Barbie infirmière coordinatrice

CATHERINE COSTE
Chroniques biomédicales
7 min readAug 22, 2023

Transplantation 3.0, éthique made in Pink

A mes élèves de quatrième, durant toutes ces années, et à celles qui restent encore. Merci de m’avoir aidée à rédiger une chronique biomédicale élaborée… par vous.

“ — Tu voudrais voir tuer le cochon ?”

Cochonou

Je suis en vacances au milieu de nulle part, dans les Pyrénées atlantiques, pas très loin de Lourdes. Le fils de paysan qui me demande cela doit être juste un peu plus âgé que moi, je vois que ses yeux brillent. Alors ça doit être une bonne chose, non ? Parisienne, huit ans et quelques mois, je ne connais rien à la vie de campagne, alors c’est l’occasion de découvrir ce qui fait briller les yeux de Gérard… Je passe les quelques jours qui restent avant le “spectacle” à déambuler par montagnes et vallées à toutes jambes en vélo en criant à tue-tête : “je vais voir tuer le cochon ! je vais voir tuer le cochon !” (à un an d’entrer au conservatoire en classe de ballet pour suivre un entraînement de ballerine professionnelle, j’ai de bonnes jambes). Pour moi, l’enthousiasme de Gérard me laisse penser qu’il s’agit d’un jeu, comme le football, mais version… champêtre.

Ce magnet m’a été remis à Pékin par des Chinois goguenards m’expliquant qu’aux JO de 2008, les footballeurs français avaient joué… comme des cochons ;-)

Quelques mois après ces JO de Pékin, je me trouvais sur place. Justement pour enquêter bien discrètement sur une délicate affaire de trafic d’organes, dans le cadre de mon blog commencé en 2005 et intitulé Ethique et transplantation d’organes. L’occasion d’enrichir le media citoyen AgoraVox de mes chroniques biomédicales (voir ici). Avant chaque nouvel an chinois, des prisonniers en bonne santé sont abattus pour leurs organes, achetés par de riches patients passant commande dans d’autres pays, bien souvent… Mais revenons à mes huit ans…

Je ne tarde pas à déchanter. Le décalage entre mon vécu de petite fille insouciante et gâtée, dont la vie se passe entre justaucorps de danse et Parc Monceau en patins à roulettes, va piquer. Je vois un cochon amené au centre d’une cours sale, entourée de bâtiments de la ferme, étable, etc. Il se débat et hurle. Gérard lui tranche le cou avec un couteau, récupère le sang dans un verre et le lève triomphant pour le boire. Apéro et Cochonou, Bobos s’abstenir. Je tombe dans les pommes illico, une paysanne me ranime avec un peu d’eau de Cologne vaporisée sur un mouchoir, qu’elle tamponne délicatement sous mon nez. Même au semi-marathon à 18 ans, même dans ma vie de ballerine de 9 à 25 ans, même quand j’étais anorexique à 16 ans, jamais je n’ai tourné de l’oeil. Et ensuite, j’ai vomi tous mes repas durant une semaine. Depuis, j’ai la phobie de vomir, d’ailleurs.

La charcuterie préférée de la famille Coste, dans les Pyrénées atlantiques

La mort et la souffrance font partie de la vie

Mon père vient du monde de la paysannerie, c’est normal de souffrir, la mort fait partie de la vie, le don d’organes ce n’est que générosité. En grandissant, après des études de langues étrangères et un post-doc en pédagogie, puis quelques années comme prof au collège et lycée, j’ai voulu travailler avec des pionniers de la chirurgie mini-invasive, à Intuitive Surgical. De là, j’ai démarré ce blog dont je vous ai parlé, qui a été comme les transplantations d’organes : victime de son succès. De là, j’ai voulu étudier la médecine de demain qui se prépare aujourd’hui et ai suivi de 2012 à fin 2015 les MOOCs (cours en ligne) du MIT (école d’ingénieurs à Boston) sur la plateforme EdX : biologie, génomique, bioinformatique. Vous me voyez venir avec mes gros sabots de paysanne… façon Perrette et le pot au lait… Je rêve du Futur avec un grand F.

