Pourquoi la médecine prédictive reste fermée aux Français
La médecine génomique de précision, on en entend parler tous les jours. C’est légal aux USA, et cela arrive en Espagne, par le biais d’une des meilleures sociétés médico-génétiques américaines, issues de la Harvard Medical School. Veritas Genetics. Vous faites séquencer votre génome sur ordonnance médicale et vous avez une interprétation médicale aussi complète que possible. Tout le génome, pas juste une partie, comme ce que fait 23andMe, le spin-off de Google. Veritas Genetics est donc une vraie entreprise médicale, et elle arrive en Espagne. Sur ordonnance de votre médecin, vous pourrez donc faire séquencer votre génome et ainsi affiner le choix parmi un arsenal de thérapies en cas de cancer, par exemple. Il s’agira de savoir quelle chimiothérapie aura les meilleurs résultats dans votre cas précis, par exemple, on est donc bien dans le prédictif. Ne pas s’épuiser en traitements douloureux, chers, inutiles. Parfois le patient meurt plus vite du fait des chimios inutiles que du fait de son cancer … Si vous avez un gamin avec une maladie génétique, faire séquencer son génome peut s’avérer utile, ne serait-ce que pour trouver un diagnostic et rencontrer des familles touchées par le même problème. Dans les pays anglo-saxons, les choses bougent, les familles cherchent a actionner et accélérer la recherche en se regroupant, le diagnostic établi a coup de séquençage génétique les place sur un pied d’égalité avec les chercheurs et autres académiciens qui du coup trouvent leur intérêt et leur place dans l’odyssée, que ce soit pour affiner un diagnostic de maladie rare ou pour rechercher et mettre au point de nouveaux traitements en un temps record. Vous noterez que dans tout ça, on est toujours dans le prédictif (lire ici).
Or en France la Sécu ne fait pas de prédictif en matière de médecine. Les acteurs français (ils existent) restent sous les radars. Pourquoi ?
Que dit la loi française ? Eh bien c’est bien le problème …
Regardons de plus près : il faut chercher l’article 226–25 dans le texte de loi ci-dessous :
Et les discussions engendrées par le texte de loi :
Ce qui pose problème, si on fait une interprétation de linguiste, c’est cet emboitement de trois propositions séparées par une virgule, toutes sur le même plan, donc sans hiérarchisation entre elles. A première vue, seul est légal le séquençage medical avec autorisation et consentement éclairé. Bien, cela parait censé. Sauf que cet alignement de trois propositions que l’on peut aménager comme des blocs modulables crée une incertitude, et donc paralyse tous les acteurs.
Les commentaires sur Facebook soulignent cette ambiguïté et montrent que rien n’a été tranché par le législateur.
Cette caractéristique linguistique, dite de parataxe, de non pas deux mais trois propositions, vient créer la confusion et l’incertitude dans le texte de loi. Parataxe entre deux propositions (juxtaposées sans ordre hiérarchique) : ça passe. Parataxe entre trois propositions : ça casse. Voila, en résumé, le texte de loi français. On peut conclure que l’ambiguïté est inscrite dans le texte de loi. Et cela se prouve aisément en ayant recours a une notion de base de linguistique.
C’est ce texte ambigu qui dirige en France toute la médecine genomique dite de précision, ou prédictive. Rien n’a été tranché. Cela veut dire que et ceux qui sont pour et ceux qui sont contre vont devoir revenir discuter.
Ce n’est pas par hasard si la meilleure entreprise de médico-génétique au monde, Veritas Genetics, aborde l’Europe via l’Espagne. Les acteurs du marché a l’étranger, et même en France, craignent le texte légal français aux contours flous, qui pourrait bien se retourner contre eux pour peu qu’un juge force l’interprétation du texte de loi. Le vide juridique ou ce qu’on pourrait voir comme tel est en l’occurence une épée de Damocles. Les médecins prescripteurs redoutent l’Ordre des médecins, même chose pour les laboratoires effectuant les tests. Le patient sent ou suppose qu’il lui est interdit de faire séquencer son génome sur sa propre initiative. Un technicien du séquençage du génome pourrait se voir attaqué par l’Ordre des médecins s’appuyant sur ce texte de loi dont l’ambiguïté paralyse les acteurs. En clair, pour bénéficier des services médicaux «prédictifs» de Veritas Genetics en Espagne, il faudrait qu’un patient français puisse se faire prescrire une ordonnance médicale par un médecin espagnol. Précisons que la loi actuelle et les ambiguïtés qui s’y lisent entre les lignes ne permet pas aux Français d’avoir recours aux services offerts par Veritas Genetics USA. Or nombre de Français retraités résident en Espagne, ils doivent bien avoir un avis sur comment obtenir une ordonnance d’un médecin espagnol. A suivre …
On peut rappeler au législateur que la maladie ne connait pas de frontières, et qu’en Chine, 3,5 millions de génomes ont été testés en prénatal non invasif au Beijing Genome Institute. Source : communication du BGI au meeting annuel de l’American Society of Human Genetics, San Diego, Californie, octobre 2018.