il peut également être intéressant de discuter avec des utilisateurs « autres ». Ce peut être des non-utilisateurs, d’anciens utilisateurs, des utilisateurs experts, occasionnels, etc. Toutefois attention, ces utilisateurs ne doivent pas constituer la majorité de votre échantillon.

Une autre question qui se pose est évidemment en rapport avec le nombre de participants qui compose l’échantillon. Idéalement, il faudrait faire des interviews jusqu’à ne plus obtenir aucune information nouvelle. Malheureusement, cet exercice demande tout de même beaucoup de temps et peut rapidement revenir très cher à l’entreprise à cause des coûts de recrutement d’utilisateurs volontaires.
Selon moi, le nombre idéal se trouve entre 10 et 12 personnes mais, encore une fois, tout dépend du projet pour lequel vous faites des entretiens.

#Les entretiens

Une fois la phase de recrutement des utilisateurs potentiels faite, votre guide d’entretien rédigé, débutent les interviews.

Mon astuce
Il est impératif de bien prendre des notes lors de l’entretien et ce même si vous faites des enregistrements vidéo ou audio. Cela vous permettra d’être plus rapide au moment de l’analyse des résultats.
Si vous en avez la possibilité, travaillez en équipe de deux personnes pour chaque interview : une personne qui prend des notes et une autre qui pose les questions.

1. Structure de l’entretien
Généralement les entretiens se déroulent en 5 phases :

  1. Accueil du participant (5min) : vous accueilliez l’interviewé et faites en sorte de le mettre à l’aise. C’est également pendant cette phase que vous allez lui faire signer tous les papiers pour obtenir l’autorisation d’exploitation de ce qui sera dit pendant l’entretien. De même pour l’accord d’enregistrement de la session.
  2. Échauffement (5–10min) : c’est à ce moment que vous allez devoir lui expliquer la manière dont va se dérouler la session et lui faire comprendre qu’il ne faut pas qu’il hésite à donner un maximum de détails. Une fois que cela est fait, commencez par des questions simples et générales.
  3. Corps de l’entretien (environ 80% du temps de l’entretien) : commencez toujours avec des questions génériques puis progressez vers des questions spécifiques.

Mon astuce
Si vous avez correctement rédigé votre script, que l’enchainement des thématiques et des sous-thématiques est logique, il y a des chances pour que l’interviewé réponde à des questions (en partie ou complètement) en avance. Ce n’est en aucun cas un problème.
Votre guide d’entretien n’est qu’une aide, une base pour obtenir le plus d’informations possible. Vous pouvez tout à fait réadapter vos questions ou modifier l’ordre des questions en cas de besoin. En effet, si vous interrompez une personne parce qu’elle ne suit pas la trame initiale de votre script, vous risquez de perdre le caractère spontané de la discussion.

  1. Rétrospectives (5–10min) : faites un retour sur les questions générales et faites une synthèse globale de l’entretien.
  2. Clôture (3 min) : demandez-lui s’il n’a rien à ajouter et si ce n’est pas le cas remerciez-le et clôturez l’interview.

2. Les relances
Plus tôt dans cet article, je vous ai dit que, idéalement, il fallait viser une quinzaine de questions pour votre guide d’entretien. Ce n’est pas fixe. De temps à autre, vous allez avoir besoin de relancer la conversation. Cela assurera à l’interviewé que vous êtes bien à l’écoute et pourra aussi servir à lui demander d’approfondir certains aspects clés d’une réponse à une question de base.

Vous pouvez vous servir de différents types de relance : la clarification, la question de précision supplémentaire, celle sur l’attitude du participant, le simple fait de répéter ce qui vient d’être dit, l’interprétation d’une phrase, les grommellements, les non-dits, etc.

Mon astuce
Il ne faut en aucun cas avoir peur des silences. Quelquefois simplement en attendant un peu entre les questions, les participants peuvent avoir des informations qui leur viennent en tête.

#Transcription des entretiens et analyse

Lorsque les entretiens sont finis, il va vous falloir les retranscrire. Pour cela, vous allez devoir rapporter le plus précisément possible les paroles de vos interlocuteurs et les vôtres ainsi qu’un maximum d’informations non verbales (position, sourire, rire, tons, silences, etc.).
Attention, vous ne pouvez pas vous contenter de simplement vous fier à vos notes, servez-vous des enregistrements que vous avez faits. Il est fort probable que certaines informations ne vous aient pas marqué lors de l’entretien même.
Il faut compter en moyenne 5 heures de travail de transcription pour une heure d’entretien (et oui !).

Pour la partie analyse des données, il existe plusieurs méthodes. De manière générale, elles consistent principalement à regrouper les phrases, morceaux de phrase ou signes en rapport avec une même idée. Afin de bien regrouper ces informations, il faut utiliser une unité d’analyse et des catégories que vous allez devoir choisir en fonction des objectifs et des questions de vos entretiens utilisateur. Il peut par exemple s’agir d’éléments sur le contexte social, physique, politique, etc.

Une fois ces informations triées et ordonnées, il vous faudra compter le nombre de fois où sont répétées des informations dans l’ensemble des entretiens. L’objectif ici est de faire le tri entre idées récurrentes et exceptions, pour mieux distinguer celles qui doivent être significatives dans le développement de votre produit/service.

Le petit plus
Cet article commence à être assez long. Je ne vais pas aborder ici de technique précise de recoupement des informations (mais ça ne saurait tarder dans un autre article). En attendant, je vous renvoie vers la technique de « diagramme d’affinités » qui est une méthode de classification participative de données.

Sources d’images : unsplash.com/@alejandroescamilla, unsplash.com/@rawpixel & unsplash.com/@seemisamue

Sources d’informations : “Méthodes de design UX” de Carine LALLEMAND & Guillaume GRONIER (édition Eyrolles), Méthodes d’interview du Design Kit de Ideo.org, etc.

Cet article à été rédigé dans le cadre d’une formation. Il s’agit d’un travail personnel de recherhce et de réécriture. Je remercie donc mes professeurs Raphaël ALEXANDRE et Judith MARLAT pour leurs conseils.

PS : Bonne chance !

EN COURS DE RÉVISION

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