Une vie qui s’enfuit

On m’avait dit que le temps guérit les fins. On avait raison.

Chloe Conscience
Sur la route du Must

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J’avais 16 ans. Je percevais le monde d’une façon si restreinte qu’il m’était presque impossible de le comprendre. Je me heurtais parfois aux questions existentielles comme on se frustre dans une impasse. Je rêvais beaucoup et j’étais convaincue que la distance entre mes rêves et la réalité ne se dessinait que dans le temps. J’avais la vie devant moi, et malgré mon appétit de vivre, je doutais qu’elle ne m’apprenne plus de choses que je n’en savais déjà. J’avais l’arrogance d’avoir confiance et de la prendre pour acquise. Et j’aimais rire. Je passais mon temps à rire.

J’ai rencontré une amie cet hiver là. On est devenue amie à force de rires. On écoutait « Hier encore j’avais 20 ans » d’Aznavour. Cette chanson me transperçait, comme si le temps n’était rien, comme si j’avais peur de perdre l’âge que je n’avais pas encore. Comme si hier encore, j’avais vingt ans.

Un an plus tard, elle m’a présenté son nouveau petit ami. Je ne me souviens pas d’une attirance, je me souviens m’être dit “Je veux rencontrer quelqu’un comme lui”. Leur histoire a duré trois mois et trois ans plus tard, je n’avais pas tout à fait 20 ans, cet homme est devenu celui que j’appelais l’homme de ma vie. Je pourrais vous dire que nous avons passé quatre années ensemble, mais ce serait toiser le temps. On a du passer presque le double d’années de cela à s’aimer. L’amour est comme le temps, une supercherie qu’on s’évertue à définir pour masquer tout ce qu’on ne parviendra jamais à expliquer.

Quelques mois après lui, je suis tombée amoureuse d’un amour qui dévore. D’un amour unique, ou à sens unique. D’un amour qu’on essaie de s’expliquer tant il s’évertue à vous lacérer. L’aimer a été la pire et la meilleure chose qui me soit arrivée. Une attirance qui vous fait vivre une partie de vous pendant qu’une autre meurt. La meilleure partie arrive ensuite, quand il faut renaître. J’apprendrai les années qui suivent de soustraire « il faut » de mon vocabulaire, mais c’était pourtant ça : il le fallait.

Je suis partie tellement loin. Tellement plus loin de ce que je n’aurais même su imaginer. Et puis, je suis arrivée. Revenir des endroits où l’on va se connaître n’est pas facile. Revenir aux choses que l’on quitte est un exercice périlleux. Il m’aura fallu 3 ans et demi pour en revenir. En revenir changée au point que le même monde est sensiblement différent.

Et ce matin je me dis, c’est fou comme tout peut changer au même endroit. Ces endroits qui n’étaient qu’un temps deviennent plusieurs vies. Un même café entremêle différents moments, si différents qu’on interroge presque l’existence de certains. Et tant mieux.

On m’avait dit que le temps guérit les fins. On avait raison. En 3 ans et demi, j’ai regardé les choses changer devant mes yeux à mesure que je les posais partout : dans tous les endroits, sur toutes les personnes et dans tous les recoins de la femme que je pensais être. J’ai fuis les définitions à en oublier ce que je pourrais aimer, espérer, décider. J’ai adoré vivre dans des moments où je doutais d’absolument tout et la sur puissance et délicate inconscience de mes 16 ans s’est laissée mourir.

Mes 25 ans, 26 ans et 27 ans sont probablement mes années les plus difficile à expliquer et pourtant ce sont des années où j’ai tout écrit, tout décortiqué, tout laisser passer. J’ai gagné un diplôme qui discrédite absolument tous les autres : j’ai accepté le vide. J’ai accepté que tout ce qui remplit nos vies n’est que l’illusion d’une vérité qui refuse d’être ébranlée. Je me fiche des mauvaises humeurs, des dossiers en retard, de ceux qui s’évertuent à s’effrayer du temps qui passe. Je n’ai pas peur du vide.

Je peux maintenant regarder les hommes que je pensais toujours aimer en aimer d’autres, et les épouser. Je peux maintenant faire de n’importe où ce que j’ai longtemps regardé d’ailleurs. Je suis consciente de tout ce que je ne connais pas encore de moi et confiante en tout ce que je connais déjà de moi. J’aime vivre à un point inestimable, et pas seulement pour toutes les choses autour de moi qui sont mille fois dignes de gratitude.

Je me suis conseillée d’accepter les choses telles qu’elles sont. Cela s’est produit au moment où je me suis acceptée tel que je suis.

Je souris 100 fois par jour en observant le monde autour. La vie est en train de nous quitter et nous assène chaque jour de l’intensité de la lumière avant qu’elle ne s’éteigne. Elle ne nous invite pas à prendre la parole, à faire des enfants, à nous aimer, à nous accomplir pour nous occuper. Elle nous invite à tout cela pour jouer, pour apprendre, pour éprouver et expérimenter. Cela n’empêche pas le sérieux, le difficile, mais les portes qui bloquent sont les plus importantes à aller ouvrir.

Je ne sais pas comment on explique la vie qui change, mais je crois qu’il faut accepter qu’elle soit longue quand nous sommes en action et courte dans nos moments d’inertie. L’équilibre se trouve quelque part au milieu des deux. La vie est dans tous nos sourires et dans tous nos chagrins, elle est dans tout ce que l’on donne et retient. On choisit notre vie.

Je n’ai pas beaucoup écrit ces derniers temps. L’année des réponses me laisse sans voix. Il y avait donc des réponses, même pour moi, insatiable de questions. Ces dernières semaines, enfin capable de penser à tout hier sans l’inclure à aujourd’hui, j’ai pris conscience de ma vie qui s’enfuit. J’ai pris conscience de tout ce qui n’est plus, de tout le vide que cela laisse, et je n’ai plus envie d’envahir l’espace. L’espace m’allége, me porte, m’accomplit et m’enveloppe de ressentis que je n’ai jamais penser voir exister. Je n’ai plus besoin de bonheur ou d’amour, je n’ai plus besoin de mes mots. Et pourtant, je reprends doucement tout cela avec un sourire qui ne me quitte plus, puisqu’il vient du vide qu’aucun de nous ne parviendra jamais à combler. Ce vide sidéral qui fait partie même de la constitution de notre univers.

Je vais lentement vers ma vie qui s’enfuit, avec peut-être quelque chose de nouveau : l’absence de peur de la voir disparaître.

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