Je veux passer du monde de l’Ancien Testament, rempli de cochons égorgés et de patients souffrant mille morts, à celui de Security Princess de mon génome. “I’m a Barbie girl, in a Barbie world” genre.

Le cochon au secours des transplantations

Bon mais ce n’est pas aussi simple dans la vraie vie, n’est-ce pas. En même temps, il est normal que chaque génération veuille progresser par rapport à la précédente, sans nécessairement faire table rase de toutes les valeurs transmises. C’est source de conflits, on va pas se mentir.

Prenons l’actu. On est en train de préparer des organes transgéniques (avec des caractéristiques de l’humain, mais chez le cochon) afin de pallier à la pénurie d’organes transplantables et de pouvoir les greffer chez les patients en attente de reins, coeur, etc.

Pour ma part, je suis les articles “sciences de la vie” écrits par Antonio Regalado et sa team, MIT Tech Review. Mais là, je prends des articles dans la presse généraliste. Attendez une minute… On a bien dit que le patient sur lequel le rein a été greffé est en état de mort encéphalique ? Euh, donc on greffe un organe vivant, qui reste vivant, sur un mort ?!

Sciences et société(s)

Eh oui, il faut savoir qu’en matière de sciences de la vie, il y a des modes aussi. La définition de l’embryon (le tout début de la vie) et celle de la mort (la toute fin de vie, qui peut permettre de récupérer des organes transplantables) sont sujets à des lois de bioéthique votées tous les 5 ans ou quelque chose du genre… Cela peut vous paraître ahurissant, mais le début et la fin de la vie vont être définis en fonction des possibilités scientifiques d’une époque donnée, et de l’opinion publique. Au département science et société, vous voyez qu’il y a du pain sur la planche. On peut même dire : science et sociétés, car imaginez pour les Musulmans, recevoir un rein porcin… autant balancer une tête de cochon mort devant la Mosquée à l’heure de la prière du vendredi…

Vous me direz peut-être : oui mais c’est transitoire, en attendant de savoir faire autre chose. Et en attendant, d’autres petites filles de huit ans seront choquées de voir des cochons tués pour récupérer leurs organes… C’est pour ça que je compte sur vous, les filles, pour devenir des scientifiques ! Il faut continuer à améliorer, toujours, c’est ce que dit ma prof de yoga qui est japonaise. En attendant, petit vécu tout récent (piqure de rappel…)

Donc du coup, grâce à la personne ayant commis un homicide involontaire, il y aura des vies sauvées (reins, coeur, cornées…). On le voit, c’est pas trop pérenne, comme solution, et ça pose de sacrés questions d’éthique. Il y a quelques années, il a été établi que la mort encéphalique équivaut à un constat légal de décès anticipé, justement pour permettre le prélèvement d’organes encore viables pour les transplanter. Plutôt violent pour les proches…

Désolée pour les élèves en stage estival de creative writing avec moi ayant suivi cette histoire de “don d’organes” en direct puisque l’affaire touchait une collègue à moi et l’urgence de l’aider m’a fait interrompre mes cours. Accompagner quelqu’un porter plainte à la police pour homicide involontaire après avoir récupéré le constat de décès aux Urgences hospitalières et don d’organes dans la foulée, enfin juste avant, c’est le revers de la médaille.

Pour finir, tous mes remerciements aux élèves collégiens -nes et lycéens-nes durant toutes ces années, continuons à rêver ensemble pour avancer. N’oubliez pas, je ne suis que votre secrétaire, le futur c’est vous qui êtes là pour l’écrire. Votre futur.

On peut rêver, c’est inscrit dans notre destin d’humain — poussière d’étoile !

twitter, 21 août 2023
Je suis sûre que vous n’aviez jamais envisagé l’anatomie de l’humain en mode poussières d’étoiles ^^

Et du coup, la feuille de route ??

Eric Lander, généticien au MIT de Boston, définissant la feuille de route il y a quelques années. Audacious indeed!

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CATHERINE COSTE
Chroniques biomédicales

MITx EdX 7.00x, 7.28.1x, 7.28.2x, 7.QBWx certified. Early adopter of scientific MOOCs & teacher. Editor of The French Tech Comedy.